Les Roms révélateurs ultimes d'un modèle français d'intégration dépassé depuis bien longtemps par la réalité<!-- --> | Atlantico.fr
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"Les solutions d'intégration ne peuvent concerner que quelques familles" de Roms, a assuré Manuel Valls mardi.
"Les solutions d'intégration ne peuvent concerner que quelques familles" de Roms, a assuré Manuel Valls mardi.
©Reuters

Illusions perdues

"C'est illusoire de penser qu'on règlera le problème des populations roms à travers uniquement l'insertion", a déclaré mardi le ministre de l'Intérieur Manuel Valls sur France Inter, assurant qu'une minorité de Roms veulent s'intégrer en France.

Atlantico : Mardi sur France Inter, Manuel Valls a estimé qu'il n'y aurait qu'une minorité de Roms à vouloir s'intégrer en France et déclare : "C'est illusoire de penser qu'on réglera le problème des populations roms à travers uniquement l'insertion". Au-delà du cas particulier des Roms, la France se nourrit-elle d'illusions en matière d'Intégration ? Dans ce cas, quelles seraient ces illusions françaises en la matière ?

Maxime Tandonnet : Un mot sur les Roms quand même. Les mêmes propos – de bon sens évident -  tenus par le président Sarkozy il y a trois ans avaient suscité une gigantesque hystérie médiatique et de monstrueux amalgames. Une telle indignation à géométrie variable est injuste et anti-démocratique. Pour revenir à la question de l’intégration, un quart des Français ont au moins un grand parent issu de l’immigration, sans que personne ne s’en rende compte. La France a donc su intégrer ses migrants et continue à le faire chaque jour. Mais en même temps, elle a laissé faire l’accumulation de populations d’origine étrangère dans des quartiers dits "sensibles" qui concentrent toutes les difficultés, le chômage massif, l’exclusion, l’échec scolaire, les trafics, parfois la violence. Cette réalité se traduit dans certains cas par de la frustration et le rejet de la France. L’échec – partiel – de l’intégration provient essentiellement de là.

Mehdi Thomas Allal L'intégration n'est pas une illusion, elle est au contraire une composante même de l'identité française. L'historien Jules Michelet décrivait très bien comment l'identité nationale s'est construite en France en agrégeant des cultures et des coutumes différentes et comment la Nation a réussi à fabriquer un socle commun. L'enjeu aujourd'hui n'est pas de savoir s'il faut ou non renoncer à l'intégration - elle est inscrite dans notre ADN - mais de savoir comment la relancer. Nous pensons notamment que le rôle du politique est de réaffirmer ce socle commun de valeurs, au premier rang desquelles se trouvent la liberté, l'égalité et la laïcité.  Nos dirigeants ont un rôle à jouer tant au niveau de leurs actions que de leurs discours. En fonction des mots qu'ils emploient, les élus peuvent influer positivement ou négativement sur la perception d'une catégorie de population. C'est pourquoi chacun d'entre eux doivent être mesurés afin de ne pas accélérer davantage l'exclusion.

Guylain ChevrierIl est certain que les Roms ont pour repère culturel une vie en communauté avec leurs propres règles, venant de pays où souvent ils ont été maintenus en dehors de la société commune, ou mal représentés et intégrés. Toutes les sociétés ne sont pas comme la France a considérer que les individus qui sont sur son sol ont les mêmes droits que les autres. Mais avoir les mêmes droits que les autres constitue aussi une exigence, dans ce que l’on appelle le processus d’intégration sociale, qui est de reconnaitre la souveraineté de ces droits. Il se trouve qu’ici ce n’est pas toujours le cas, et que nous avons affaire à un fonctionnement et des règles culturelles qui télescopent notre vivre ensemble. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes avec les Roms de ce point de vue. Il se trouve que les concernant la contradiction est ténue.

