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La Saint-Valentin n'était pas vraiment la fête des amoureux
La Saint-Valentin n'était pas vraiment la fête des amoureux
©Reuters

Féminisme avant l'heure

Aujourd'hui, le jour de la Saint-Valentin, très populaire en occident, n'a rien à voir avec la fête d'origine qui autorisait l'arrivée d'une troisième personne dans le couple, généralement le temps d'une nuit. Une habitude qui a progressivement disparu.

Michelle  Boiron

Michelle Boiron

Michelle Boiron est psychologue clinicienne, thérapeute de couples , sexologue diplomée du DU Sexologie de l’hôpital Necker à Paris, et membre de l’AIUS (Association interuniversitaire de sexologie). Elle est l'auteur de différents articles notamment sur le vaginisme, le rapport entre gourmandise et  sexualité, le XXIème sexe, l’addiction sexuelle, la fragilité masculine, etc. Michelle Boiron est aussi rédactrice invitée du magazine Sexualités Humaines

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Les occasions de fêter l’amour sont nombreuses. La Saint-Valentin le 14 février en est une qui tient toujours. A l’origine, le rituel de la Saint Valentin était celui d’une fête qui encourageait le tiers dans la relation amoureuse ! C’est assez surprenant que la signification en ait été complètement détournée, par rapport au sens premier de sa création. Je cite Serge Chaumier dans son excellent livre : La Déliaison amoureuse, Payot, 1999 qui fait référence au Valentin, le tiers :

"L’exclusion du tiers se réalise donc progressivement. Il n’est qu’à considérer l’évolution de la Saint- Valentin. Cette coutume venue du Nord, dite du "valentinage" concède aux épouses pour un jour -ou plus-, au vu et au su de leurs maris, toute familiarité avec un "valentin" ou "galantin", célibataire, choisi par le sort. "Vous m’aurez demain ; cette nuit est à mon amant", dit une femme dans une chanson de l’époque. D’emblée le tiers est là. Il sera peu à peu exclu au profit du mari-amant."

Les relations exclusives et la notion d’intimité datent du XVIIème siècle et c’est au XVIIIème siècle que la notion de "sphère intime" s’est imposée dans le mariage. L’église y a largement contribué et s’est battue pour que le mariage devienne le lieu à la fois de la relation sentimentale et de la reproduction. On voit bien alors comment le tiers dans la relation devient dangereux et n’a plus lieu d’être officiellement. C’est alors qu’apparait l’amant et du coup le mari se transformera en "cocu". La relation extérieure au mariage n’est plus admise, mais n’a pas disparue pour autant, elle est donc dissimulée. Le jeu d’alliances, qui était à l’origine le but pour inscrire la famille dans la succession des générations et garantir notamment les titres, les terres et les biens, ne se construisaient pas sur le sentiment amoureux.  

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L’amour est d’abord une construction sociale ; il évolue en fonction de la société, de la culture, de la religion et des mœurs du moment. De l’amour courtois à l’amour romantique en passant par la liberté amoureuse et le libertinage "l’amour toujours" revêt son habit stigmatisé par un cœur rouge. Le conte du Prince charmant et de la Princesse continue d’être décliné dans les films, les livres, les séries et fait rêver, largement relayé par la presse people, même si quelquefois c’est la Princesse qui fait de l’homme ordinaire son Prince : égalité des sexes oblige ! L’amour se réinvente, se renouvelle ; c’est ainsi depuis la nuit des temps comme en témoignent les mythes. Il y a même un art d’aimer qui diffère selon les rites, les cultures, les pays tout au long des siècles.

Aujourd’hui à l’aube de la Saint-Valentin, l’institution du mariage est très bousculée. Néanmoins l’ambiguïté subsiste entre un modèle d’amour fusionnel (archaïque) qui fait toujours rêver et un amour plus libre (moderne), où l’indépendance de chacun serait respectée. Sécurité affective et indépendance sont assez difficiles à conjuguer.

Ainsi dans  la société anxiogène dans laquelle on évolue, on peut remarquer une réelle tendance à rechercher une sécurité affective que l’amour incarne toujours. En témoigne la recrudescence des amours de jeunesse, d’enfance, dont les retrouvailles sont facilitées par les réseaux sociaux. Elles ne sont plus liées au hasard d’une rencontre fortuite mais se réaniment avec un ou une "ex" sur le terrain nostalgique du temps d’avant où tout était encore possible, ce qui plaide en faveur d’une croyance au grand amour qui ne serait pas totalement éradiqué. Il prend juste une autre forme d’espoir.

En parallèle aux retrouvailles ciblées, la tentation, illustrée par Adam et Eve, existe depuis la nuit des temps et est toujours d’actualité. Dans la Bible, c’est une pomme qui incarne la tentation. Aujourd’hui, cette même pomme est utilisée en publicité pour "tenter" les femmes à s’inscrire sur un site dédié aux couples mariés infidèles qui souhaitent "tromper" leur conjoint en toute tranquillité affective et surtout en toute déculpabilisation. Ce site aurait pu  avoir l’idée de se saisir de la Saint-Valentin pour leur promotion, s’il en connaissait le sens !  

En revanche, l’amour fait et fera toujours rêver l’humain et sera toujours le prétexte de nombreuses fêtes. Le couple d’aujourd’hui, même s’il ne croit plus à l’amour éternel, continue d’en rêver, chacun avec sa sensibilité.  Des invariants existent dans les unions qui se constituent à partir du sentiment amoureux : par exemple, l’homme est plus inscrit dans la discontinuité des relations amoureuses alors que la femme s’inscrit davantage dans la continuité.

Tout appelle aujourd’hui homme comme femme sans distinction à conserver une grande part d’autonomie et d’indépendance. La réalisation de soi est le mot d’ordre et le couple doit se renouveler et réinventer une nouvelle manière de vivre ensemble pour tenter d’y parvenir et éviter le huis clos. Le sacrifice de soi, le devoir conjugal, la soumission, à quelques exceptions près ne sont plus à l’ordre du jour. La frustration tend à ne plus être le modèle d’un schéma amoureux ; même pour l’hystérique qui revoit aussi ses fondamentaux : "le désir du désir insatisfait" cher à Lacan va peut-être disparaitre de la nosographie !   

Alors que ce soit le jour de la Saint Valentin ou un autre jour, force est de constater que la frustration, le manque et la baisse du désir jusqu’à l’absence totale de libido peut provoquer la pulsion, l’impulsion,  le désir de la rencontre avec un tiers, perspective d’un ailleurs possible ?

La Saint-Valentin circonscrivait le phénomène ; aujourd’hui il est en partie entre les mains des sites de rencontres et des réseaux sociaux. Ne renonçons pas à la magie de la rencontre, et provoquons le hasard. Quelle que soit la signification de la Saint-Valentin, c’est une belle occasion de s’aimer ! Bonne fête.  

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