Les inégalités de patrimoine aux Etats-Unis sont les plus fortes depuis la Deuxième Guerre mondiale. Et en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon le site Realtime Inequality, la concentration de la richesse dans les mains d’un même groupe à la fin de 2021 était à son niveau le plus élevé de l'après Seconde Guerre mondiale.
Selon le site Realtime Inequality, la concentration de la richesse dans les mains d’un même groupe à la fin de 2021 était à son niveau le plus élevé de l'après Seconde Guerre mondiale.
©SAUL LOEB / AFP

Modèle américain

Des économistes de l'Université de Californie (Berkeley) ont créé un outil en ligne pour étudier les inégalités de patrimoine. Ce dispositif, Realtime Inequality, calcule la répartition de la croissance économique entre les groupes de revenus et de richesse. Il donne un nouvel aperçu de ce qui est arrivé à diverses couches de la population pendant la pandémie.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Selon des économistes de l'Université de Berkeley ayant mis en ligne le site Realtime Inequality, média ayant mis l’accent sur la question de l’inégalité, la concentration de la richesse dans les mains d’un groupe de personnes à la fin de 2021 était à son niveau le plus élevé de l'après-Seconde Guerre mondiale. Qu’est ce qui explique que les inégalités de patrimoine soient si fortes aux Etats-Unis ?

Philippe Crevel : Il y a d’abord une forte valorisation des actifs financiers en particulier ceux du NASDAQ, liés aux nouvelles technologies : cela contribue au patrimoine des fondateurs de Google, Tesla et autres milliardaires. Le système fiscal américain est aussi très particulier. A partir d’un certain montant de patrimoine et de revenus, on taxe moins. Le système est bien moins progressif qu’en Europe ou en France. Dans les périodes de forte valorisation que l’on connaît depuis une trentaine d’années, cela accentue les inégalités de patrimoine et cette concentration. C’est ce que montre le site Realtime Inequality et cela conforte aussi les travaux de Thomas Piketty sur le sujet. La crise sanitaire a entraîné un essor des valeurs technologiques et donc du patrimoine de leur propriétaire. Toutefois il est à noter qu’on observe un rattrapage après une situation exceptionnelle permise par des facilités monétaires et la digitalisation des économies. On a déjà vécu des phénomènes similaires avant la guerre de 14-18, un peu dans les années 20. Cela a donné lieu aux lois anti-trust et au développement des fondations pour « légitimer » les inégalités. On retrouve la même chose aujourd’hui. Même causes, mêmes conséquences. Dans un pays qui raffole des actions, ceux qui en ont vont accroître fortement leur situation patrimoniale. L’immobilier est un phénomène plus complexe aux Etats-Unis qu’en Europe. La crise des subprimes a entraîné une forte chute mais cela remonte depuis 4 ou 5 ans. Mais les inégalités de patrimoine sont surtout financières.

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Faisons-nous face aux mêmes problématiques d’inégalités de patrimoine en France ? Les facteurs sont-ils les mêmes qu’aux Etats-Unis ?

Il y a des logiques identiques mais pas uniquement et elles ne sont, de toute façon, pas de la même ampleur. Il y a évidemment des questions de valorisations immobilières et financières. Au-delà de ça, il y a des problématiques de vieillissement de la population. Plus de la moitié du patrimoine français est concentré chez les plus de 50 ans. Cela conduit à des inégalités entre ceux qui ont pu accumuler pendant leur vie et les autres. En France, ce sont moins des valeurs technologiques que les valeurs du luxe qui vont être à l’origine du phénomène. Par ailleurs, les impôts sont bien plus élevés qu’aux Etats-Unis, en particulier sur les droits de succession. L’impôt sur le revenu est aussi plus progressif ce qui, de facto, réduit les inégalités. Elles se sont légèrement accrues pour les 0,1% les plus riches mais surtout pour les 0,01% les plus riches. C’est un nombre très limité de personnes qui a vu sa situation s’améliorer, à la fois sur le temps long mais aussi ces dernières années. Aux Etats-Unis, c’est sur le 1%, voire les 10% qu’il y a eu un creusement de l’écart. Là encore, la crise sanitaire a renforcé le patrimoine des plus riches. C’est notamment lié à la bonne tenue du luxe et plus généralement du CAC40 (+28,85 % en 2021) et à l’immobilier qui n’a pas baissé.

Qu’est-il possible de faire, en France, sur le sujet des inégalités de patrimoine ? Pouvons-nous encore agir ? Le faut-il ?

Le patrimoine ne fait pas toujours la richesse réelle. Un bien industriel fait partie du patrimoine mais sa valeur réelle n’est liée qu’à la production et à des marchés spéculatifs. Si l’entreprise ferme, cela ne vaut plus rien. Il ne faut pas mettre le patrimoine au pilori en l’assimilant à la rente ou à la spéculation. En revanche, pour qu’une société soit efficace, il ne faut pas que les inégalités soient trop importantes. Il faut une juste mesure, un système fiscal qui soit le même pour tous, etc. Les sociétés très inégalitaires sont peu performantes en termes de croissance. Plusieurs solutions existent, certaines valent mieux que d’autres. On peut encadrer les loyers, lever des impôts sur le capital, etc. mais ça ne résoudra pas les problèmes de logement et il n’est pas sûr que ça fasse diminuer les prix. Il faut plutôt travailler sur l’offre. Pour les inégalités liées à la valorisation boursière, on peut inciter les entreprises à donner une partie de leur résultat aux salariés sous la forme de l’intéressement ou la participation. Cela peut aussi être la distribution d’action. On peut éventuellement s’inspirer de ce qui se fait en Allemagne. Cela peut venir en complément de la fiscalité. Aujourd’hui, il y a un débat entre ceux qui sont pour l’allègement des droits de succession et ceux qui sont pour le durcissement absolu de ces derniers, avec une spoliation au-delà de 12 millions par exemple, ce qui risque de faire partir les patrons à l’étranger. C’est un débat passionnel mais il faut raison garder pour maintenir la pérennité des entreprises. Certains préconisent de doter tous les jeunes d’un revenu minimum, mais je ne suis pas sûr que cela soit efficace. Il faut favoriser la mobilité du capital. Enfin, il ne faut pas oublier que ce que l’on dépeint actuellement est une photocopie du passé et que le mouvement qui a permis l’augmentation des inégalités de patrimoine dans le contexte très particulier de la pandémie semble s’inverser. Il ne faudrait pas courir derrière un lièvre qui a déjà été tué.

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