On en arrive à ces situations telles que les rapportaient des assistantes sociales, qui interviennent dans le cadre du suivi du revenu de solidarité active (RSA) des communautés Roms, et qui sont amenées à accepter de prendre en compte les choses à une échelle communautaire qui n’a plus rien à voir avec les exigences posées en général aux autres usagers de ce minima social. On est ainsi amené à les soumettre à des exigences de contrôle bien plus souples que celles appliquées en général, ceci relevant tout simplement de l’inégalité de traitement par accommodement. Voilà un des révélateur d’un différentialisme qui dans la pratique s’installe subrepticement dans notre pays, sans qu’on y prêt beaucoup d’attention qui ne va pas dans le sens de l’intégration.

Il faut savoir que certaines communes ont mobilisé des moyens énormes pour l’intégration de quelques familles, avec des programmes de longue haleine, dont la disproportion de moyens au regard du reste de la population pose question. Si on peut considérer la démarche d’un œil bienveillant, on peut s’interroger de savoir si les deniers publics doivent servir ainsi à un tel soutien surtout si l’on doit considérer qu’il en irait ainsi de dizaines de milliers de Roms. On sait que ce n’est pas le cas car ils sont peu à chercher une véritable intégration. Tout a des limites et il faut regarder les choses autrement, en termes d’une politique plus globale de l’immigration qui a aussi un coût et un sens. Sinon on se berce d’illusions et on se prépare des réveils bien douloureux.

A-t-on oublié que l'intégration était un processus mutuel et réciproque qui suppose des efforts du pays d'accueil mais aussi et surtout de la personne qui est accueillie ?

Michèle Tribalat : Si l’intégration est un processus, quelle en est la finalité ? Qu’attend-on en fin de processus ? C’est loin d’être clair. Autrefois, on visait la convergence des comportements et les mélanges de populations. Il était entendu que ceux qui avaient à s’adapter étaient les nouveaux venus et non l’inverse. Aujourd’hui, ce n’est clair pour personne. Si l’on s’en tient au modèle adopté à l’échelle européenne par l’ensemble des pays de l’UE donc, France comprise, l’intégration vise à faire régner la tolérance et le respect. C’est pourquoi les instances européennes insistent tant sur la nécessité de former les peuples européens aux cultures qui viennent d’ailleurs.

Maxime Tandonnet : Je ne suis pas sûr que dans la réalité, ce soit une question "d’effort". La réussite de l’intégration repose sur deux variables. La première tient aux conditions matérielles d’accueil du migrant : dispose-t-il d’un travail légal et stable, d’un logement adapté à sa famille, etc. La seconde tient à la proximité de sa culture, de ses valeurs, de son mode de vie, avec celle du pays d’accueil. Cela joue dans son rapport à l’égalité entre les sexes, à l’impératif d’éducation et de scolarisation des enfants, au choix d’un mode d’existence fondé sur le revenu d’un travail, et dans l’image qu’il se fait de la République française, de son histoire, de ses principes. La réussite de l’intégration dépend donc en premier lieu de la maîtrise des flux migratoires, de la capacité d’un pays à s’assurer que le nombre des "primo arrivants" n’excède pas les possibilités d’emploi, de logement, de scolarisation, de soins dont il dispose. Une nation peut-elle réussir l’intégration de ses migrants en recevant environ 200 000 personnes chaque année avec 3,3 à 5 millions de chômeurs et un déficit abyssal de ses comptes publics ? Evidemment non.

