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Les Républicains : Laurent Wauquiez a-t-il raison de croire qu’il est assuré de remporter la présidence du parti ?
©MIGUEL MEDINA / AFP

La peau de l'ours

Laurent Wauquiez en est certain, et la faible popularité de ses adversaires déclarés semble lui donner raison. Mais cette assurance n'est pas nécessairement totalement justifiée.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Selon le Parisen, Laurent Wauquiez aurait déclaré "De toute manière, je vais gagner" en évoquant l'élection à la présidence des LR qui se tiendra les 10 et 17 décembre prochain. Au regard du corps électoral de cette élection, et des attentes de ces électeurs, comment peut on anticiper la "ligne politique" et la personnalité les plus à même de remporter ce scrutin ? Qu'est ce qui a pu évoluer depuis la Présidentielle ? Quelle est la prime d'une telle élection, la personnalité des candidats est elle plus importante que la ligne politique ? 

Jérôme Fourquet C'est un exercice un petit peu compliqué que vous me demandez, parce que nous n'avons pas une claire connaissance de l'état du rapport de force qui prévaut dans ce corps électoral très particulier qui est celui des adhérents du parti Les Républicains. Nous n'avons pas non plus de description statistique fine de l'état et de la composition de ce corps électoral. On sait qu'il y a généralement un turn-over au lendemain d'une élection électorale, et on peut penser que ce turn-over a été sans doute accentué chez les Républicains par la percée d'Emmanuel Macron et la recomposition politique qui s'est produite à cette occasion. Avec notamment l'émergence du groupe des Constructifs. La situation est tout sauf figée et a beaucoup bougé. On a vu qu'un certain nombre d'événements structurants avait rebattu les cartes lors de l'automne dernier et de la primaire de la droite. La défaite de Nicolas Sarkozy, la montée en puissance de François Fillon et la défaite d'Alain Juppé… suivi de cette présidence hors-norme qui aboutit à l'échec de François Fillon et la victoire d'Emmanuel Macron. On alors un clivage assez marqué entre les modérés autour d'Alain Juppé et les plus droitiers autour de Fillon qui s'est confirmé car on peut penser qu'une partie de la frange modérée qui était minoritaire dans ce parti a sans doute fait son deuil et quitté Les Républicains. Une trajectoire de gens tels que Les Constructifs, qui sont des élus, se retrouve sans doute chez des adhérents proches des écuries Le Maire et Juppé notamment. Ce sont ceux qui ne se retrouvent plus dans la ligne de François Fillon. Ce détour montre que tout cela est tout sauf figé et donc difficile à saisir, ne serait-ce que quantitativement. 

On peut néanmoins émettre un nombre d'hypothèse en se fondant sur des faits et chiffres avérés, à commencer par la primaire (qui ne concerne pas que les adhérents mais donne des indications) lors de laquelle le score massif de François Fillon donnait une prime à la ligne droitière. Cette ligne droitière a été affirmée lors de la campagne. Le noyau militant semble avoir suivi, et s'être notamment fortement mobilisé et avait répondu au moment du Trocadéro. C'est un autre signe qui montre la réalité de l'orientation droitière des adhérents des LR. La troisième séquence est le débauchage après la présidentielle par Emmanuel Macron d'un certain nombre d'éléments des Républicains, Darmanin, Le Maire, Philippe et d'autres, ainsi que la constitution des Constructifs et le retrait confirmé de la politique d'Alain Juppé – en plus du cas de Jean-Pierre Raffarin. On a si on met tous ces éléments bout à bout l'impression que l'orientation droitière de la primaire au Trocadéro est aujourd'hui plus nette à mon avis du fait de l'absence de combattants opposés au sein du parti (une grande partie des minoritaires aurait choisi de s'en aller ou de prendre ses distances). 

