Les leçons de Taïwan pour le monde sont insupportables pour Pékin <!-- --> | Atlantico.fr
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La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen prend la parole lors de la fête nationale devant le bureau présidentiel à Taipei, le 10 octobre 2020.
La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen prend la parole lors de la fête nationale devant le bureau présidentiel à Taipei, le 10 octobre 2020.
©SAM YEH / AFP

Crise diplomatique

Taïwan est la preuve que la démocratie est compatible avec la culture et la civilisation chinoises. Cette démonstration est ravageuse pour la vision du monde que tente d’imposer Xi Jinping.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Taïwan semble irriter beaucoup la Chine de Xi Jinping. Est-ce parce que l'île montre qu’une voie différente est possible et que la démocratie est compatible avec la culture asiatique et la civilisation chinoise ?

Emmanuel Lincot : Depuis la fin des années 80 et surtout en réaction contre la politique de répression du gouvernement communiste contre les étudiants à Tiananmen (1989), Taïwan a accéléré sa mue démocratique à  la différence du continent. Taïwan est en effet le contre-modèle dans la région de tous les pays dont les régimes autoritaires mettent en avant leur attachement aux valeurs confucéennes avec un respect sacro-saint de l'autorité  afin de mieux les opposer ainsi aux valeurs démocratiques des droits de l'homme. On pense bien sûr de ce point de vue à la Chine continentale mais aussi à Singapour et de toute évidence Taïwan montre qu'au contraire une société, pourtant de culture chinoise et façonnée par les valeurs confucéennes, peut être également respectueuse de principes démocratiques. En cela, Taïwan, dans  son existence même, est insolente car elle perturbe des stéréotypes que l'île a depuis des décennies déjà largement dépassés. Mais au-delà de la question des valeurs, Taïwan équivaut en comparaison à la question de l'Alsace et de la Lorraine pour les Français sous la III° République. Pour Pékin et une grande partie de l'opinion continentale, Taïwan est chinoise. Mais la société taïwanaise le conçoit désormais différemment et le libre débat y a permis aussi la redécouverte d'un passé de l'île qui n'avait pas toujours été exclusivement chinois. L'île a été, de 1895 à 1945, une colonie japonaise d'une part et avant même la période moderne, ses habitants, aborigènes, avaient dans les faits des affinités linguistiques et de mœurs beaucoup plus grandes avec leurs contemporains de l'Océanie voire de Madagascar. Ce sont ces différentes redécouvertes et celle de la diversité de leur rapport au passé plus complexe de l'île et de ses habitants qui a creusé l'écart avec le continent. 

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L’efficacité économique ainsi qu’un certain libéralisme sur le terrain des mœurs, à l’opposé de ce que veut incarner la Chine, renforcent-ils l’opposition ?

Emmanuel Lincot : Taïwan n'est tout simplement pas une société de contrôle comme l'est celle du continent. Parce que c'est une démocratie et en cela les mœurs politiques qui sont en pratique sur l'île sont libérales. Les  principes  sur lesquels elles s'appuient reposent sur une logique qui est celle de la séparation des pouvoirs. C'est toute la différence avec la dictature chinoise dont les principes, à l'inverse, reposent sur une logique de confusion totale des pouvoirs. Cette dernière engendre corruption par nature et dans son mode de fonctionnement, crainte de la sanction, mutisme, inhibition et frustration. La société taïwanaise se trouve ainsi confortée dans ses choix, échaudée par le sort peu enviable des gens de Hong Kong. Taïwan est aussi en cela aux avant-postes de l'opposition entre sociétés démocratiques - dont la nôtre - et dictatures. 

Le rapport de force semble particulièrement dissymétrique. Taiwan peut-il vraiment représenter une menace pour le modèle chinois en restant cet îlot aux aspirations différentes de son géant voisin ? Est-il en mesure de résister à l’influence chinoise ?

Emmanuel Lincot : Le rapport de force militaire est depuis la fin des années quatre-vingt dix inégal et Taïwan supporterait très difficilement le choc d'une invasion sans le soutien essentiel des Etats-Unis. Cette confrontation a déjà commencé: quotidiennement, l'île doit contrer des millions, je  dis bien des millions, de cyberattaques lancées depuis le continent pour tenter de paralyser ses systèmes de communication. A l'inverse, sur le plan économique, le rôle exercé par les multinationales taïwanaises est considérable. D'elles dépendent la fabrication des microprocesseurs et de plus de 30 millions d'emplois même si un certain nombre de ces entreprises ont décidé de délocaliser leurs activités, en Inde notamment, et ce, avant même la Covid-19. Par conséquent, les rivalités inter-détroits sont symptomatiques de ce que l'on observe partout ailleurs dans le monde. Nous assistons, en effet, à un découplage entre les enjeux stratégiques d'une part, et économiques de l'autre. C'est cette tension qui est facteur de crise, et de risque guerre qui, elle, pourrait très vite s'internationaliser dès lors ou les Etats-Unis y prendraient leur part.

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Que pourrait faire Taiwan pour pousser les choses à son avantage ?

Emmanuel Lincot : Sa marge de manœuvre est étroite mais à la faveur de la pandémie, l'île a accumulé un capital de sympathie et nombre de pays occidentaux n'hésitent plus à prendre des initiatives encore symboliques certes mais qui eurent été inimaginables il y a encore deux ans.  L'avenir de Taïwan passe aussi par l'abandon sémantique de son appellation de "République de Chine". Cela sera une décision lourde de conséquences mais son émancipation pleine et entière et partant, sa reconnaissance en dépendent.
Professeur à l'Institut Catholique de Paris, spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Emmanuel Lincot est l'auteur de La Chine face au monde: une résistible ascension (aux éditions Capit Muscas).

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