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Lettre d’un petit entrepreneur aux économistes de salon qui hantent nos plateaux TV
©Pixabay

Les entrepreneurs parlent aux Français

Il est intéressant de voir le crédit que les plateaux TV accordent encore aux économistes.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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Au mieux un sujet d’étude, un éclairage utile du passé, mais en aucun cas une science qui puisse leur permettre, ni de juger le bonheur d’une société à partir de courbe déconnectée de la réalité. Au mieux des gens cultivés, dotés d’un sens et d’une connaissance précise d’évènements passés, mais incapables de nous prédire l’avenir. Une qualité dont on continue pourtant à les créditer. Au mieux, des gens ouverts, capables de voir des tendances, mais certainement bien moins pertinents que des acteurs, qui eux voient, chaque jour dans leurs entreprises, la traduction souvent incomplète et bien différente, des courbes qui s’affichent en arrière plan, pour créditer leurs propos.

Lettre à nos journalistes amis, afin qu’ils cessent de donner trop d’importance à des pythies bien dépitées, pour accorder un peu plus de crédit à la réalité et à ses hommes. Un économiste c’est quoi ? Quand ils sont bons, ce sont des hommes (trop souvent encore), qui ont su ajouter à leurs connaissances des mécanismes économiques de base, macro ou micro, quelques études supplémentaires sur la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, l’histoire. Car les courbes affichées par les plus mauvais, mériteraient tellement de traduire de façon réaliste, en comportements humains, les effets des mesures qu’ils présentent comme des certitudes.

Quand ils sont mauvais, ils tracent des courbes, de beaux schémas, dont la simplicité est trop souvent prise pour un gage de crédibilité et de légitimité. On peut faire dire n’importe quoi aux chiffres, et Churchill rappelait avec humour qu’il ne croyait que les statistiques qu’il avait truqué lui même. C’est l’exercice sans talent auquel se livrent, nombre d’économistes que je croise sur les plateaux. J’entendais encore récemment, des économistes chauves (un immense atout que la calvitie pour cette profession, elle lui donne une crédibilité supplémentaire, le crâne d’œuf fait « intelligent »), faire des parallèles, annoncés comme autant de preuves, entre la robotisation et le chômage. En rappelant que la Corée, malgré un taux imposant de robotisation, affichait un chômage « light », sans matière grasse sur les chiffres de l’emploi. CQFD, « la robotisation ne tue pas l’emploi » !!

Prenons donc un exemple caricatural. Et disons, « la Corée (du sud), n’affiche que peu de cancer du sein chez la Femme. Conclusion, la robotisation diminue le risque de cancer féminin ». Débile diriez vous ? Et bien, pourtant, c’est le même niveau de pertinence que la première affirmation. L’absence ou la faiblesse du chômage de la Corée, n’a aucun lien direct avec l’absence d’impact de la robotisation sur l’emploi. Elle est simplement la traduction que la politique industrielle de la Corée depuis 50 ans, en a fait un géant mondial de l’électronique, qui permet de créer en Corée, des centaines de milliers d’emplois. Vous faites péricliter Samsung, et le chômage grimpe en flèche, ce qui permettrait à nos économistes de génie, de dire, à l’inverse, que la robotisation tue l’emploi en Corée.

Prenons ensuite la destruction créatrice Schumpétérienne. « Le truc qui tue » pour les non initiés. Cela fait « savant et sage », le « double S pour produire des « aces » ! L’argument de la pauvreté intellectuelle, qui affirme que le monde a toujours fini par recréer ce qu’il détruit. Et comme rien ne change, ce sera toujours pareil ! Fallait-il faire de si longues études pour une conclusion aussi simple. Peut-être que certains auront oublié 2 ou 3 petits détails. Légers bien entendu, mais néanmoins, qui peuvent être rappelés :

Une règle s’applique formidablement bien, à référentiel constant. Depuis Schumpeter, nous sommes passés d’innovation en innovation, mais dans un référentiel industriel quasi constant. Une société industrielle, d’ouvriers, de capital, physique. En clair, il y avait des innovations de rupture, certes, demandez aux canuts ce qu’ils en pensent. Mais on industrialisait, rien d’autre. Pour nos économistes de l’habitude et du confort, qui mériteraient une dose d’ubérisation, rappelons que la révolution technologique est 1 milliard de fois plus lourde et surtout, change le référentiel. Dans un nouveau référentiel, les règles du monde d’avant, perdent un peu plus de pertinence chaque jour. Nous allons pouvoir transformer non plus des techniques, mais l’homme lui même. On ne joue plus dans la même cour mes « amis », il va falloir le comprendre !

A l’époque et depuis Schumpeter, 2 éléments majeurs permettaient à sa règle de rester constante, Ils semblent si lointains qu’on aurait manifestement tendance à les oublier. Ces éléments sont la croissance et la démographie. Critères intimement liés. Puis je rappeler que nous n’avons plus, ni l’un ni l’autre. Nos pays se contentent d’excitations légères et temporaires, qui parfois culminent à 2.5%, peut-être 1,8% pour la France cette année, et nous en avons des frissons. L’impact sera minime, mais nous assistons surtout à des croissances qui nous font la mendicité. Une création d’emplois bien plus faible qu’auparavant, voire pas emplois du tout (et ce n’est que le début du fait de l’automatisation à outrance qui débarquera). Et surtout, aucune raison de croire que la croissance ne puisse redevenir la norme en Europe. Quant à la démographie, qui profite encore un peu à la France, (mais dans quelles conditions ?), elle est en berne partout, de la Roumanie à l’Allemagne, en passant par la Russie ou le Japon.

