Les résultats obtenus sur le front des vaccins anti Covid sont-ils vraiment la success story européenne décrite par Emmanuel Macron dans son discours de La Sorbonne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme se fait vacciner contre la Covid-19 lors de la crise sanitaire.
Un homme se fait vacciner contre la Covid-19 lors de la crise sanitaire.
©ALAIN JOCARD / AFP

Stratégie sanitaire face à la pandémie

Emmanuel Macron s'est félicité de la réussite européenne sur la question sanitaire face à la pandémie de Covid-19, lors de son discours à la Sorbonne. Le chef de l'Etat a cité la production de vaccin en évoquant une "unité stratégique sur la santé".

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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La pandémie n'est pas une crise c'est un évènement probable de santé publique

Ce qui en fait une crise c’est la difficulté à la contrer et les erreurs évitables commises.

“Dans un contexte marqué par des crises multiples et inédites (Brexit, pandémie de COVID-19, retour de la guerre sur le continent européen), l’Europe souveraine, unie et démocratique, que le Président avait appelé de ses vœux en 2017, a su faire face à ces multiples bouleversements en affirmant sa solidarité et son unité, ainsi que sa capacité à décider selon ses intérêts propres.” 

Sur le site de l’Élysée le narratif est toujours codé: “crises multiples et inédites”. Bien évidemment si cela permet de se poser en sauveur (derrière l’image mythifiée de l’Europe) c’est loin de la réalité.

Examinons ce qu’il en est du Brexit

Une organisation comme l’UE doit s’attendre à des arrivées et des départs. Et si avec le nombre de fonctionnaires à Bruxelles et à Strasbourg un tel scénario n’est pas prévu c’est la double faute: d’abord sur le fond c’est bien l’erreur progressiste d’une UE qui ne pourrait que s’avancerdans le sens de l’histoire et sur la forme même une PME à des scénarios prêts en cas de départ d’un collaborateur ou d’un investisseur majeurs. A fortiori quand c’est annoncé depuis des mois (années).

Deuxième événement : la guerre

La guerre de défense est une guerre mais ce n’est pas une crise. Là aussi le discours “UE approved” s’est brisé sur la réalité. Il n’y a pas de disparition de la guerre, nous n’avons pas atteint de moment “Fukuyama”, pire l’UE, la France et l’Allemagne, au moins, se sont laissé berner par les régimes totalitaires qui nous font la guerre aujourd’hui, l’Iran, la Russie et la Chine. Avoir désarmé a été une faute mais curieusement personne n’est responsable. C’est trop facile. Trois remarques qui ne concernent pas uniquement la défense militaire nous y reviendrons plus loin, peuvent aider à comprendre.

- En gros nous avons trop misé sur la dissuasion nucléaire et cette stratégie a une faiblesse (mais pas le fait d'avoir des armes nucléaires stratégiques) car ni la France ni l’OTAN  n’appuieraient les premiers sur le bouton dans un conflit conventionnel.

- C’est pourquoi les chars, les avions, l’artillerie et la marine sont indispensables face à des régimes totalitaires unis dans un objectif clair: détruire l’Occident. Ce d’autant qu’ils pratiquent la guerre hybride, l’attrition, la destruction massive des infrastructures, des tueries de civils. Pour se défendre il faut au minimum atteindre une taille suffisante et avoir une industrie des munitions très solide. Or ce n’est pas une armée de 200 000 militaires d'active (sur une population de plus de 68 millions d'habitants) qui peut soutenir un assaut et une guerre conventionnelle dans la durée.

- Enfin la défense civile est de très petite taille avec 40 000 réservistes et un entrainement très peu évalué

Venons en au virus

Ces considérations permettent d’introduire le troisième évènement, après le Brexit, la guerre déclarée par la Russie au cœur de l’Europe, il s’agit d’une pandémie. Comme pour les autres événements il n’y a là rien d’inédit. Les viroses respiratoires sont saisonnières ou continues, les coronavirus ont déjà déclenchés des épidémies sporadiques graves en 2002 avec le Sars-CoV-1 et en 2012 avec le MERS… 

Alors si l’association faite par le président de la République est discutable dans sa dénomination (une forme de polylalie du mot crise qui a contaminé aussi les médias), la survenue en série de ces évènements permet de tirer des enseignements car pour les maîtriser il faut faire appel à des politiques publiques régaliennes.

VACCINS, ANTIVIRAUX LA QUESTION DE LA PRODUCTION EST D'ABORD LIEE A L'INNOVATION

- Lors de son discours prononcé à la Sorbonne, Emmanuel Macron a évoqué la réussite de l'Europe, notamment sur la question sanitaire. Il a évoqué la production de vaccin, parlant d'une "unité stratégique sur la santé". Peut-on estimer que la France et l'Europe ont fait preuve d'un réel succès en la matière ?

En réalité, il n'existe nulle part de preuve d’une “unité stratégique de la santé”. Ni avant, ni pendant, ni après la pandémie. S’agit il se faire comme si l’UE avait, vu l’urgence, rassemblé des acteurs majeurs qui existent dans les différents pays, à l’instar de l’Opération Warp Speed de D. Trump? L'Opération Warp Speed (OWS) a été un partenariat public-privé du gouvernement fédéral des États-Unis pour faciliter et accélérer le développement, la fabrication et la distribution de vaccins thérapeutiques et diagnostics contre la Covid-19. Une telle opération n’a pas été organisée en Europe ni en UE. T. Durand du CNAM met le doigt sur l’essentiel: “Nombreux sont ceux qui attribuent le succès américain dans la course aux vaccins anti-Covid à des investissements massifs dans la recherche. Cette vision est très imparfaite, voire erronée. Il y a bien eu outre-Atlantique un effort exceptionnel d’innovation pour développer un vaccin en douze mois, mais cet effort n’a pas concerné la recherche et développement : il a surtout concerné la gestion d’une opération exceptionnelle articulant compétences organisationnelles publiques et privées pour accélérer tous les processus de décision.”