D'ailleurs c'est sans doute le diagnostic que certains ont fait et qui a conduit par exemple des figures comme Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand a décliner l'hypothèse d'une confrontation électorale avec Laurent Wauquiez. Sans doute ont-ils fait l'analyse que leur ligne était minoritaire auprès des adhérents. 

Bruno CautrèsLe diagnostic porté par Laurent Wauquiez sur sa famille politique est que la base électorale de la droite, pas seulement les militants des Républicains, est plus à droite que les cadres du parti. C’est ce diagnostic qui lui fait penser que son élection ne fait pas de doutes et qu’il parle en direct à son cœur de cible et par-dessus une partie de l’état-major de LR. Il est vrai que Laurent Wauquiez est apprécié des militants du parti, en tout cas si l’on se fie aux observations que font régulièrement ceux qui assistent aux réunions et meetings et que le voient être souvent très applaudi.La présidentielle a créé un choc de grande ampleur sur la droite en raison de l’élimination de François Fillon du second tour et des mauvais résultats aux législatives. Il est trop tôt pour dire qui a le meilleur profil pour permettre aux Républicains d’avoir la stratégie la plus optimale. Le mandat d’Emmanuel Macron ne fait que commencer et c’est aussi les réussites ou les échecs de celui-ci qui donneront ou pas du grain à moudre à LR (même chose pour le PS). La personnalité des candidats et leur image compte de plus en plus dans les élections en France. Cela a été très bien établi dans le cadre de la présidentielle par les travaux du CEVIPOF. Dans une élection interne à un parti cela est sans doute également vrai, mais un peu comme pour les primaires l’investissement sur le terrain pendant la campagne électorale reste une donnée très importante. Les idées défendues également. Les électeurs de LR ont assisté à des débats importants au moment de la primaire et sans doute ont-ils de fortes attentes sur les propositions des candidats à la présidence de leur parti. Leur attente porte sans doute aussi sur le profil général de leur futur président car il s’agit d’une personnalité politique destinée à incarner l’opposition de droite à Emmanuel Macron, qui n’est pas un amateur en matière de communication malgré son début de déception vis-à-vis de ses électeurs. 

Laurent Wauquiez a pu être attaqué sur sa capacité à conserver l'unité des LR. Quelles sont les difficultés que pourraient rencontrer un Laurent Wauquiez Président de parti en termes de rassemblement, notamment au travers du décalage existant entre les sympathisants LR et les électeurs du scrutin de décembre ?

Jérôme Fourquet Vous avez en parti raison, mais la réalité qui prévaut, c'est qu'une élection est avant tout une compétition. Et si un candidat peut avoir un certain nombre de failles et de défauts – vous en soulignez une concernant Laurent Wauquiez – vous vous trouvez dans un jugement absolu, alors que l'élection demande un jugement relatif, par rapport à d'autres. Un certain nombre de poids lourds qui étaient sur une ligne plus modérée et rassembleuse comme Valérie Pécresse ont renoncé au combat. Du coup, la question qu'il faut se poser, c'est que valent les faiblesses et forces de Laurent Wauquiez face à ceux qui vont se dresser contre lui. 

Un critère de choix va se faire sur la ligne politique : celui qui cotise veut être en toute logique représenté par quelqu'un qui pense exactement comme lui. Mais la surface médiatique, la notoriété et la visibilité compte. Le militant confie les clés du parti dans un contexte compliqué de recomposition politique et d'affaiblissement du parti à quelqu'un qui ne peut manquer de légitimité dans l'opinion. La question idéologique est importante, mais celle d'incarnation et de représentation est tout aussi essentielle. On a le sentiment que Laurent Wauquiez est le plus profilé d'une part pour récupérer les voix d'adhérents qui semblent d'après nos éléments parcellaires le suivre sur sa ligne droitière. Et que d'autre part il est et de loin aujourd'hui la personnalité la plus connue et la plus capée pour briguer les suffrages des militants. Évidemment il faut être prudent, car une vraie autre figure de proue pourrait le rejoindre. Aujourd'hui il est le seul à boxer dans la catégorie la plus élevée si vous le voulez.  

