Les hommes de l’ombre du Kremlin : la garde rapprochée qui a façonnée Vladimir Poutine <!-- --> | Atlantico.fr
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Catherine Belton publie « Les hommes de Poutine: Comment le KGB s'est emparé de la Russie avant de s'attaquer à l'Ouest » chez Talent Editions.
Catherine Belton publie « Les hommes de Poutine: Comment le KGB s'est emparé de la Russie avant de s'attaquer à l'Ouest » chez Talent Editions.
©Pavel Golovkin / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Catherine Belton publie « Les hommes de Poutine : Comment le KGB s'est emparé de la Russie avant de s'attaquer à l'Ouest » chez Talent Editions. Catherine Belton, ancienne correspondante à Moscou et journaliste d’investigation, révèle l’histoire inédite de la manière dont Vladimir Poutine et son entourage d’anciens du KGB ont pris le pouvoir en Russie. Extrait 1/2.

Catherine Belton

Catherine Belton

Catherine Belton est une journaliste d’investigation britannique, longtemps correspondante du Financial Times à Moscou.

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Vladimir Poutine avançait seul sous les voûtes du grand palais du Kremlin. Il semblait écrasé par la majesté de la cérémonie d’investiture présidentielle. Le visage solennel, léger sourire, yeux baissés, et la démarche un brin hésitante, il portait un costume sombre qui ressemblait beaucoup à l’uniforme de l’employé de bureau lambda. On l’avait entraîné à passer inaperçu, à se fondre dans la masse. Mais aujourd’hui, des trompettistes en uniforme impérial blanc et or annonçaient son arrivée et des serviteurs de l’État qui se pressaient dans les salles aux murs recouverts d’or du palais applaudissaient chacun de ses pas sur l’interminable tapis rouge sous les étincelantes lumières de la salle Andreyevsky.

Nous étions le 7 mai 2000. Le kandidat rezident venait d’arriver au Kremlin. L’ancien officier du KGB qui, huit mois plus tôt, n’était qu’un de ces bureaucrates sans visage, était sur le point de devenir le président de la Fédération de Russie. L’or sur les murs et les lustres trahissait la volonté des hommes du KGB à voir renaître la Russie impériale et les contrats illicites de Mabetex grâce auxquels le Kremlin avait acquis une grandeur jamais vue jusque-là – et Poutine avait accédé au pouvoir.

On n’avait jamais vu une telle splendeur pendant une investiture au Kremlin – c’était la première fois que les salles du palais récemment restaurées étaient ouvertes pour une cérémonie officielle – et jamais dans l’histoire du pays il n’y avait eu de passation de pouvoir pacifique entre un Président et son successeur. La pilule a dû être amère pour Boris Eltsine d’être entouré du luxe qui avait causé sa perte. Mais il est resté stoïque, le buste droit même s’il a eu un peu de mal à contenir son émotion pendant qu’il louait la liberté durement acquise du pays. « Nous pouvons être fiers que cette passation se fasse dans le calme, sans révolution ni putsch, dans le respect et la liberté », a-t-il déclaré. « Cela n’est possible que dans un pays libre, un pays qui a non seulement cessé de craindre les autres mais aussi de se craindre lui-même... Cela n’est possible que dans une nouvelle Russie, un pays dans lequel nos concitoyens ont appris à vivre et à penser librement. Nous avons écrit l’histoire de la nouvelle Russie en repartant sur de bonnes bases... Nous avons traversé beaucoup d’épreuves difficiles, surmonté beaucoup de difficultés. Mais aujourd’hui, nous avons tous quelque chose dont nous pouvons être fiers. La Russie a changé. Elle a changé parce que nous avons su prendre soin d’elle... et défendre avec force notre plus grande réussite – la liberté... Nous avons évité au pays de sombrer dans la dictature. »