Mehdi Thomas AllalL'intégration implique en effet la réciprocité. C'est précisément sur le principe des droits et des devoirs de l'individu que repose la citoyenneté. Si nous avons des progrès à faire à la fois pour mieux intégrer, il faut aussi davantage responsabiliser les femmes et les hommes qui viennent en France pour donner une vie meilleure à leurs enfants. Je suis convaincu que nous pouvons y arriver car nous avons de beaux exemples de réussite, qu'il faut davantage mettre en avant plutôt que de toujours déplorer la violence et le communautarisme dans nos banlieues. Manuel Valls lui-même est un exemple d'intégration réussie puisqu'il a été naturalisé à 20 ans. De même, Najat Vallaud-Belkacem, qui est née au Maroc, a émigré en France avec sa famille, a travaillé dur pour entrer dans l'une des meilleures écoles de France (Sciences Po) et incarne aujourd'hui brillamment les valeurs de la République. On peut aussi citer Fleur Pellerin, adoptée à l'âge de six mois par une famille française, bachelière à seize ans et qui a suivi de longues études (ESSEC, Sciences Po, ENA)... Il y a aussi des gens moins connus, comme Anina, cette jeune femme rom, major à l'université de droit de la Sorbonne et qui prépare aujourd'hui le difficile concours de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) pour y servir son pays, la France. Que ce soit en politique, au service de l'Etat, dans le secteur privé, dans la culture ou le sport, les exemples d'intégration ne manquent pas et démontrent, s'il était besoin, à quel point la France est bel et bien une nation qui sait y faire, quoiqu'elle doive encore mieux s'occuper de certaines populations aujourd'hui plus en marge de la société.

Guylain Chevrier :C’est tout l’enjeu du débat sur l’immigration en général et la question de l’intégration. La République telle qu’elle est édifiée à travers notre constitution et les droits fondamentaux qu’elle pose, le principe d’égalité porté à son article premier, et la façon dont elle se définit comme indivisible, laïque, démocratique et sociale, doit être prise comme un tout. Les attributs de cette République ne constituent pas un menu à la carte, il y a une cohérence de notre République dont les attributs sont indissociables et assurent une forme de citoyenneté unique. Une France indivisible ne peut tolérer une communauté se mettant à part et, à un moment donné, télescopant le reste de notre société par un refus de partager le même mode de vie qui va avec le respect de droits essentiels.

Les relations patriarcales qui ont cours dans ces communautés peuvent faire des dégâts dans les relations internes où il faudrait regarder l’exact respect des droits de chacun. Il se trouve par exemple que les enfants issus des groupes de Roms sont les seuls massivement à ne jamais rester dans les établissements d’accueil où ils sont pris en charge, lorsqu’ils sont placés par décision de Juge des enfants en raison des situations de dangers qu’ils peuvent connaitre dans leur communauté ou du fait de délits commis par eux. Ils fuguent pour rejoindre leur groupe dans un rapport de dépendance qui a à voir avec la façon dont ils peuvent y être exposés, en étant parfois utilisés pour participer d’un mode de vie qui implique la mendicité voir le vol organisé. On sait combien les touristes chinois peuvent être visés ici comme cela a été rapporté dans l’actualité, ce n’est donc pas de l’ordre du fantasme. Cela ne concerne pas tous les Roms mais est une grande tendance qui n’est pas contestable.

Pour extraire les familles de ce mode de fonctionnement, cela n’est pas impossible, mais extrêmement difficile et laborieux. Certaines tentatives ont donné des succès mais pour l’essentiel, la tendance forte est celle d’un refus de s’intégrer qui est ancré dans un mode de vie communautaire qui fait fracture avec le notre. 

Le modèle d'intégration à la française, qui en réalité était un modèle d'assimilation, a longtemps été très exigeant. A-t-on eu tort de renoncer à cette exigence ? Ou l'objectif s'est-il révélé inatteignable ?

Michèle Tribalat : L’assimilation n’est praticable qu’à la condition que le corps social s’y engage tout entier, avec l’approbation des élites. Ce sont en fait les classes populaires qui cohabitent avec les populations d’origine étrangère et sont à la manœuvre. L’assimilation nécessite que l’on reconnaisse l’ascendant culturel de la société d’accueil et la légitimité de la pression sociale exercée afin que les nouveaux venus adaptent leurs modes de vie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut aussi que les nouveaux venus s’y fassent. Ce qui n’est certainement pas le cas des musulmans qui n’ont pas l’intention d’abandonner un modèle culturel centré sur la religion et la famille pour se conformer aux modèles de comportement français et plus largement occidentaux. Ils voient très bien ce qu’ils risquent d’y perdre sans apprécier ce qu’ils pourraient y gagner. 

