Les maux dont souffrirait l’Occident diagnostiqués par les Diafoirus du wokisme <!-- --> | Atlantico.fr
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Bérénice Levet publie « Le Courage de la dissidence L'esprit français contre le wokisme » aux éditions de l’Observatoire.
Bérénice Levet publie « Le Courage de la dissidence L'esprit français contre le wokisme » aux éditions de l’Observatoire.
©Josep LAGO / AFP

Bonnes feuilles

Bérénice Levet publie « Le Courage de la dissidence L'esprit français contre le wokisme » aux éditions de l’Observatoire. Anonner le catéchisme républicain ou faire tintinnabuler la clochette de l'identité nationale, ces voies empruntées jusqu'ici se sont révélées bien impuissantes à endiguer la déferlante wokiste. Si, de tous les pays attaqués par le wokisme, il ne devait en rester qu'un, que la France soit celui-là. Ayons le courage de la dissidence civilisationnelle ! Extrait 2/2.

Bérénice Levet

Bérénice Levet

Bérénice Levet est philosophe et essayiste, auteur entre autres de La Théorie du Genre ou le monde rêvé des anges (Livre de Poche, préface de Michel Onfray), le Crépuscule des idoles progressistes (Stock) et vient de paraître : Libérons-nous du féminisme ! (Editions de L’Observatoire)

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Considérons les deux principaux arguments par lesquels les tenants de ces idéologies s’imposent. Ces études nous seraient non seulement un renouvellement et un enrichissement de méthodes, mais d’abord, elles auraient des vertus curatives : elles viendraient nous guérir de nos maux d’Occidentaux. Quels sont-ils, ces maux diagnostiqués par les  Diafoirus du wokisme et dont ces derniers posséderaient le remède ?

Notre prétention à l’universel nous abuserait et nous aveuglerait. Nos représentations ne refléteraient jamais que le regard de l’homme blanc hétérosexuel sur les êtres et les choses. Regard de dominant, de prédateur réduisant fatalement tout ce qui n’est pas lui à un objet. Vous n’en avez pas conscience ? C’est normal, nous rassure-t-on, on ne « se déconstruit » pas du jour au lendemain, et c’est bien pourquoi nous autres endormis, nous aurions besoin des  woke, ces autoproclamés « éveillés », et c’est pourquoi les institutions les convoquent. Nous pourrions toujours, avec Montaigne et l’idéal humaniste auquel il a donné sa plus belle et noble expression, postuler que « tout homme porte en lui la forme de l’humaine condition », ce ne serait là que ruse de la raison occidentale pour mieux « invisibiliser » tout ce qui n’est ni homme, ni blanc, ni hétérosexuel. Bref, ce masculin à portée prétendument générique ne serait à entendre qu’en son sens sexué.

« Est-ce la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui ne soit qu’à lui. Ma vie est la vôtre ; votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis. La destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. » À ces mots, magnifiques, que Victor Hugo inscrivit au seuil des Contemplations, l’idéologie diversitaire et victimaire n’a rien d’autre à répondre que ruse de la raison occidentale. Dans ce miroir, vous ne contemplerez que le mâle blanc hétérosexuel méprisant tout ce qui n’est pas lui.

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Notre regard de « blanc » serait fatalement le regard d’un dominant, fabriquant inlassablement et à foison des victimes ; de ce regard, nous serions incapables de nous extraire ; nos représentations en seraient de part en part imprégnées, à notre insu. Et là serait le nœud de l’affaire : englués que nous serions dans notre être d’Occidentaux, la lumière ne pourrait venir que de « nos victimes », elles seules pourraient se flatter de déceler ce fameux « impensé » colonial et/ou sexiste. Et chacun d’ânonner le refrain de la nécessité de « désoccidentaliser notre regard », de le « décentrer », de « faire place à l’altérité », ratifiant ainsi implicitement la thèse d’une essentielle partialité de l’intelligence occidentale.

Aussi serait venu le temps de chausser des lunettes diversitaires, de réécrire l’histoire nationale, l’histoire de l’art de la littérature d’un point de vue féministe, ou homosexuel, ou noir. L’humaine condition se trouve ainsi pulvérisée, décomposée, archipellisée en condition noire, condition féminine, condition musulmane, etc., et la liberté de l’esprit niée. Sauf que ce qui fait le penseur ou l’artiste est précisément la faculté de s’extraire de tout déterminisme, de se déplacer en esprit, de vivre d’autres vies que la sienne.

Si l’être humain ne recélait pas ce mystérieux pouvoir de se quitter, la pensée, l’art serait-il même possible ? Alchimie qui ne se fera jamais chimie. Énigme indéchiffrable. Et c’est pourquoi Flaubert peut concevoir et peindre avec une si profonde et inépuisable vérité Emma Bovary ou Colette, le Frédéric Peloux de La Fin de Chéri, cet homme brisé par l’épreuve de la Première Guerre mondiale, qui inspirera à Aragon le personnage d’Aurélien.

