Les ventes de voitures neuves en 2022 n’ont jamais été aussi basses depuis près de 50 ans et les grands perdants ne sont pas ceux que vous croyez <!-- --> | Atlantico.fr
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Des voitures dans une concession Renault-Dacia à Vitry-Sur-Seine.
Des voitures dans une concession Renault-Dacia à Vitry-Sur-Seine.
©AFP / ÉRIC PIERMONT

Marché de l’automobile

La baisse des ventes de voitures neuves s'est poursuivie en 2022 avec 1,53 million de véhicules vendus. Quelles sont les causes à l'origine de l'effondrement du marché français ?

Aurélien Bigo

Aurélien Bigo

Aurélien Bigo est chercheur sur la transition énergétique des transports. Aurélien Bigo est chercheur associé à la Chaire Energie et Prospérité.

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Atlantico : En 2022, avec 1,53 million, les ventes de voitures neuves n’ont jamais été aussi basses depuis 1975. Une baisse de 6,4 % par rapport aux 1,63 million de ventes des années 2020 et 2021, déjà en baisse de -25 % par rapport à 2019. Comment expliquer ce phénomène ?

Aurélien Bigo : Tout d’abord, pour la baisse de 2020, il y a un effet de la crise sanitaire qui a ralenti les ventes à ce moment, via le confinement et la crise économique. Puis d’autres facteurs sont venus s’ajouter. Comme la pénurie sur certains composants électroniques qui a entraîné des délais de livraison de véhicules plus importants. On note aussi le facteur de l’inflation. L’augmentation du coût des matières premières va influer à la hausse sur le prix des véhicules. La guerre en Ukraine aussi a pu compliquer, ralentir ou tendre encore un peu plus le marché. Depuis 2020, il y a donc des délais de livraison étendus et le coût des véhicules augmente de façon importante. Cette hausse est aussi un effet de la stratégie des constructeurs qui est de se tourner vers des modèles plus chers, sur lesquels ils auront plus de marge. Donc des véhicules plus lourds et plus équipés. Ce sont ces différents éléments qui expliquent la baisse des ventes. D’une part, il y a une chute de l’offre causée par les tensions présentes du côté des constructeurs. Et, côté demande, une hausse des prix qui peut influer sur les consommateurs. 

Depuis quand ce marché de l’automobile ne progresse-t-il plus en France ? Pourquoi ?

Cela fait beaucoup d’années même de décennies que le marché automobile est autour des 2 millions de ventes de voitures par an. Le dernier plus bas niveau que nous avons eu était en 1975. Depuis 1976, nous sommes globalement assez proches des 2 millions de véhicules plus ou moins 300.000. Le parc continue d’être en augmentation mais le marché reste relativement stable car c’est de plus en plus du renouvellement des véhicules. En revanche, si on regarde sur la décennie qui précède 2022, donc de 2012 à 2021, il y a des ventes de véhicules qui sont moins élevées que la décennie précédente. Durant 13 ans et jusqu'à 2001, les ventes étaient supérieures à 2 millions de voitures. Alors que lors des 10 dernières années, seulement 3 ont dépassé cette barre. Sur 2012-2021, les chiffres de ventes étaient ainsi 10% inférieurs en moyenne à la décennie précédente. Il y avait donc potentiellement une tendance de moyen terme qui était en train de se dessiner. En ce qui concerne l’hypothèse qui est mise en avant par le producteur de données AAA Data, ils parlent de « tournant historique pour l’année 2022 », j’essaie de la remettre dans le contexte. Ce n’est pas la première année qui est en baisse. Elle est encore plus forte que 2020 et 2021 alors qu’à ce moment ce sont des années marquées par la crise sanitaire. C’est sûrement là-dessus que l'année est assez exceptionnelle, après il faut le prendre avec un peu de recul. Peut-être que les années suivantes il y aura de nouveau des ventes à la hausse, notamment si les tensions côté offre se libèrent. Comme pour les pénuries de composants, il est prévu qu’il y en ait encore en 2023 mais moins que cette année. Après, pour savoir exactement à quel point nous sommes sur une tendance de moyen terme, ou même long terme, pour le moment c’est plus difficile à dire.   

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Les constructeurs sont-ils perdants avec cette baisse de la demande ?

Leurs comptes sont bons pour le moment, car leur stratégie qui est de vendre moins de modèles mais plus chers est payante à court terme. Aujourd’hui, les résultats du premier semestre de 2022 des constructeurs sont très bons. Alors qu’on pouvait s’attendre à voir des résultats en baisse au vu des chutes au niveau des ventes. Pour l’instant, avec cette stratégie, ils s’en sortent. Après, il faut se questionner sur les conséquences qu’il peut y avoir pour leurs propres clients sur le long terme. Jusqu’ici, cette stratégie passait inaperçue auprès du grand public, dans le sens où les niveaux de ventes étaient encore assez élevés. Le prix des voitures n’était pas encore en hausse trop importante. En revanche, aujourd’hui avec la conjonction des fortes baisses de volume et des prix qui sont en très forte hausse, à la fois sur le marché du neuf comme celui de l’occasion, cela se fait ressentir pour le grand public. Ces augmentations de prix se sont répercutées sur le marché de l’occasion car une partie des consommateurs du neuf s’est tournée vers ces véhicules. Ce qui accentue la demande et donc les prix. Donc nous sommes dans une situation où les augmentations se voient beaucoup plus pour l’ensemble des automobilistes qui voudraient renouveler leur voiture et pas uniquement pour les ménages les plus aisés qui ont les moyens d'acheter neuf. 