A l’époque de Schumpeter, les interactions étaient bien moins lourdes et variées qu’au 21 ème siècle. Et peu de « mâles dominants » mondiaux, dont la réussite ou l’échec pouvaient faire ou défaire, en quelques minutes de dévissage boursier, les économies mondiales. Aujourd’hui les empires mondiaux, qui représentent 75% de la capitalisation boursière américaine, peuvent nous faire sombrer en un « battement d’aile » de papillon. Cela, Schumpeter ne l’avait pas intégré. La complexité des interactions, des aléas, des réactions nationales aux phénomènes internationaux n’existait pas. Et aujourd’hui dans un monde aussi interconnecté, le facteur humain est plus important que jamais.

Exemple ? L’Afrique. 54% de la population à moins de 25 ans et un niveau de formation nul ou faible. Ou inadapté. Avant, ces populations pouvaient trouver un petit job, industriel, de service, de culture. Pour assurer une survie, que le mauvais partage mondial des richesses leur interdit. Mais suffisant pour que les économistes aient réussis à nommer cela le « seuil de pauvreté » (ils n’ont quand même pas osé l’appeler le seuil de richesse !). Imaginez que ces emplois robotisés leur soient désormais interdits, ce qui est le cas, chaque jour un peu plus. Où croyez vous qu’ils iront chercher les emplois ? Schumpeter n’avait pas non plus prévu, que 400 million d’Africains en risque, dans la zone sahélienne, pourraient se retrouver sur le marché Européen du travail, sans parler du second petit Chinois qui aura le droit de voir le jour désormais, de l’Indien dont la natalité continue à exploser, sans que les emplois de service que l’on nous promet en ville, puissent écouler tout ce « petit » monde.

Enfin, nos économistes de courbes inversées, ont également oublié 2 ou 3 autres détails, mais nous assènent que nous allons créer des emplois. On ne sait pas lesquels, mais « faites nous confiance » car cela s’est toujours passé ainsi ! Quand on les pousse un peu à dépasser ces prévisions institutionnelles basées sur la répétition du passé, ils nous parlent d’emplois de service à la personne, que nous aurions encore sous le pied. Ce n’est pas faux. Mais combien ? Suffisamment pour nos 400 millions d’Africains ? 8 millions de chômeurs ? Egalement des emplois de service vers les Seniors. C’est vrai aussi. Mais payés par qui ? Un Etat perclus de 2300 milliards de dettes ? Par les cotisations des 3.5M de chômeurs de plus (dans les 10 prochaines années) que nous promettent les études de Rolland Berger ? Quel job pour les 5 millions de chauffeurs poids lourd qui perdront leur job en 2023 du fait de l’ouverture des voies connectées permettant aux camions en conduite autonome de rouler sans chauffeur ? Date Scientists ? Codeurs ? Assistants de personnes âgées, ou assistants personnels des 65 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté américains ? Ou des 12 millions de chômeurs, disparus des statistiques aux USA (qui est soi disant selon les économistes au plein emploi !!), car ils ont renoncé à chercher un emploi ?

La réalité c’est que dans un monde croulant sous la dette (citez moi plus de 3 pays occidentaux avec moins de 80% d’endettement sur le PIB), sous le nombre de seniors en croissance qui vivent de plus en plus longtemps, de jeunes sous qualifiés qui ne trouvent pas d’emploi, et une planète qui tend au service en lieu de place de l’industrie, qui démontre une productivité en berne, et finance des entreprises techno pour qui gagner de l’argent est accessoire, mais qui sont évaluées en milliards de dollars, la réalité donc, c’est qu’il va falloir supprimer de l’emploi humain pour rendre tout cela viable et rentable. A court terme, pour un peu plus creuser notre tombe, à long terme.

Alors oui, certains jobs vont muter, certains vont se créer, mais pas en nombre suffisant pour maintenir nos équilibres sociaux et économiques, et surtout, dernier maillon ignoré par nos économistes à statistiques, insuffisant pour que les gens se sentent heureux, confiants dans l’avenir, et renoncent à voter pour des cinglés extrémistes qui leur promettent le retour du passé. Faute de croyance en l’avenir. Et c’est cela que les courbes camouflent.

Un monde qui a renoncé, dans sa majorité, à attribuer plus de vertus à l’avenir qu’au passé et qui vote son mécontentement. Un peu plus à chaque élection. Un mineur à 100 000$ par an aux USA, un chauffeur de poids lourd qui peut faire entre 70 et 95 000$ avec ses primes, se verra attribuer un job de service à 30 000$ au mieux. L’économiste criera à la victoire de Schumpeter, et l’électeur à la défaite des gouvernements occidentaux et de la démocratie. Et la réalité est toujours plus forte que l’économiste de plateau TV. Il a retrouvé un job, mais il le déteste. Et il se révoltera malgré la beauté des courbes affichées sur les magnifiques écrans TV des plateaux qui les accueillent !

Je ne parle pas de ceux qui savent prendre de la hauteur, comme notre ami Jean Marc Daniel, ou Nicolas Bouzou, Robin Rivaton ou même Elie Cohen, qui comprennent que  tout devient très complexe à prévoir même si il y a quelques fondamentaux à préserver sur les règles économiques de base. Mais je parle de cette masse poreuse et vide, à qui l’on donne trop la parole, qui souhaite prédire le monde comme nombre de politiques, c’est à dire sans y avoir vécu ! Alors équilibrons les plateaux de la balance médiatique, en y ajoutant plus de « gueux » comme les entrepreneurs !

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