Dans cette pandémie l’innovation, biologique, médicale et organisationnelle a joué le rôle majeur. Pourtant le Président a un point: il fait l’hypothèse que la France est trop petite pour se lancer dans de telles aventures, non seulement sur le plan organisationnel mais aussi financier. Mais voilà le Royaume Uni avec son vaccin (Oxford) et l’essai randomisé emblématique sur la dexaméthasone lui donne tort. Un pays de l’Europe a sur ses propres ressources mis au point un vaccin dans des temps records et tout aussi vite a prouvé qu’un médicament efficace pouvait sauver des vies dans les formes graves.

VACCINATION, TRAITEMENTS MEDICAMENTAUX, QUEL BILAN ?

- Emmanuel Macron a aussi évoqué notre travail collectif (il parle alors de l’UE)"Et ce à travers quelques pas, que je crois historiques, que nous avons accomplis ces dernières années" et de citer en matière de santé "l'unité financière pour sortir de la pandémie". Peut-on dire que l'achat et la diffusion du vaccin, à l'échelle française comme à échelle européenne constitue là encore une franche réussite ?

Dans le verbatim du Président on note qu’il associe l’achat des vaccins en commun et le plan de relance de 800 milliards. Or pour évaluer il faut séparer.

L’achat en commun du vaccin ARN messager de ModeRNA et Pfizer-BioNTech a été une opération réussie. Nous avons eu le meilleur vaccin en quantité suffisante. En revanche, ce que démontre l’analyse de la vaccination des Européens de l’UE c’est que des facteurs majeurs de limitation de l’efficacité de ces campagnes ont existé selon les pays de l’UE. D’une manière générale nos organisations de santé publique sont faiblement efficientes parce que les dépenses publiques sont fléchées sur le système de soins mais très peu sur la prévention. Des erreurs ont aussi été commises par un exécutif manifestement impréparé. Citons le débat sur les vaccinodromes ou bien l’absence totale de technologies intelligentes pour proposer la vaccination à ceux qui en avaient le plus absolu et urgent besoin. Ensuite il y a ce qui n’a pas été fait bien que le législateur l’ait voté dans des lois. Les équipes sanitaires mobiles (maladroitement appelées brigades) n’ont jamais vu le jour laissant un vide entre des technostructures déjà dépassées (ARS) et le citoyen des villes ou des campagnes. C’est là qu’un parallèle avec l’état de nos forces armées a du sens car ces équipes réservistes sanitaires ne pouvaient être organisées que sous l’autorité des militaires par exemple des gendarmes qui savent le faire. Enfin il faut insister sur ce qui a compliqué la vaccination et fait perdre des chances à des milliers de patients. Je veux parler des attaques violentes et mensongères à propos du vaccin et des médecins qui, sur des bases scientifiques, l'ont recommandé. Aujourd’hui nous savons que le vaccin ARN messager est probablement le plus sûr de l’histoire. Le bilan exact des victimes de cette campagne anti-vax n’est pas connu parce que cette recherche reste à faire. Il est très curieux que nos universités n’aient pas effectué ce travail. C’est pourquoi on peut évaluer la mise en œuvre de la vaccination comme insuffisante et susceptible d’améliorations structurelles dont quatre ans après le début de la pandémie on ne voit pas le début.

S’agissant du plan de 800 milliards de l’UE c’est un autre sujet qui demande plus que du “wishful thinking” pour savoir ce qui a marché et ce qui a été de la dette gaspillée.

LE DEBRIEFING DE LA PANDEMIE A-T-IL EU LIEU ?

Pour avoir suivi les suites de la pandémie je considère qu’il est important de s’interroger sur la faiblesse des changements proposés pour nous préparer à ce qui arrivera, une nouvelle pandémie. Le virus de la grippe aviaire démontre actuellement que le franchissement par une zoonose de la barrière des espèces est un événement aléatoire probable. L’ode à l’UE ne peut constituer un échappatoire à une organisation de santé publique Française opérationnelle. J’ai noté que G. Rozier, le data analyste qui a fait bouger les lignes d’une administration paralysée et incapable de nous informer en temps réel au moins au début de la pandémie faisait partie de l’équipe de l’Élysée. Il est urgent qu’il puisse mettre en place la disponibilité des données de santé publique en mode brut, pour tous et en continu. Nous en sommes loin mais ce serait un achèvement significatif.

En reprenant l'association temporelle utilisée par le président de la République on peut faire un bilan beaucoup moins optimiste et triomphaliste que celui qui nous a été longuement présenté hier. La France a été un des épicentres sinon l'épicentre de fausses rumeurs extrêmement préjudiciables aux patients qui ont été atteints par ce virus. On peut se tromper, certains s’obstinent parfois dans l'erreur mais quand il s'agit de fraude quand il s'agit de manipulation de données c'est autre chose. Je n’ai pas entendu un mot dans ce discours sur ce sujet majeur. Nos universités doivent servir le pays en apportant leur expertise non sur la base inductive d’individus soi-disant providentiels mais en construisant une coopération d’hôpitaux pour réaliser vite et parfaitement des essais cliniques vitaux. Là aussi ce serait un pas non pas historique, restons modestes mais très utile.

Au final dans ce discours intéressant à plusieurs titres il existe une forme de pensée désidérative qui peut plaire mais dont la capacité transformative est faible. Or la réponse de l’État à ces événements successifs a démontré que la France doit changer et que l’UE ne peut se substituer à notre inertie pour ce faire.

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