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Une manifestante brandit un portrait de Mahsa Amini lors d'un rassemblement, le 20 septembre 2022, à Téhéran.
Une manifestante brandit un portrait de Mahsa Amini lors d'un rassemblement, le 20 septembre 2022, à Téhéran.
©AFP

Mort de Mahsa Amini

La mort suspecte de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans qui avait été arrêtée par la police des mœurs, a fait naître une vague de révolte en Iran.

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar est directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis, EHESS-CNRS). Il a publié de nombreux ouvrages dont La Radicalisation (Maison des sciences de l'homme, 2014), Avoir vingt ans au pays des ayatollahs, avec Amir Nikpey (Robert Laffont, 2009), Quand Al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), et L'Islam dans les prisons (Balland, 2004).

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Atlantico : La mort de Mahsa Amini, réprimée par la police des mœurs, a entraîné une vague de protestations contre le port du hidjab. Où en est la situation ?

Farhad Khosrokhavar : Les protestations ont fait tache d’huile, avec des premiers signes de mécontentement dans la ville de Saqqez, d'où était originaire la jeune fille, puis dans les grandes villes. Les manifestants protestent contre l’incapacité du régime à gérer l’économie, la forte corruption et bien sûr les restrictions vestimentaires imposées aux femmes. Le régime ne s’attendait pas à l’extension de ce mouvement, au sein duquel beaucoup d’hommes participent. Les femmes ont davantage de mal à sortir dans les petites villes, où la tradition domine.

Par le passé, Il y a déjà eu beaucoup d’espoir de moments de libéralisation en Iran voire de renversement de la république islamique. Tous ont toujours échoué. Pourquoi ?

Les espoirs se sont lentement envolés depuis la présidence de Mohammad Khatami (1997-2005) avec ceux qu’on appelait les réformistes. Malheureusement, ils n’ont pas pu s’imposer. 

Les différentes manifestations qui ont eu lieu par la suite ont échoué en raison de leur caractère sporadique et de leur manque d'organisation, dus à la répression très forte dès que le régime y voit les prémices d’une manifestation. En 2009, lors du grand “mouvement vert”, des millions de personnes étaient descendues dans la rue, mais le régime a étouffé le mouvement de manière progressive, sans avoir recours à une brutalité massive (150 morts pour un mouvement qui avait duré plusieurs mois, ce qui selon les standards du Moyen-Orient est un chiffre "modéré"). 

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Depuis 2016, la brutalité est de plus en plus marquée et ressemble à celle qui opère en Syrie, qu'on pourrait appeler le modèle syrien de l'hyper-répresssion. Après les sanctions imposées par Donald Trump à l’Iran, l’inflation a poussé les Iraniens à manifester : l’essence a été multipliée par trois, les produits de première nécessité ont fortement augmenté (d’où le nom de “mouvement des oeufs” en 2018). Plus de 160 villes iraniennes étaient concernées, et la réponse du régime a été terrifiante, réprimant le mouvement à coup de mitraillettes et de chars. 1500 personnes ont été tuées au cours des manifestations. Les Iraniens rentraient petit à petit chez eux à cause de la répression et de la peur de la guerre civile. 

En somme, la répression, l'intimidation et l’absence d'organisation empêchent tout mouvement de peser sur le régime. Les printemps arabes ont permis aux régimes totalitaires de “s’éduquer”, de comprendre les failles qui pouvaient les faire tomber. Dès lors, ils coupent rapidement internet et les réseaux sociaux afin de ne pas nourrir les manifestations. 

Les choses pourraient-elles être différentes cette fois-ci ? Le régime iranien, qui fait régulièrement face à la gronde de la population en raison des problèmes socio-économiques, est-il mis sous pression ?

On ne peut pas le savoir. Ce mouvement n’est pas à même de contester le régime tel qu’il existe à l’heure actuelle, mais si le régime ne parvient pas à le mater, il peut se transformer en un mouvement global qui peut produire des effets dévastateurs pour le régime. Il y a eu cinq morts mardi, et on en est déjà à huit au moins ce mercredi. 

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Le carcan politique, sociologique iranien n'est-il pas trop fort pour réellement permettre un essor des libertés ?

Il n’y a que des libertés transgressives aujourd'hui, c'est-à-dire des libertés qui remettent en cause le régime et ses modes de domination totalitaire. Le Parlement est dominé par les conservateurs, alias les islamistes radicaux. Sous khatami,il y avait une possibilité timide de divergences avec le régime. L’espérance était là. Aujourd’hui, les membres du Parlement sont derrière le guide suprême Ali Khamenei. Les réformistes ont disparu de la sphère politique et ils n'ont plus de crédit.

Sur quels fondamentaux sociétaux le régime des mollahs assoit-il son pouvoir ?

Principalement sur l’échec des mouvements sociaux, notamment celui de 2009. Mais je pourrais dire la même chose à propos des régimes égyptien, libanais et algérien. Ce sont des régimes qui ne sont pas au pouvoir du fait de leur légitimité intrinsèque mais grâce au désespoir et à l’impuissance des protestataires et des acteurs sociaux. Toute une génération d’activistes pour la démocratie ont été réduits à l’exil ou torturés dans les précédents mouvements sociaux. 

Il y a une pénurie d'acteurs sociaux contestataires. Les seuls acteurs sociaux dignes de ce nom sont les femmes, qui refusent de se voir imposer la répression qui s'abat sur les Iraniens. Les femmes sont aussi bien éduquées que les hommes, et composent la majorité dans les universités. Il y a une prise de conscience de l’inégalité entre les hommes et les femmes et une conscience aiguë de citoyenneté chez les femmes qui leur donne une position d'avant-garde dans les protestations. 

Peut-on imaginer qu’il lâche la bride sur la question du voile ou sur d’autres ?

Le régime a conscience que s’il lâche un peu de lest, cela sera perçu par la population comme un signe de faiblesse. Dans les régimes totalitaires ou quasi totalitaires, la répression doit être de plus en plus forte pour ne pas renforcer les mouvements. Aujourd’hui, je vois mal comment le régime peut montrer des signes d’ouverture. 

Quant aux contestataires, pour s’imposer à l’avenir, ils doivent réinventer de nouvelles formes de protestations qui ne pourraient pas être prévues par le régime.

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