Les Latinos : le facteur oublié de l’équation présidentielle américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Une double révolution est en train de passer inaperçue aux Etats-Unis. A savoir que la communauté hispanique détient la clé du scrutin de novembre et que le prochain président pourrait bien être un « latino » ! Marco Rubio pourrait bien être l'élu...
Une double révolution est en train de passer inaperçue aux Etats-Unis. A savoir que la communauté hispanique détient la clé du scrutin de novembre et que le prochain président pourrait bien être un « latino » ! Marco Rubio pourrait bien être l'élu...
©Reuters

Trans-amérique Express

Trump additionne les succès. Avec le Nevada, il vient de signer sa troisième victoire consécutive. Et quelle victoire ! 45% des votes, contre 24% à son premier poursuivant, Marco Rubio.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Il est beaucoup trop tôt pour que Donald Trump ne crie victoire. Il n’a accumulé que 82 délégués sur les 1 200 nécessaires à sa nomination. Mais les choses vont plutôt bien pour lui.

Toutefois dans le tohu-bohu de ses succès tapageurs, une double révolution est en train de passer inaperçue aux Etats-Unis. A savoir que la communauté hispanique détient la clé du scrutin de novembre et que le prochain président pourrait bien être un « latino » ! Une première historique et le reflet d’un bouleversement de la société américaine en cours depuis un demi-siècle.

Il n’a échappé à personne que Trump ne faisait pas l’unanimité parmi les dirigeants du parti républicain. Du fait de son caractère impérieux et abrasif. Et surtout du fait que tous les sondages le donnent perdant face à Hillary Clinton en novembre ! Clairement les pontes du GOP souhaiteraient que l’un des deux principaux challengers de Trump, Ted Cruz et Marco Rubio, l’emporte. Or tous les deux sont des « latinos », c’est-à-dire des Américains d’origine hispanique. Cruz et Rubiosont d’origine cubaine. Si l‘un deux venait à emporter la nomination – ce qui reste mathématiquement très possible – les Etats-Unis auraient pour la première fois de leur histoire un candidat et peut-être un président d’origine hispanique…

Les Etats-Unis comptent 58  millions de citoyens et résidents « hispaniques ».  Soit 18% de la population. Deux fois plus qu’il y a vingt ans. Parmi eux, vingt- huit millions sont en âge de voter. C’est dix millions de plus que le nombre de noirs Américains ayant voté en 2012.

Les « hispaniques », ou « latinos », sont les Américains originaires d’un pays dont la langue est l’espagnol. Il s’agit principalement des immigrants venus d’Amérique centrale et latine, ou des Caraïbes. Les Mexicains sont le contingent le plus importants puisqu'ils représentent à eux seul près des deux tiers des hispaniques (64%). Viennent ensuite les Portoricains (9%), les cubains (3,5%) et les Salvadoriens (3%).

Ils sont présents sur tout le territoire américain, mais particulièrement dans le sud-ouest, la Floride et quelques Etats du nord-est. En Californie, les latinos sont déjà la première des minorités. Devant les « blancs d’origine européenne ». Ils ont conquis tous les échelons du pouvoir, sauf le poste de gouverneur, pour l’instant. Même chose dans de nombreux comtés du Texas. La ville de Laredo, au Texas, détient la plus forte proportion d’hispaniques du pays, 96%... Ainsi plus de cent-cinquante ans après la guerre entre les Etats-Unis et le Mexique qui avait débouché sur l’annexion des territoires du Texas, du Nouveau Mexique, de l’Arizona, du Nevada, de l’Utah et de la Californie, par les Etats-Unis, les Mexicains sont en train de reconquérir et de re-coloniser ces terres, sans armes, mais avec leur pieds…

Cette concentration fait que leur vote, en novembre, sera susceptible de faire la différence dans les fameux « swing states ».  Avec une incidence majeure sur le vote du Collège électoral, ultime étape de l’élection américaine. En Californie et au Texas, les Latinos  représentent 36% de la population, au Nevada, 26%, en Arizona, 23%, dans le Colorado, 16%, en Floride 20%. Ces quatre derniers Etats, disposent respectivement de 6, 11, 9 et 29 sièges au Collège électoral et sont considérés comme des « swing states »…

Les Hispaniques sont la plus dynamique et la plus jeune des minorités américaines. Parmi les Américains de moins de 20 ans, un sur quatre est un latino ! Presque tous sont des « native born », c’est-à-dire qu’ils sont nés aux Etats-Unis. Chaque année plusieurs centaines de milliers de ces « millenial latinos » (génération née après 1990), s’inscrivent sur les listings électoraux. Depuis 2012, ce sont 1,2 million de nouveaux électeurs hispaniques qui sont à prendre en compte. 

Les Hispaniques votent majoritairement démocrate. Aux élections de mi-mandat de 2010, 60% ont choisi ce parti contre et 38% le parti républicain. Lors de la présidentielle de 2012, c’est 71% d’entre eux qui se sont rassemblés derrière Barack Obama, contre seulement 27% derrière Mitt Romney. Le candidat républicain avait payé ses positions hostiles aux immigrants clandestins.

De sorte qu’en 2016, avec l’importance prise par la question de l’immigration dans la campagne républicaine, et la volonté véhémente affichée par certains candidats de fermer les frontières et renvoyer chez eux les clandestins, le vote hispanique semble à nouveau largement acquis au camp démocrate. Cela pourrait changer, précisément si l’un des deux hispaniques en lice chez les Républicains emporte la nomination.