Quelles conséquences pour les automobilistes ?

La conséquence se fait essentiellement au niveau des coûts à l’achat des véhicules pour le renouvellement. Dans un contexte plus général, ce sont des dépenses automobiles qui sont plus élevées pour les usagers, notamment pour le carburant. En comparaison, et c’est problématique, l’Etat et les collectivités ont assez peu mis en place d’alternatives à la voiture thermique à échelle suffisante pour qu’une grande partie de la population puisse passer à d’autres modes de transport moins coûteux. Ce qui va dans le sens de la transition énergétique, environnementale, est aussi bon pour le porte-monnaie et le pouvoir d’achat (transports en commun, vélo, marche, covoiturage...). Il y a eu trop peu d'efforts ces dernières années et même depuis la guerre en Ukraine. Il n’y a quasiment pas eu de mesures nouvelles pour aider à sortir de cette dépendance à la voiture et au pétrole, qui sont tous les deux très coûteux pour les automobilistes. 

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Quel rôle aurait dû jouer l’Etat sur ce marché automobile ?

Sur le marché automobile en particulier, il y a aujourd’hui une stratégie des constructeurs qui n’est pas alignée avec l’intérêt général sur plusieurs éléments. A la fois sur le côté pouvoir d’achat, c’est-à-dire que pour la majorité des personnes qui n’ont pas la possibilité d’acheter sur le marché du neuf, elles sont dépendantes de celui de l’occasion. Pour cette population, les véhicules présents sur ce marché vont être trop chers et surdimensionnés par rapport à leurs besoins. Dans ce genre de contexte, il aurait fallu que l’Etat intervienne pour faire en sorte que les constructeurs proposent davantage de véhicules légers et peu chers aussi bien à l’achat qu’à l’usage. Evidemment avec des aides suffisantes pour que les moins fortunés puissent y avoir accès sans attendre forcément que ces voitures arrivent sur le marché de l’occasion. Aujourd’hui il y a des aides qui sont mises en place mais elles soutiennent un marché de véhicules surdimensionnés et trop chers pour les personnes peu aisées. Donc il y a des enjeux par rapport au pouvoir d’achat, aussi au niveau du type de véhicule qui répondrait au mieux aux besoins des usagers. Il y a un non alignement entre les réels besoins et ce qui est proposé sur le marché. On peut voir aussi un très gros retard en termes de renouvellement de la flotte vers des véhicules à la fois plus électriques et plus sobres. Ce sont les deux grandes tendances nécessaires pour réussir cet enjeu de la transition énergétique et environnementale. Au niveau des voitures plus sobres, les pouvoirs publics sont très peu intervenus sur le marché pour réussir à l’orienter vers des véhicules plus légers. Il y a une taxe sur le poids des voitures qui a été mise en place depuis début 2022. Cependant, avec un seuil de malus qui démarre à 1800 kg, ce qui concerne moins de 2% des véhicules vendus. Il n’y a donc pas d’effet concret à ce type de malus. Surtout, les modèles les plus lourds, donc les voitures électriques et hybrides rechargeables, ont été exonérées de ce malus. Alors que c’est justement pour faire en sorte que ces véhicules aussi se tournent vers plus de sobriété qu’il y a un intérêt à avoir un malus au poids.

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En définitive, qui sont les gagnants et les perdants de cette nouvelle donne ?

Au niveau des gagnants, c’est assez difficile car il y a des tendances qui vont dans des sens différents. Pour l'instant, les constructeurs automobiles s’y retrouvent bien dans la situation actuelle. Il faudra voir sur l’année 2022 comment ils se situent mais en tout cas ils ne sont pas vraiment à plaindre. Leurs comptes se portent bien et leur stratégie fonctionne correctement à court terme. Selon moi, les principaux perdants de cette situation sont les automobilistes qui se retrouvent avec des dépenses de mobilité plus importantes. En termes de transition, globalement, le renouvellement du parc ne va pas suffisamment vers des véhicules sobres, ce qui est très défavorable. Le fait de vendre moins de voitures pourrait avoir un impact positif sur les émissions mais en même temps cela entraîne un moindre renouvellement de la flotte de véhicules. Et on sait justement que celle-ci aujourd’hui n’est pas du tout compatible avec nos objectifs climatiques. Ralentir un renouvellement qui doit nous mener vers des voitures moins impactantes est un point négatif. Pour finir, est-ce que l’Etat ou le régulateur parmi les acteurs sont-ils gagnants ? Quelque part, ils doivent soutenir l’intérêt général. Cela dépend du point de vue que l’on donne sur les objectifs que se donne l’Etat. Si l'objectif est d'accélérer la transition vers des véhicules plus sobres et électriques, le tout de manière juste, on est loin du compte...

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