Les mots d’adieu d’Eltsine ressemblaient presque à un avertissement. Mais l’homme qui reprenait le flambeau ce jour-là était résolu et concentré et lorsqu’il a pris la parole, il a évoqué un État russe restauré dans lequel toute l’histoire du pays – aussi brutale soitelle – devait être honorée et préservée. Bien qu’il ait fait semblant de respecter les réalisations démocrates de la Russie, l’idée maîtresse de son discours était aussi différente de celle d’Eltsine que la nuit du jour : « L’histoire de notre pays s’inscrit sur les murs du Kremlin depuis des siècles. Nous n’avons pas le droit d’être “les Ivan qui ne se souviennent pas de leur naissance”. Il ne faut rien oublier. Nous devons connaître notre histoire telle qu’elle est et en tirer des leçons et toujours nous souvenir de ceux qui ont créé l’État russe et défendu ses valeurs, qui en ont fait un grand et puissant État. Nous préserverons cette mémoire et ce lien à travers le temps... et tout le meilleur de notre histoire, nous le transmettrons à nos descendants. Nous croyons en notre force, nous sommes persuadés que nous pouvons vraiment transformer notre pays... Je peux vous assurer que dans mes actions, je ne serai guidé que par les intérêts de l’État... Je considère qu’il est de mon devoir sacré d’unir le peuple russe, de le rassembler autour d’objectifs et de tâches précis et de ne pas oublier, chaque jour et chaque minute qui passe, que nous avons une Patrie, un peuple et qu’ensemble nous avons un avenir commun. »

Aux premiers rangs de ceux qui l’ont applaudi ce jour-là, il y avait les membres de la Famille Eltsine qui avaient contribué à son accession au pouvoir. Le premier d’entre eux était Alexander Volochine, l’ancien brillant économiste qui avait été chef de cabinet d’Eltsine. À côté de lui, il y avait Mikhaïl Kasyanov, à la voix rauque et au torse bombé, un autre héritier d’Eltsine qui avait gravi les échelons pour devenir ministre des Finances, en charge de la gestion des paiements des dettes extérieures stratégiques de la Russie et qui avait été nommé Premier ministre par intérim lorsqu’Eltsine avait remis les rênes à Poutine le soir du Nouvel An. Comme signal du pacte de continuité que Poutine avait conclu avec la famille d’Eltsine, son premier acte en tant que Président avait été de reconduire Kasyanov au poste de Premier ministre. Un peu plus tard, en mai, Volochine faisait son retour au Kremlin en tant que chef de l’administration présidentielle.

Mais cachés et noyés dans la masse des fonctionnaires qui se pressaient dans la salle Andreyevsky, il y avait les hommes du KGB qui avaient effectué le voyage depuis Saint-Pétersbourg dans les valises de Poutine. À cette époque, on les voyait et on les entendait rarement. C’étaient des siloviki qui, d’abord en union avec les fonctionnaires d’Eltsine puis plus tard en toute indépendance, ne manqueraient pas de montrer les crocs et de se faire remarquer. Quelques jours après l’inauguration, ils enverraient un signal fort indiquant que la décennie de liberté dont Eltsine était si fier touchait à sa fin.

Parmi eux, il y avait des hommes d’affaires liés au KGB comme Iouri Kovaltchouck, l’ancien physicien qui était devenu le plus grand actionnaire de la banque Rossia, la banque de SaintPétersbourg créée par le Parti communiste au crépuscule de l’Union soviétique. Il y avait aussi Guennadi Timtchenko, le soi-disant ancien agent du KGB qui avait travaillé en étroite collaboration avec Poutine pour contrôler les exportations de pétrole de la ville. Ces hommes s’étaient enrichis au prix d’une lutte féroce au sein de l’économie de Saint-Pétersbourg et ils lorgnaient désormais sur les richesses de Moscou. Également dissimulés parmi les foules sans visage, il y avait un réseau d’alliés peu connus de Poutine qui avait servi avec lui au KGB de Leningrad et qu’il avait fait venir comme adjoints lors de sa nomination en tant que chef du FSB en juillet 1998. Peu de gens y avaient prêté attention.