Maxime Tandonnet : L’assimilation est en principe toujours exigée pour l’obtention d’un titre de résident de 10 ans et la naturalisation. Sa réalité est en revanche difficile à démontrer. Intégré veut dire que vous participez à la vie sociale par le travail, la scolarisation, sans difficulté particulière. Est considéré comme assimilé celui qui maîtrise le français et s’identifie à la France et aux valeurs de la République. L’assimilation ne  se décrète pas, elle résulte d’une excellente intégration. Elle s’obtient d’autant plus facilement que votre mode de vie et de pensée vous rapproche de celui des Français de longue date. En revanche, elle est extrêmement difficile dans le contexte des cités dites sensibles, du désœuvrement, du sentiment d’exclusion. L’assimilation ne dépend pas seulement de la bonne volonté des migrants, mais aussi du pays d’accueil. S’assimiler, oui, mais à quoi ? L’assimilation est d’autant plus difficile que l’idée nationale est en déclin. Elle ne se conçoit qu’autour des valeurs de patriotisme et du sentiment d’un destin partagé. Les difficultés de l’assimilation sont aussi liées à la crise de la nation. 

Guylain Chevrier On est passé en réalité d’un modèle d’assimilation qui était « tout à prendre ou à laisser », à un modèle d’intégration qui a pris en compte les différences mais tout en maintenant l’exigence de faire d’abord prévaloir ce qui nous unit sur elles, le bien commun et l’intérêt général, les droits et libertés qui en sont consubstantiels, les règles qui définissent tout simplement la forme de notre lien social. Il est vrai que l’on a eu tort de croire pouvoir faire des compromis pour intégrer certaines populations, en faisant valoir par exemple : de donner une place à l’enseignement du fait religieux à l’école pour intégrer par la prise en compte des différences, ce qui a conduit à un renforcement des crispations identitaires ; ou encore, par le financement de lieu de cultes par les élus de la République, indirectement voire directement par des subventions ou des facilitations, avec un clientélisme à peine voilée au nom de l’égalité de traitement de religions, rompant avec la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 qui interdisait le financement public des cultes. 

L’intégration est-elle une réussite ? Oui pour beaucoup elle en est une. Pour autant, il en va aussi des 7, 5 pour cent de la population qui se reconnaissent dans la religion musulmane et dont une partie, à travers le port du voile et une pratique religieuse s’appuyant sur une lecture littérale du coran, revendiquent le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance alors que l’intégration visait au mélange, à se mêler en posant le principe d’égalité comme socle de notre destin commun. Il faudrait ici une clarification de nos gouvernants qui se fait attendre pour que l’on assure la réussite de l’intégration pour les années à venir!

Pour ne prendre que cet exemple, dans l’affaire de la crèche Baby loup, le président de la République s’était engagé à une loi en faveur de la petite enfance pour la protéger de tout prosélytisme religieux, au lendemain de la décision de la Cour de cassation de casser la décision de la Cour d’appel de Versailles qui avait donné raison à la directrice de licencier une employée voilée qui avait refusé de retirer son voile au travail. Le jugement en a été renvoyé devant la Cour d’appel de Paris le 17 octobre prochain. Et bien, il semble y avoir renoncée. Il laisse ainsi planer le risque que la directrice soit condamnée pour discrimination alors qu’elle n’a fait, en refusant une employée voilée, que respecter la neutralité religieuse de l’établissement en protégeant les droits de l’enfant !  

La tradition républicaine et le modèle d'intégration qu'elle sous-tend sont-ils aujourd'hui totalement dépassés ? Au point qu'il faille en faire le deuil ? Pour quelles raisons ? Quels nouveaux défis ont pu les faire vaciller ?