Ted Cruz est né en 1970 d’une mère américaine et d’un père cubain. Son père était venu au Texas, avant la révolution castriste. Pour faire des études, qu’il finança en travaillant le soir. Il n’est jamais retourné sur son île natale, et a obtenu une carte verte, puis la nationalité américaine en 2005. Ayant vécu et travaillé au Canada, il possède également cette nationalité. C’est d’ailleurs à Calgary, au Canada qu’est né Ted, prénommé initialement Rafael Edward. Sa mère étant américaine, il est un « naturalborncitizen » et donc éligible pour la présidence. Ses parents ont divorcé en 1997. Lui a épousé une jolie californienne blonde et blanche, fille de missionnaires, devenue conseillère financière. .

Marco Rubio est né à Miami en 1971 de deux immigrés cubains. Sa mère était femme de ménage et son père barman. Tous deux étaient aussi arrivés aux Etats-Unis avant la révolution, mais ils n’étaient pas encore naturalisés américains à la naissance de leur fils. Rubio a épousé une ancienne camarade de lycée, fille d’immigrants colombiens, de religion catholique. Ils ont quatre enfants, dont leur mère s'occupe à plein temps.

Tous deux parlent espagnol. Rubio mieux que Cruz. Il a d’ailleurs donné plusieurs interviews à la principale chaîne de télévision en espagnol des Etats-Unis, Univision.

Comme Marco Rubio, 55% des hispaniques sont catholiques. Seulement 22% protestants. Mais chez ces derniers près de huit sur dix appartiennent à la mouvance « évangélique ». Comme Ted Cruz qui est un « southern baptist ». La cohésion communautaire et l’éthique du succès personnel occupent une large place dans le message évangélique et la communauté hispanique y est sensible.

D'où le sentiment chez les Républicains que beaucoup sont des électeurs du Grand Old Party qui s’ignorent et qu’il faut aller les chercher. Nombre d’immigrants latinos ont la veine entrepreneuriale. Dès qu’ils le peuvent, ils montent des ateliers d’artisans et des petits commerces. Le cœur de cible du parti de l’éléphant. Ils croient aux vertus de  la famille traditionnelle, et aux liens sacrosaints du mariage. Ils rejettent le mariage homosexuel et parfois même le divorce,condamnent l’avortement,et préfèrent,pour leurs enfants, les écoles privées religieuses aux écoles publiques. Sur la drogue, ils prônent la répression plutôt que la tolérance, et sont favorables au contrôle des armes à feu, vue leur prolifération au sein de certains quartiers. Il existe en effet, au sein de la communauté hispanique un sous prolétariat criminalisé terreau du gangstérisme. La moitié des membres des plus de trente mille gangs recensés aux Etats-Unis sont des  latinos.

Par contre sur la question de l’immigration, plus de 80% des hispaniques s’opposent à la volonté des Républicains de déporter les clandestins, ou pire de construire un mur le long de la frontière mexicaine.

Toutefois, l’identité ethnique n’est en aucun cas une garantie de  ralliement des électeurs. D'autant qu’il existe des rivalités, voire des hostilités,  au sein même de la communauté hispanique. Ainsi les mexicains jalousent les cubains. Du fait du contexte politique de la Guerre Froide l’immigration en provenance de Cuba a longtemps été favorisée. Ceux qui parvenaient à effectuer la traversée pour rejoindre la Floride trouvaient à leur arrivée des associations de soutien, des bons alimentaires (« foodstamps ») et même parfois une carte verte. Les mexicains qui traversaient le Rio Grande devaient au contraire se débrouiller par eux, et vivre dans l’illégalité pendant des années en espérant une loi d’amnistie…

En 2000 George W. Bush, qui avait été un gouverneur du Texas très ouvert à l’immigration et à l’intégration des latinos, avait obtenu 40% du vote hispanique. Aucun républicain n’a fait mieux depuis lors d’une élection présidentielle. Il est peu probable que le candidat du GOP gagne la majorité de cet électorat en novembre prochain. Surtout si ce candidat est Donald Trump…

Néanmoins les démocrates ne considèrent pas cet électorat comme « acquis ». Les latinos sont présents et très choyés au sein de l’équipe d’Hillary Clinton. Le co-président de sa campagne est  Antonio Vallaraigosa, ancien maire de Los Angeles et président de la Convention nationale de 2012. L’un des noms les plus souvent cités pour être désigné comme vice-président sur le ticket Clinton est celui de Julian Castro. Ce fils d’immigrants mexicains est devenu à 38 ans le maire de la ville texane de San Antonio. Il a aussi prononcé un discours mémorable lors de la convention démocrate de 2012. Depuis Barack Obama en a fait son secrétaire au Logement et à l’urbanisme. Il est avec son frère jumeau Joaquin, élu du Congrès, l’une des figures montantes du parti démocrate…

De sorte que la présence d’un, ou de plusieurs hispaniques, sur les tickets présidentiels de 2016, est une quasi-certitude.

L’Amérique a changé de visage au cours des quarante dernières années. La capacité d’un Donald Trump à monopoliser les média détourne l’attention de cette évolution plus profonde, et aux conséquences plus lourdes. 

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