Parmi eux, il y avait Nikolai Patrouchev, l’agent grincheux et expérimenté qui, d’après un ancien fonctionnaire du Kremlin, avait fulminé d’avoir été pris en flagrant délit dans le complot d’attentat à la bombe visant l’appartement de Ryazan. Patrouchev avait remplacé Poutine à la tête du FSB lorsque celui-ci avait été nommé Premier ministre et il été resté en poste pendant l’intégralité des deux premiers mandats de Poutine. Il avait occupé plusieurs postes importants au sein du FSB à Moscou depuis 1994, bien avant que Poutine ne commence son ascension. Âgé d’un an de plus que Poutine, ils avaient travaillé ensemble au sein de la division de contre-espionnage du KGB de Leningrad à la fin des années 1970. Lorsque Poutine avait été nommé maire adjoint de Sochak, Patrouchev dirigeait la division contrebande du nouveau FSB de Saint-Pétersbourg, juste au moment où le groupe d’anciens hommes du KGB de Poutine commençait à prendre le contrôle du principal canal de transport des marchandises de contrebande de la ville – la flotte de la mer Baltique et le port maritime stratégique.

Patrouchev fut bientôt transféré à Moscou, où il se hissa rapidement au sommet du FSB. Homme du KGB porté sur la boisson, il avait une forte éthique capitaliste pour amasser des richesses et la grande ambition de restaurer l’empire russe. « C’est un gars assez simple, un Soviétique de la vieille école. Il veut l’Union soviétique mais avec le capitalisme. Pour lui, le capitalisme est l’arme qui permettra de restaurer la puissance impériale de la Russie », a déclaré un de ses proches.

Des propos confirmés par un autre proche de Poutine : « Il a toujours eu des opinions indépendantes très fortes. » Patrouchev a toujours été un visionnaire, un idéologue de la reconstruction de l’empire russe. « Il a une forte personnalité. C’est lui qui croit vraiment à la reconstruction de l’empire. C’est lui qui a mis toutes ces idées dans la tête de Vladimir Vladimirovich », a déclaré un de ses proches. Mais si Patrouchev connaît bien les textes fondateurs de l’ambition géopolitique russe, c’est un agent impitoyable et implacable qui ne reculera devant rien pour arriver à ses fins. Il est incapable de prononcer une phrase sans jurer et si vous ne jurez pas vous aussi, il ne vous respecte pas. « Il ne comprend rien d’autre », a déclaré un de ses proches. « Il est incapable de parler ou de se conduire autrement. En arrivant dans une réunion, il hurlera : “Eh bien, bande d’enfoirés, qu’est-ce que vous avez encore foutu ?” » D’après l’autre proche de Poutine, Patrouchev a toujours été un dur alors que Poutine était, au départ, plus libéral que lui. Selon le proche de Patrouchev, il s’est toujours considéré plus intelligent et plus rusé que Poutine : « Il n’a jamais considéré Poutine comme son patron. Patrouchev a mené une vendetta contre les rebelles dans la république séparatiste tchétchène – il déteste les “Chech” et tous ceux qui travaillent avec eux, pour se venger. » Parmi les siloviki peu remarqués qui applaudissaient l’investiture de Poutine dans la salle Andreyevsky, il y avait également Sergueï Ivanov ex-agent de renseignement du KGB qui avait fait une partie de sa carrière à l’étranger. Derrière ses manières courtoises et sa maîtrise de l’anglais se dissimulaient une langue acérée et un comportement parfois brutal. Lui aussi avait travaillé en étroite collaboration avec Poutine au sein du KGB à Leningrad, dans la même pièce miteuse au siège du KGB au Bolchoï, un bloc monolithique de granit sur Liteyny Prospekt, pendant deux ans, jusqu’à ce qu’Ivanov soit promu et muté à l’étranger – bien avant que Poutine n’arrive à l’Institut du Drapeau rouge. Ivanov a servi en Finlande, et peut-être au Royaume-Uni, avant de devenir résident en chef à l’ambassade du Kenya après la défection d’un espion au Royaume-Uni qui avait fait sauter sa couverture. Dans les années 1990, il avait travaillé directement sous les ordres de Primakov en tant que chef adjoint du bureau européen du service du renseignement étranger, le SVR, devenant le plus jeune général depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Lorsque Poutine devint directeur du FSB, il nomma Ivanov et Patrouchev sous-directeurs. Lorsqu’il devint Premier ministre, Ivanov fut nommé secrétaire du Conseil de sécurité russe, aujourd’hui le deuxième poste le plus puissant du Kremlin. Il gagna en influence sous le régime de Poutine.