Michèle Tribalat : La tradition républicaine a conjugué les grands principes et un principe de nécessité visant la convergence des modes de vie. Comme l’explique Philippe d’Iribarne, elle combinait l’adhésion au corps politique et au corps social avec ses rites et ses usages. Le principe de nécessité a été abandonné et seul demeure l’invocation des grands principes. L’assimilation se marie mal avec l’autodénigrement permanent de l’histoire de ce pays et la vigilance exercée auprès des "autochtones" pour éviter qu’ils ne retombent dans le pire. Elle nécessite que l’on assume l’ascendant culturel de la société d’accueil. Le relativisme et le culturalisme actuels ne sont pas compatibles avec l’idée que c’est d’abord aux nouveaux venus de changer. Et puis le temps du deuil est en effet venu. La France a abandonné explicitement le modèle d’assimilation pour un modèle européen décidé lors d’un Conseil européen en 2004. Cela fait bientôt dix ans ! Bien que n’étant pas une compétence européenne, l’intégration est un domaine fortement investi par l’UE. Elle a réussi à en changer le sens : c’est désormais la manière de s’accommoder à la diversité, dans la tolérance et le respect.

Maxime Tandonnet : Le modèle alternatif est le communautarisme. L’Etat s’adresse alors non pas seulement à des individus mais à des communautés organisées sur des critères d’origine, comme aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Ces communautés ont de manière systématique leurs écoles, leurs institutions sociales, leur associations, leurs clubs sportifs… Le danger de cette formule est évident : celui d’aggraver la fragmentation de la nation, la division, les haines entre les groupes d’origine et de religions diverses. Nous n’avons pas d’autre choix que de réaffirmer le principe de l’article 1 de la Constitution de 1958 selon lequel la France ne reconnaît aucune distinction d’origine, de race et religion. Malgré les difficultés du modèle d’intégration français, ce principe est le seul valable pour notre pays.

Mehdi Thomas Allal : Montée de l'individualisme, précarisation d'une large partie de la population, explosion des inégalités qui laissent à penser que le politique ne peut plus rassembler ... Aujourd'hui, certains responsables, ainsi que les médias, en général, pointent du doigt la religion musulmane. Pourtant, la majorité des citoyens musulmans de notre pays souhaitent mieux s'intégrer. La Marche des beurs en 1983, dont nous commémorons cette année le 30eme anniversaire, ne portait précisément pas de revendications communautaires, mais demandait tout simplement que les principes républicains (à commencer par l'égalité) soit applicable à tous et que les quartiers difficiles (en l'espèce, Vénissieux dans la banlieue de Lyon) bénéficient aussi des fruits de la croissance. Au fond, le combat de ceux qui ont marché en 1983 est le même que celui des ouvriers qui se mobilisent aujourd'hui pour que leur usine ne ferme pas : ils veulent simplement pouvoir avoir la même place que les autres dans la République. 

Guylain Chevrier Je ne crois pas que le modèle d’intégration à la française soit dépassé, bien au contraire, c’est un modèle humaniste formidable que de partir ainsi de situations de populations si différentes pour les amener à fabriquer une France unique dont tous partagent les mêmes droits et la même histoire commune, sans que l’individu ait à renoncer à une origine ou à une identité particulière. Le problème tient dans des choix de société à savoir, entre le principe d’égalité qui rejette les séparations sur une base ethnico-religieuse, identitaire, ou le principe de la non-discrimination, qui lui favorise cette tendance à la division et fonde les bases du multiculturalisme.