Bruno Cautrès : Comme dans tout mouvement politique qui a connu une défaite électorale importante, les sympathisants LR tout comme les militants veulent avant tout que leur mouvement politique leur redonne une ligne et une direction. Les électeurs et sympathisants s’interrogent notamment sur les raisons de l’échec de 2017 : la faute à François Fillon, aux divisions du parti ou aux choix stratégiques et programmatiques ? Si la responsabilité de François Fillon semble écrasante, le parti n’a de toute façon pas une équation simple à résoudre en ce qui concerne ses choix stratégiques. Ce n'est d’ailleurs pas l’apanage de LR, le PS a sans doute au moins autant de questions de fond à régler. Les partis politiques d’aujourd’hui (et cela concernera En Marche ! à plus ou moins long terme) rencontrent une difficulté stratégique majeure liée à la pluralité des dimensions de la politique aujourd’hui. Ils ne peuvent plus se situer seulement dans le clivage gauche-droite même si celui-ci conserve beaucoup de force contrairement à l’idée fausse selon laquelle ce clivage a disparu. S’il gagne l’élection à la présidence de LR, Laurent Wauquiez aura à prendre en compte cette complexité. Prenons quelques exemples.

Dans le cadre de la grande enquête électorale que nous avons conduite au CEVIPOF lors de la séquence électorale de 2017, nous avons demandé à notre panel d’électeurs leurs opinions sur un vaste ensemble d’indicateurs. Ces indicateurs permettent d’analyser le rapport des sympathisants LR dans deux dimensions ; la dimension socioéconomique et la dimension culturelle. Sur la dimension économique on voit que ces sympathisants sont très favorables à tout ce qui va dans le sens d’une réduction des dépenses publiques, de moins de fonctionnaires et d’une économie ouverte et compétitive : ainsi, juste après la présidentielle, 58% des personnes que nous avons interrogées se déclarent d’accord avec l’opinion selon laquelle « pour faire face aux difficultés économiques, l'Etat doit faire confiance aux entreprises et leur donner plus de liberté » ; mais parmi les sympathisants LR ce sont 83% qui sont d’accord. Ce qu’il est très intéressant de noter c’est que les sympathisants LR sont plus nettement plus favorables au libéralisme économique que les sympathisants FN (59% d’accord) et PS (47%) mais aussi plus favorables que les sympathisants de LREM (78% d’accord). Si l’on prend un autre indicateur que nous mesurons toujours au CEVIPOF, l’opinion selon laquelle « en matière de justice sociale, il faudrait prendre aux riches pour donner aux pauvres », cette opinion est partagée par 40% des personnes interrogées mais seulement par 16% des sympathisants LR (mais par 52% des sympathisants PS, 41% de ceux du FN et 30% des sympathisants LREM). Sur la dimension culturelle, les sympathisants LR se montrent assez, voire très, favorables aux opinions favorables à l’ordre et aux valeurs traditionnelles : ainsi, l’opinion selon laquelle « de nos jours les parents n’ont plus aucune autorité » est partagée par 61% des français interrogés, ce qui est déjà élevé ; mais ce sont 71% des sympathisants LR qui le pensent, contre 47 dans l’ensemble de la gauche, 56% des sympathisants LREM et 80% de ceux du FN. Notre grande enquête permet également d’analyser les opinions en matière d’immigration : nous avons demandé, là aussi avec un indicateur classiquement utilisé dans les enquêtes du CEVIPOF, si l’on considérait qu’il y a « trop d’immigrés en France » : si 53% sont d’accord avec cette opinion, ce pourcentage monte à 74 parmi les sympathisants LR à mi-chemin entre la moyenne des français interrogés et les sympathisants du FN (92% d’accord).