Dans la masse grise des hommes à l’allure discrète, il y avait également Victor Ivanov, un officier moustachu du KGB de la vieille école qui ne voyait le monde qu’à travers le prisme de la guerre froide. Âgé de deux ans de plus que Poutine, il avait été ouvrier du Parti avant d’être recruté par le KGB de Leningrad. Il a rejoint ses rangs peu de temps après Poutine et il a gravi les échelons pendant près de vingt ans au sein du département des ressources humaines du KGB avant de prendre la direction de la division de la répression de la contrebande du FSB de Saint-Pétersbourg, prenant la suite de Patrouchev à ce poste important lorsque les hommes d’IIia Traber prenaient le contrôle du port maritime. Selon un ancien collègue de la division de la répression de la contrebande du FSB, Ivanov était connu pour ne jamais lever le petit doigt contre la contrebande : « Ses mots préférés étaient “plus tard” et “pas maintenant”. » Dans une note de renseignement, un ancien officier supérieur du KGB a émis l’idée qu’il y avait peut-être une très bonne raison à l’inactivité d’Ivanov : il avait aidé le groupe Tambov (dont Traber faisait partie) à reprendre le port maritime lorsqu’il servait de plaque tournante au trafic de drogue entre la Colombie et l’Europe occidentale. Le rapport, qui a ensuite été diffusé devant un tribunal de Londres et a suscité de forts démentis d’Ivanov, affirmait également que Poutine avait fourni une protection à Ivanov pendant toute la période où ce dernier était en fonction à Saint-Pétersbourg.

Lorsque Poutine devint directeur du FSB, il a immédiatement nommé Ivanov sous-directeur et lorsqu’il est arrivé à la présidence, il l’a nommé sous-directeur de son administration. Son travail consistait à surveiller tout le monde de près et selon un de ses proches, il a une « mémoire phénoménale » et il connaît les petites manies de chacun. Une fonction décrite de façon beaucoup moins charitable par Iouri Shvets dans son rapport. Le travail des ressources humaines, disait-il, consistait à collecter des informations préjudiciables sur des collègues et à les utiliser pour détruire leurs carrières : « Partout où Ivanov a travaillé, il dressait délibérément les gens les uns contre les autres, créant ainsi un environnement hostile dans lequel il pouvait dominer en résolvant les conflits qu’il avait générés. Il comprend parfaitement l’équilibre des forces autour de lui. »

Mais c’est peut-être Igor Setchine qui est le plus proche du nouveau Président. De huit ans le cadet de Poutine, il l’avait suivi comme une ombre depuis sa nomination comme adjoint au maire. Il avait été son secrétaire, debout comme une sentinelle derrière un podium dans l’antichambre qui menait au bureau de Poutine dans le quartier général du Smolny, un gardien féroce pour tous.