Le choix de cette dernière voie est celui qui ferait voler en éclats les biens communs au compte desquels se trouvent des biens sociaux essentiels remis régulièrement en cause par une partie de l’échiquier politique comme l’Etat dit « providence ». Nous parlons de la remise en cause de protections collectives qui ne pourraient plus être défendues puisque les forces sociales susceptibles de le faire se trouveraient divisées et préoccupées d’abord à se voir reconnaitre des droits culturels spécifiques. Ce serait une belle catastrophe en perspective. Résister en défendant le modèle laïque d’intégration républicaine, c’est aussi défendre notre lien de solidarité qui passe par des acquis sociaux que seul un peuple qui se pense comme tel peut protéger. On voit comment la gauche se tire une balle dans le pied lorsqu’elle défend sans nuance une immigration sans frontière et libre de vivre sa différence au grand dam de la République.

Quelles sont les alternatives envisageables ?

Michèle Tribalat : Envisageables n’est pas le bon mot, puisque nous y sommes déjà. Le multiculturalisme, comme doctrine, mâtiné de l’évocation des grands principes, c’est déjà une réalité.

Maxime Tandonnet : Comme je viens de vous le dire, je n’en vois pas. Le communautarisme qui est une tentation véritable au quotidien, implique la reconnaissance de droits particuliers à des communautés, notamment religieuses, à l’école, à l’hôpital, dans les services publics. La France doit s’en tenir à un principe de stricte d’égalité devant la loi, sinon tout le modèle républicain est menacé d’explosion.

Peut-on vraiment intégrer tout le monde ? Existe-t-il des individus plus difficiles à intégrer que d'autres du fait de leurs origines sociales et culturelles ou tout simplement parce qu'ils ne le veulent pas ?

Maxime Tandonnet : Pour être concret, il me semble qu’on ne peut intégrer que par le travail, la scolarisation réussie, un logement adapté à la taille des familles et dans un environnement propice à une vie de famille. L’état d’esprit des primo-arrivants est aussi décisif. Ont-ils les moyens et sont-ils déterminés à participer à l’effort collectif par leur travail et à assurer l’éducation et la scolarisation de leurs enfants. Aucune origine culturelle ni nationale ni religieuse n’est bien évidemment exclue de ce processus de réussite par l’intégration. Le désir d’intégration et d’assimilation est une affaire de personnes, de familles, et non d’origine. Cela dit, le parcours vers la francisation est facilité par la pratique de la langue française, mais surtout la proximité de valeurs et de mode de vie et l’attachement à la France et ce qu’elle représente. 

Mehdi Thomas AllalC'est précisément le génie français que d'avoir pour ambition de ne pas seulement intégrer ceux qui nous ressemblent. Nos pères fondateurs ont rédigé une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) dont les principes sont universels et trouvent à s'appliquer sans discrimination d'origine, de religion, de culture ou de statut social. Ces principes continuent d'ailleurs à éclairer le monde et il n'est pas question d'y renoncer pour de viles manœuvres politiciennes ou pour flatter tel ou tel électorat, qui ne se retrouve pas dans les valeurs républicaines. Nous devons au contraire nous battre pour convaincre qu'il y a de la place pour tous en République, si tant est que chacun veuille faire ce chemin ensemble. Le degré d'intégration peut varier en fonction de différents paramètres, mais peu importe : l'objectif reste le même, quelle que soit la population concernée. 

Guylain Chevrier : Il faut savoir reconnaitre que parfois la tache au regard de telle ou telle frange de l’immigration peut s’avérer difficile sinon irréalisable, comme peut l’évoquer le Ministre de l’intérieur, ne serait-ce que par le refus de certains d’adopter un mode de vie commun. On ne se rend pas bien compte de ce qui se passe, de ce que vivent certains de nos concitoyens lorsqu’ils ne connaissent plus que la communauté, religieuse ou/et culturelle, dans quelle « bulle » ils se trouvent, quel processus inquiétant de mise à part s’opère. La coupure qui est en train de se réaliser entre certaines parties de notre population et le reste de la société peut avoir des effets à retardement qui ne sont pas négligeables en termes de risques pour notre cohésion sociale, pour la stabilité de notre société au regard de ses assises institutionnelles et même politiques. Il faut en avoir conscience pour réagir correctement. Sans compter, si nous n’y prenons garde, avec ce que cela fabrique de fruits murs à récolter par le FN.

