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Les Russes tentent-ils de dissuader la France de s’intéresser de trop près à la situation en Algérie ?
©RYAD KRAMDI / AFP

Guerre de l'information

Selon un "confidentiel du Figaro", "les services de renseignements russes" ont déclaré à leurs homologues français "ne pas vouloir d'une ingérence française dans le choix du nouveau régime algérien".

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : A l'occasion d'un tweet publié ce 9 avril, Georges Malbrunot - grand reporter au Figaro - écrit : "Algérie: un confidentiel du Figaro nous apprend que les services de renseignements russes ont transmis le message suivant à leurs homologues français. "On ne veut pas d'une ingérence française dans le choix du nouveau régime algérien", selon un diplomate."  Quelle crédibilité peut-on donner à une telle information ? 


Alain Rodier : Votre information mérite d'être complétée par la suite du tweet :" "Les services français ont répondu oui oui, mais ils n'en tiendront pas compte, l'Algérie, c'est trop important pour nous", ajoute ce diplomate".
Personnellement, j'ai beaucoup d'admiration et de sympathie pour Georges Malbrunot et, de par ailleurs, je ne suis pas russophobe comme cela est actuellement de bon ton à Paris, mais cette affaire sent à plein nez l'intoxication. Je m'explique.

Première remarque: un "diplomate" vraisemblablement français même si ce n'est pas explicitement précisé (en dehors du "nous"), affirme connaître le contenu d'échanges entre les services secrets russes et leurs homologues français.
Or, la règle première du "besoin d'en connaître" fait que les diplomates n'ont, structurellement, pas accès aux informations recueillies ou échangées par les services secrets (c'est pour cela qu'ils sont "secrets"). On peut le déplorer, mais c'est comme cela : le pouvoir politique a toujours voulu avoir des réseaux parallèles d'information pour se faire l'idée la plus juste possible d'une situation dans un pays donné. En France, d'un côté, il y a le Quai d'Orsay, de l'autre la DGSE et cela sans aucune subordination.
Conclusion: ce "diplomate" ne peut pas "savoir". La deuxième partie de la citation "c'est trop important pour nous" n'est qu'une opinion personnelle et pas un fait. Cela n'engage que lui.

Deuxième remarque: si la Russie ne veut pas voir Paris s'immiscer dans les affaires intérieures algériennes, elle n'a pas besoin de passer par les services pour cela. Le président Poutine peut directement appeler son homologue Macron ou, s'il n'a pas le temps, utiliser le circuit "diplomatique" normal. Ce dernier est conçu et financé pour cette mission.

Troisième remarque : jamais un service ne donne d'ordres (ou même de conseils) à un service étranger avec lequel il est en relations. On n'est pas dans le "Bureau des légendes" mais dans la vie réelle.
Il est vrai qu'il y a eu une exception dans le passé : lorsque la Russie donnait des ordres aux services des pays "frères" membres du Pacte de Varsovie, ces derniers n'avaient d'autres choix que de s'incliner. Par contre, il y en a qui sont antipathiques car se sentant supérieurs en tout ; je pense à la communauté du renseignement américaine.

Quatrième remarque : soit c'est une fausse information, soit elle est vraie. Et là, je pose la question: à qui profite le crime? Certainement pas à Paris qui connaît parfaitement la susceptibilité de l'Algérie, de ses dirigeants et de son peuple. La "fuite" ne peut alors avoir qu'une origine possible : la Russie. Cela pose alors une autre question: provient-elle du Kremlin ou est-ce une initiative subalterne ou même privée? Des f... de m..., cela ne manque pas aujourd'hui, surtout quand cela peut nourrir des polémiques dont sont avides les medias, question d'audience et de ventes en kiosques...  

Si une telle information venait à se vérifier, dans quelle mesure pourrait-elle refléter la concurrence entre intérêts russes et français en Algérie ? 

La Russie et avant, l'URSS, sont historiquement présentes en Algérie. La France y a toujours été considérée par Moscou comme l'adversaire, autrefois en tant que pays "colonialiste", aujourd'hui, comme "concurrent". Par exemple, les forces armées algériennes sont majoritairement équipées de matériels russes acquis fort cher avec les "techniciens" qui les accompagnent pour former les personnels à leur maniement souvent complexe. Les liens entre les militaires russes et algériens sont de ce fait et fort logiquement, très étroits.
D'un autre côté, Paris est plus présent sur le plan sécuritaire car le terrorisme d'origine islamique radicale menace directement les deux pays et la coopération semble être, dans ce domaine, excellente. Faut-il rappeler l'autorisation de survol de son territoire accordée par Alger aux avions français lors de l'opération Serval en 2013 ?

Comment estimer la réelle capacité d'ingérence de la France en Algérie ? Cette capacité n'est-elle surestimée, malgré les liens historiques et les intérêts commerciaux qui unissent Paris et Alger ?

Paris connaît très bien Alger (et la réciproque est vraie) car c'est une question qui relève de l'Histoire. Il faut souhaiter que les passions s'apaisent de par et d'autre comme cela a été le cas avec l'Allemagne avec laquelle nous n'avions cessé de nous battre pour finir au XX° siècle par deux guerres mondiales... Maintenant, nos deux pays sont indissociables même si, comme dans tout couple, il y a parfois des frictions.
Et surtout, Paris ne veut pas être soupçonné de la moindre once d'influence qui, de toutes façons, se retournerait contre la France tant la sensibilité locale est exacerbée.

Pour terminer et puisque l'on reste dans le domaine des hypothèse tant que ces informations n'ont pas été recoupées, en voilà une autre: un troisième larron mécontent de constater que Paris commence à se rapprocher - très lentement et fort timidement - de Moscou, ne tenterait-il pas là une habile manoeuvre pour torpiller cette ébauche de nouvelle real politik. Comme le dirait le commissaire Maigret, les suspects d'une telle opération machiavélique sont nombreux. Ils peuvent être français, russes ou autres... Leur but serait que la brouille Paris-Moscou se renforce en utilisant l'Algérie comme prétexte. Une sorte de partie de billard à trois bandes...

En conclusion, Paris est le client commercial le plus important de l'Algérie et tient à le rester. Les liens entre les deux pays sont vitaux pour les deux nations et les responsables politiques français tiennent à ce qu'ils soient préservés quelque-soient les prochains gouvernements qui viendront en Algérie. Ce sont aux Algériens à faire leur choix, et à eux seuls. Aucune influence ne doit venir de l'extérieur, ni de Paris bien sûr, mais non plus ni de Moscou ou d'ailleurs.   

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