Les "sans dents", parlons-en : comment les mesures prises depuis 2012 ont restreint l'accès aux soins dentaires sans en baisser le coût <!-- --> | Atlantico.fr
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L'accès aux soins dentaires est de plus en plus difficile.
L'accès aux soins dentaires est de plus en plus difficile.
©Reuters

Une "plaisanterie" qui a de l'avenir

Le président se moque peut-être des "sans dents", sauf que la tendance pourrait devenir une réalité face à un accès aux soins dentaires de plus en plus difficile. Et les choses ne se sont certainement pas arrangées depuis deux ans, au contraire...

Faraj Chemsi

Faraj Chemsi

Faraj Chemsi exerce une profession médicale libérale. Il a quitté la Sécurité sociale il y a plus de vingt ans. 

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Dès le mois d'octobre 2012, la ministre de la Santé, Marisole Touraine,  avait désigné les soins dentaires comme un des chantiers du gouvernement. En décembre 2013, une étude de 60 millions de consommateurs dénonçait en effet le coût "très élevé" des soins dentaires. Le document estimait qu'après les remboursements effectués par l'Assurance-maladie, 6 milliard d'euros de reste à charge pour le patient demeuraient. Par exemple pour un trimestre de soins d'orthodontie à Paris, il fallait compter 963 euros et 424 euros en Ariège, sachant que l'Assurance malaldie n'en rembourse que 193. 

Pour ce qui est des prothèses dentaires, après remboursement, il reste en moyenne environ 290 euros à la charge du patient. Cela ne descend quasiment jamais en dessous de 200 euros et peut monter jusqu'à 400 euros à Paris. Si les complémentaires prennent en charge une partie de ces frais, difficile de savoir à quelle hauteur. Les soins courants comme le traitement d'une carie ou encore un détartrage, dont les tarifs sont encadrés par l’Assurance maladie, font peu l’objet de dépassements, excepté à Paris.

Néanmoins, le rapport de L'inspection général du travail dont la presse a révélé des extraits durant l'été 2014, a estimé à propos des soins dentaires, que "l'absence de réévaluation des tarifs des soins conservateurs et chirurgicaux, associée à la hausse du coût des équipements techniques, a eu pour conséquence que ces soins sont devenus peu rentables voire déficitaires pour les chirurgiens-dentistes"

Les dentistes rechercheraient ainsi "une compensation par une augmentation des honoraires perçus sur les soins prothétiques".

Depuis 2014, une nouvelle nomenclature des tarifs des tarifs dentaires a été mise en place mais en 2013, la Confédération nationale des syndicats dentaires estimait d'ores et déjà qu'elle ne réglera en rien le problème du reste-à-charge des patients.

Atlantico : Alors que l'on apprend dans le livre de l'ancienne première dame que le Président de la République appellerait les pauvres les "sans dents", en France, les soins restent effectivement difficile d'accès pour les plus démunis. Selon l'Ifop, plus d'un Français sur trois aurait déjà renoncé à des soins dentaires, faute de moyens. Depuis le début de quinquennat, qu'a fait l'exécutif pour faciliter l'accès à ce type de soins ?

Faraj Chemsi : Ils ont mis en place un "bilan bucco-dentaire", présenté d'ailleurs comme un succès. Personnellement, je pense que c'est un fiasco car ceux qui ne veulent pas se faire soigner les dents ne viendront que quand ils auront mal, et ceux parmi les Français qui veulent se faire suivre régulièrement avec une visite annuelle minimum n'ont pas besoin que le gouvernement mette en place un tel bilan. J'avais même proposé au responsable de ma caisse de sécurité sociale d'imposer une à deux visites obligatoires chaque année chez le dentiste sous peine de ne plus avoir ses soins dentaires remboursés. Cela marche très bien dans beaucoup de pays... 

Quelles sont les nouvelles dispositions qui, visant à plus de transparence, ont finalement renforcé la complexité de l'exercice du métier de dentiste ? 

Le plus pénible a été le changement total des quotations couplé à une non-revalorisation des soins. En France, 75% de l'activité des dentistes n'est pas rentable. On critique d'ailleurs les dentistes sur la question du prix des prothèses, mais je rappelle que ce sont les mutuelles qui ne veulent plus les rembourser. On exige aujourd'hui aussi des devis transparents indiquant le bénéfice que nous faisons sur l'acte ainsi que l'origine des prothèses. Je pense que derrière tout cela il y a le lobbying des prothésistes dentaires. Le secteur français est resté au stade de l'artisanat faute d'avoir pu se développer, à mon sens à cause du montat de charges considérables qu'ils ont du payer... 

Quel effet cela a-t-il pu avoir sur les vocations ?

Les charges administratives augmentent de la même manière que le coût du matériel que nous devons utiliser. En conséquence, les nouveaux praticiens commencent à rejoindre des gros groupes où ils travaillent avec le statut de salarié. Ils gagnent moins, mais ils préfèrent justement réduire leur revenu pour avoir moins de soucis administratifs.

Du côté des patients, cela entraîne-t-il une plus plus grande difficulté d'accès au dentiste ? Quels sont les profils les plus touchés ? S'agit-il uniquement des plus démunis ?

J'exerce en Normandie, et ici c'est le désert total. Quand vous avez une crise dentaire, une rage de dents, il faut compter deux mois d'attente. Il y a une vraie urgence dentaire et un désert médical qui ne cesse de progresser, et cela ne concerne plus seulement les campagnes, mais même les banlieues. La vraie rupture me semble donc plutôt sur un clivage villes / territoires périphériques et campagne.

Plus généralement, diriez-vous qu'il y a plus d'inégalités aujourd'hui dans l'accès des patients aux médecins qu'auparavant ? La situation s'est-elle considérablement dégradée ?

La situation va de pire en pire. A proximité de mon cabinet, un centre de radiologie vient de fermer, je ne sais même plus où envoyer un patient qui a besoin d'une radio panoramique de ses dents. Les dentistes qui ont fermé ne sont même plus remplacés. Conséquence, alors que la Sécurité sociale nous recommande environ 18 patients par jour, il peut parfois m'arriver de devoir en recevoir jusqu'à 50.

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