La France doit pouvoir choisir ceux qui émigrent sur son territoire, leur nombre, c’est le propre de la souveraineté de n’importe quel pays. Alors pourquoi pas la France ? Pourquoi serait-elle accusée de racisme en raison de simplement exercer son droit à se déterminer par elle-même sur cela comme sur d’autres sujets ? On doit y voir effectivement le souci de la cohésion sociale, de la conservation des biens communs valant pour tous indépendamment de l’origine, la couleur, la religion… Une préoccupation qui protègent tous les membres de notre société et non certains envers d’autres. Pour autant la France comme terre d’accueil a aussi une belle tradition qui n’a d’ailleurs été démentie par aucun gouvernement.

Mais il y a ici une responsabilité qui est engagée et ne saurait se contenter d’une vision humanitaire des choses, bien au contraire, il s’agit d’anticiper sur les conséquences, en voyant les choses au niveau des enjeux d’ensemble, avec une vraie vision politique. C’est la condition pour préserver le sens du bien commun qui assure que chacun puisse trouver sa place et non rejoigne telle communauté ou telle autre faisant de la France une nation sans âme faite d’identités divisées en lieu et place de ce corps politique des citoyens qui fonde la souveraineté, permet de défendre l’intérêt général sur les intérêts particuliers, partisans et égoïstes. C’est un endroit du jeu politique, sans en avoir l’air, où se joue peut-être principalement l’avenir de notre liberté.

Quand l'intégration n'est pas possible, l'attitude qui consiste à considérer que certaines formes d'immigration ne sont pas souhaitables car de nature à mettre en danger les équilibres sociologiques est-elle forcément condamnable ? Qu'une société veuille préserver sa cohérence peut-il se justifier ?

Maxime Tandonnet : Ce qui est condamnable, irresponsable, c’est au contraire de nier la nécessité d’une maîtrise effective, réelle de l’immigration. Dans une situation intérieure déjà très dégradée, faire venir ou laisser entrer et s’installer des personnes qui n’ont pas de perspective d’obtenir un travail, un logement, des conditions de vie digne et conformes aux standards du pays, conduit au chaos, au repli identitaire, au racisme. Il est donc parfaitement légitime de contrôler l’immigration. Le critère ne doit pas porter sur l’origine des personnes, ce qui serait incompatible avec l’article 1er de la Constitution, mais sur les perspectives de leur parcours en France. Dans ce contexte, l’immigration doit être organisée, préparée, négociée, en fonction des capacités d’accueil, en excluant toute forme d’acceptation de l’immigration illégale. 

Mehdi Thomas AllalD'abord, les sociétés sont nécessairement plurielles et c'est heureux ainsi ! Un Breton et un Corse partagent sans doute peu de similitudes dans leur mode de vie mais ils ont en revanche un amour commun pour la France et pour ses valeurs. Si par cohérence, on entend maintenir une homogénéité ethnique ou religieuse, alors ce n'est pas et cela n'a jamais été la France. Notre pays a trop souffert des guerres de religion pour rallumer aujourd'hui ces incendies. Et ceux des dirigeants politiques qui jouent ainsi avec le feu se comportent de façon irresponsable. En revanche, oui, il doit y avoir un partage des valeurs républicaines ; on a évoqué la question de la morale laïque, on aurait également pu citer l'égalité entre les femmes et les hommes, qui est encore loin d'être réalisée dans les faits quand on voit les écarts de rémunération qui existent pour des postes identiques. C'est le rôle du politique, de l'école, mais aussi de chaque famille, que d'enseigner et de transmettre ces valeurs sans lesquelles la France ne serait pas la France. Si toute société peut en effet espérer préserver sa cohérence, elle ne doit pas oublier que l'intégration peut être un processus long et compliqué, mais nécessaire pour justement aboutir à la paix sociale. 

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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