Les premiers défis du nouveau président iranien<!-- --> | Atlantico.fr
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Ebrahim Raeissi lors de sa prestation de serment, le 5 août au parlement.
Ebrahim Raeissi lors de sa prestation de serment, le 5 août au parlement.
©Atta KENARE / AFP

Du pain (barbari) sur la planche

Ebrahim Raeissi a été officiellement investi comme nouveau président de la République islamique d'Iran. L'accumulation de défis avant même qu'il ait pris ses fonctions va nécessiter qu'il les relève dans l'urgence.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Mardi 3 août, Ebrahim Raeissi devenait officiellement le nouveau président de la République islamique d'Iran, sous le patronage du Guide Suprême Ali Khamenei. S'il a de nouveau promis d'améliorer le quotidien des Iraniens et d'obtenir la levée des sanctions économiques américaines, la question de sa méthode reste encore à déterminer. Pourtant, l'angoissante accumulation de défis avant même qu'il ait pris ses fonctions va nécessiter qu'il les relève dans l'urgence, et qu'il dévoile donc son équipe gouvernementale et son projet concret pour l'Iran le plus rapidement possible.

Outre la gestion de l'épidémie de Covid-19 qui ravage le pays, la colère grandissante des Iraniens et le poids des sanctions internationales sur l'économie, le nouveau président aura un premier test avec la gestion d'une crise diplomatique liée à l'attaque du pétrolier Mercer Street en mer d'Oman le 30 juillet dernier. Le navire, qui appartient à un armateur israélien, a été depuis mené sous escorte navale américaine en lieu sûr, mais l'équipage a déploré deux morts, un ressortissant roumain et un britannique.

Bien que l'Iran, rapidement désigné comme responsable par Israël, la Grande-Bretagne et la Roumanie, ait de nouveau démenti toute implication dans l'évènement suite à la déclaration des ministres des affaires étrangères du G7, cette cinquième attaque contre un navire israélien semble, pour de nombreux analystes, s'inscrire dans le cadre de la bataille navale que se livrent Téhéran et Tel-Aviv depuis plusieurs mois en mer d'Oman et autour du détroit stratégique d'Ormuz. L'Iran transposerait en effet sur mer ses mesures de représailles contre Israël, qui l'a frappé à plusieurs reprises directement sur son sol ces derniers mois, et notamment sur le site nucléaire de Natanz en avril dernier. Le fait que l'attaque du Mercer Street ait entraîné la mort de deux membres d'équipage constitue néanmoins une première et un véritable risque d'escalade dans cet affrontement géopolitique.

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La réponse de la communauté internationale ne s'est d'ailleurs pas faite attendre. Sous la pression de la Grande-Bretagne et d'Israël, les Etats-Unis ont promis une « réponse collective », tandis que l'Iran avertissait les Occidentaux contre « tout aventurisme ». Le front anti-iranien ne fait pourtant que se consolider avec le récent appel des pays arabes du Golfe Persique à organiser des frappes contre l'Iran. Parmi eux, les alliés officiels d'Israël comme les Emirats Arabes Unis, mais aussi les plus officieux comme l'Arabie Saoudite, en dépit de ses tentatives de rapprochement avec Téhéran. Les pétromonarchies se sont d'ailleurs abondamment fait l'écho de l'analyse israélienne, estimant que l'utilisation d'un drone dans l'attaque signe l'implication directe de l'Iran, réputé pour sa maîtrise de ces nouvelles technologies. Seul le Qatar, allié objectif de la République islamique depuis le blocus mis en place 2017 par le Conseil de Coopération du Golfe, s'est montré naturellement réservé face à ces accusations et à la menace d'une escalade militaire dans la région, qui fragiliserait sa stabilité comme la sécurité du commerce maritime mondial.

La pression est d'autant plus importante pour l'Iran et son nouveau président que cette crise intervient dans un moment critique pour les négociations sur le nouvel accord nucléaire iranien, mises en suspens par la passation de pouvoir présidentiel à Téhéran. Les chances de les voir aboutir dans les meilleures conditions pour les Etats-Unis et l'Iran, qui semblaient déjà très maigres, apparaissent désormais plus que compromises. En effet, la menace d'une « réponse collective » formulée par le Secrétaire d'Etat américain Anthony Blinken pourrait obliger l'Iran à rompre avec sa patience stratégique et imposer à Ebrahim Raeissi l'option d'une confrontation, ce qui enterrerait définitivement les négociations et surtout ajournerait la levée des sanctions pour une durée indéterminée.

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Le défi est donc de taille pour le nouveau président à peine entré en fonctions. Choisira t-il l'option de la confrontation militaire avec les Occidentaux et leurs alliés dans la région, ce qui entraînerait le maintien des sanctions et donc l'asphyxie de l'économie iranienne ? Le risque social et politique, compte tenu de la tension observée au sein de la population iranienne, reste réel. De leur côté, les Occidentaux iront-ils jusqu'à l'organisation de représailles uniquement pour satisfaire Israël, fut-ce au prix de l'abandon des négociations sur le nucléaire iranien et de l'apaisement d'un conflit diplomatique qui dure depuis 2018 ? Ces questions se posent et devront trouver une issue dans les prochaines semaines. Il apparaît au demeurant clair que si Israël juge la réponse apportée à l'attaque du Mercer Street insuffisante, l'escalade se poursuivra entre les deux pays, ce qui insécurisera encore un peu plus une région stratégique pour le commerce mondial, et pourrait potentiellement renforcer le bellicisme des conservateurs iraniens et contribuer à les radicaliser, y compris sur le plan domestique.

L'hypothèse semble valable, car même si ses intentions envers les Occidentaux restent encore ambiguës, Ebrahim Raeissi a donné quelques indicateurs inquiétants lors de son intronisation le 3 août. En rappelant qu'il cherchait à obtenir la levée des sanctions, mais que « notre économie et notre subsistance ne serons pas dépendantes des négociations avec des étrangers », le nouveau président confirmait assez clairement un radicalisme et une méfiance qui reflètent ceux du Guide Suprême envers les Occidentaux. Raeissi a par ailleurs confirmé qu'il lui serait impossible de rencontrer son homologue américain. Sa méthode pour relever les multiples défis diplomatiques et domestiques qui l'attendent reste donc un mystère, cependant entaché de signaux des plus néfastes. Serait-ce un bon calcul, alors que Raeissi promet un gouvernement « populaire », capable de restaurer la confiance du peuple iranien et surtout de faire revivre l'économie iranienne ? Les prochains mois le diront rapidement.

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