Le positionnement à adopter à parmi de ces quelques exemples n’est pas simple : si LR tire à droite sur l’économie, ce qui correspond aux préférences de ses sympathisants et lui permettrait d’enclencher un discours sur le thème « Macron pas assez libéral », ce discours lui éloignera les sympathisants FN qui sont moins favorables au libéralisme économique alors que sympathisants LR et sympathisants FN se rapprochent (avec des écarts qui restent importants) sur les questions « culturelles ». Si LR tire à droite sur ces questions « culturelles » (ce qui correspond aussi en partie aux préférences de ces sympathisants), le parti risque de voir s’éloigner les sympathisants de centre-droit (UDI, MODEM et une partie de LREM) qui sont pourtant proches de lui sur l’économie. C’est sans doute pour sortir de ce dilemme infernal que Laurent Wauquiez veut affirmer la dimension libérale et conservatrice en même temps, quitte à réduire la base mais à gagner en cohérence et afin de reconstruire le parti. Un pari qui ne sera pas simple à gagner mais qui peut éventuellement marcher si les résultats économiques d’Emmanuel Macron ne sont pas au rendez-vous et/ou qu’Emmanuel Macron déçoit les attentes des électeurs de centre-droit en termes économiques ou « culturels ».  C’est donc un grand chantier qui peut s’ouvrir au sein de LR (même chose pour le PS). Le problème des partis politiques et pas seulement de LR, est que le calendrier électoral va vite reprendre ses droits (européennes 2019, municipales 2020), alors que la réflexion politique et stratégique demande du temps…

Quelles sont les incertitudes qui peuvent entourer le résultat de ce scrutin ? Quelles seraient les lignes politiques ou les personnalités les plus à même de produire une surprise ? 

Jérôme Fourquet : Une fois qu'on a dit ça, Wauquiez n'est en effet pas exempt de fragilité ou de faiblesse. Sera-ce suffisant pour le faire trébucher ? Ce n'est pas évident du tout. Les épisodes récents ont montré qu'avec un programme parfaitement calibré (en l'occurrence aux électeurs de la primaire), une surprise était possible. L'explosion de l'affaire Pénélope Fillon a considérablement contribué à son affaiblissement, mais même sans cela, on a vu que la défense de ce type de projet auprès de l'ensemble du peuple de droite élargi n'était déjà pas sans problème. Laurent Wauquiez devra convaincre uniquement 150.000 à 250.000 adhérents. Son discours sera peut-être adapté à cette échéance et reprofilé par la suite pour convenir à un ensemble plus large. Le but est de le rendre plus audible et plus compatible à l'électorat voulu. 

Bruno Cautrès : On ne sait pas encore le nombre de candidats que Laurent Wauquiez rencontrera sur son chemin, entre un et deux ou trois. Parmi les candidatures potentielles ou vraisemblables on compte pour le moment : Florence Portelli, une proche de François Fillon qui fut son porte-parole lors de la présidentielle ; Daniel Fasquelle (député de la 4e circonscription du Pas-de-Calais et trésorier du parti) qui a créé son propre mouvement politique (Sauvons la droite) et pourrait annoncer sa candidature ce week-end ; Laurence Sailliet (membre du bureau politique et du comité des finances des Républicains), proche de Xavier Bertrand, seule candidate officielle pour le moment. Notons que pour pouvoir se présenter, les candidats doivent obtenir des parrainages (2 500 adhérents et 13 parlementaires). Il devrait donc y avoir un ou des candidats se présentant en même temps que Laurent Wauquiez. Les lignes de partage entre ces candidats sont difficiles à bien cerner pour le moment : tous veulent être des candidats du rassemblement, porter la voix des militants, s’opposer à Emmanuel Macron mais en n’étant pas caricaturaux. Par exemple, sur son site où elle présente sa candidature, Laurence Sailliet se revendique d’une droite «ouverte, libérale, européenne. Une Droite ferme sur la sécurité, la justice et dans la lutte contre le terrorisme ». Mais la référence au terme de « droite ouverte » est une manière de se différencier de Laurent Wauquiez notamment.

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