Quelle féministe aurait aujourd’hui la liberté de penser (et plus encore de dire) ce que Jeanine  Moulin, auteur dans les années 1970 de l’anthologie Huit siècles de poésie féminine pouvait encore écrire à savoir que « le seul poème qui rende à la perfection l’éveil d’une intelligence féminine à elle-même » était La Jeune Parque de Paul Valéry ?

Refusons d’entrer dans cette logique, école d’aveuglement bien plus que de dévoilement. L’esprit est libre, et nous ne dormons pas, et nous n’avons jamais dormi. L’esclavage et la colonisation ont rencontré ses plus vives et farouches critiques en Occident. Nous avons toujours eu des yeux et des larmes pour les vaincus de l’histoire, mais l’histoire n’est pas écrite en blanc et en noir.

L’idéologie diversitaire et victimaire conteste ainsi le cœur battant de notre être d’Européen. Comment pouvons-nous si aisément, si légèrement abdiquer devant pareille diatribe quand tout notre héritage et d’abord notre expérience, ainsi que l’expérience des hommes au fil des siècles et à travers le monde proteste – et avec force – contre ce réquisitoire ? Et quelle plus puissante réplique que celle de Césaire lorsque, interrogé sur les lectures qu’il prescrirait à un jeune Martiniquais qui lui demanderait « ce qu’il doit lire pour découvrir ce qu’il est », le poète répond : « La culture universelle ! Tout doit l’intéresser : le grec, le latin, Shakespeare, les classiques français, les romantiques, etc. »

Considérons à présent l’autre argument, corrélé au précédent, régulièrement invoqué  par les tenants des études diversitaires et victimaires : nous répugnerions à regarder notre histoire en face.

Là encore, la critique ne tient pas un instant. Nous n’avons pas attendu les décoloniaux, postcoloniaux, indigénistes, féministes et autres pour nous y employer. Regarder l’histoire en face dans ses heures glorieuses et ses heures plus sombres est le sens même de la démarche historiographique et nul de nos grands historiens n’a manqué à son devoir. De surcroît, il n’est pas excessif de dire que la lucidité est notre fort, mais aussi, bien souvent, notre faiblesse tant nous autres, Français, on l’a dit, cultivons l’art de la flagellation et de contrition.

Mais en réalité, ce n’est pas de regarder notre histoire en face qui nous est demandé mais de la lire, et de la condamner, dans les termes mêmes des idéologies wokistes. Cela ressortait de manière particulièrement éclatante d’un entretien accordé à l’hebdomadaire Télérama par le plasticien Kader Attia, commissaire de la 12e  Biennale de Berlin (12 juin 2022). L’artiste est la parfaite incarnation de ce wokisme de salon qui acclimate d’autant mieux les esprits aux thèses décoloniales et postcoloniales qu’il les assène tranquillement – ses propos exhalant (amplement aidé en cela par le journaliste qui l’interroge) un suave parfum d’évidence – et que l’homme ne cesse de protester de sa bonne volonté et de ses généreuses intentions, répétant qu’il « ne juge pas et qu’[il] n’en veu[t] à personne ». Et pourtant. Son discours a tout de l’ultimatum. Ainsi première sommation : « Tant qu’on n’admet pas que l’Occident et la modernité se sont constitués sur des crimes […]  : l’esclavagisme et le colonialisme », « on reste dans le déni, en maintenant le crime colonial et celui de l’esclavage dans un presque non-lieu ». Seconde sommation : répondre avec lui à la question « Qu’a-t-on hérité du colonialisme ? » : « le racisme systémique, qui englobe aussi bien celui de la boulangère du coin que les violences policières. » Et l’entretien de s’achever sur l’idée que le salut pour la  France ne pourra venir que de « Nous, Français dotés d’un héritage non européen ».

La réconciliation avec son histoire est pour un pays une nécessité absolue. Mais encore faut-il s’entendre sur la fin poursuivie. Connaître les faits afin de continuer l’histoire sur les meilleures bases possibles ou bien afin de faire la démonstration que cette histoire est de part en part condamnée et que cette civilisation ne saurait avoir d’avenir. Or, il est plus qu’éclatant qu’actuellement les regards tournés vers le passé le sont dans le but exclusif de prouver que cette forme de vie a fait son temps. Le salut ne pourrait venir que de notre disposition à nous « réinventer ».

Quant à cette proposition, généreuse en apparence, de travailler à la réconciliation des mémoires, elle ne regarde jamais que dans une direction  : il s’agirait de réconcilier la  France et la  République avec ses minorités, avec sa diversité, autrement dit de nous convertir au multiculturalisme et communautarisme anglo-saxons. Œuvrer à réconcilier lesdites minorités avec la France, leur donner à connaître et à aimer notre modèle, c’est-­à-dire leur donner à aimer la possibilité de vivre d’autres vies que la sienne seule, serait en revanche un très beau et noble programme, et véritablement généreux celui-là.

Extrait du livre de Bérénice Levet, « Le Courage de la dissidence L'esprit français contre le wokisme », publié aux éditions de l’Observatoire

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