Il contrôlait l’accès à Poutine ainsi que l’ensemble des documents transmis à Poutine. Tous ceux qui avaient besoin de la signature de Poutine pour créer une entreprise devaient d’abord passer par Setchine. Lorsqu’un homme d’affaires à Saint-Pétersbourg avait besoin de la signature de Poutine pour créer une joint-venture avec une entreprise néerlandaise spécialisée dans le négoce du charbon et des produits pétroliers, ses amis s’arrangeaient pour qu’il rencontre Poutine. Après en avoir discuté, Poutine demandait à l’homme d’affaires d’aller voir son secrétaire, Igor Setchine, en lui disant : « Il vous dira quels documents apporter et je signerai. » « J’ai quitté le bureau et je suis allé voir Setchine, en pensant qu’il s’agissait d’une formalité », se souvient l’homme d’affaires Andrei Korchagin. « Je me demandais juste pourquoi le poste de secrétaire était tenu par un homme et non par une femme comme c’était généralement le cas. À cette époque-là, nous étions très méprisants envers les fonctionnaires. Nous avons commencé à parler des documents dont j’allais avoir besoin et puis Setchine a soudain écrit quelque chose sur un morceau de papier. Il m’a dit : “Et apportez…” en me montrant ce qu’il avait écrit, 10 000 dollars, sur le papier. Cela m’a rendu fou. Je lui ai dit : “Quoi ! Vous avez complètement perdu la tête !” Mais il m’a répondu : “C’est comme cela que nous faisons les affaires ici.” Je l’ai envoyé promener mais tout était dit : nous n’avons jamais enregistré l’entreprise. À l’époque, les choses étaient très différentes. Je n’avais aucune idée de qui était Setchine. C’est ainsi qu’ils collectaient des petits pots-de-vin. »

Setchine faisait toujours office de barrière devant son patron. Il organisait des réunions pour ceux qui voulaient le voir, a déclaré un ancien proche de Poutine. Même lorsqu’une réunion avait déjà été inscrite au calendrier, Setchine disait qu’elle devait être organisée par lui : « C’est comme cela qu’il prenait le contrôle de la relation. Et si quelqu’un ne suivait pas les ordres de Setchine, il devenait son ennemi, un ennemi qui devait être détruit. »

Setchine a longtemps servi dans le KGB, selon deux de ses proches. Il avait été recruté à la fin des années 1970 lorsqu’il étudiait les langues étrangères à l’université d’État de Leningrad et il avait été invité à déposer des rapports sur ses camarades, selon un de ses proches. Les parents de Setchine avaient divorcé lorsqu’il était jeune. Il avait travaillé dur pendant ses études, mû par une volonté acharnée de réussir, pour échapper à la misère qu’il avait connue pendant son enfance dans les faubourgs sinistres de Leningrad. « Il en voulait au monde entier. Il avait toujours un complexe d’infériorité », a déclaré un ancien fonctionnaire du Kremlin qui le connaissait bien. « Il venait d’un quartier vraiment pauvre de Leningrad, mais le département des langues de l’université dans laquelle il était inscrit était rempli d’enfants de diplomates. »

Les missions de Setchine pour le KGB étaient toutes clandestines, elles n’ont jamais été mentionnées dans sa biographie officielle. Selon cette dernière, il avait été envoyé pour travailler comme traducteur, d’abord au Mozambique, où sa connaissance du portugais était requise pendant qu’une guerre civile faisait rage et que l’armée soviétique entraînait et équipait une armée nationale. Il avait ensuite été envoyé, à nouveau officiellement comme traducteur, en Angola où l’armée soviétique, jouant encore au grand jeu de la guerre froide en Afrique, conseillait et équipait les rebelles dans une autre guerre civile. À son retour, il a obtenu un poste à l’université d’État de Leningrad, où il a rencontré et travaillé avec Poutine pour superviser les relations internationales et, plus tard, au conseil municipal, pour encadrer ses relations avec les villes étrangères jumelées, tout en restant tout du long un agent clandestin du KGB. Il est resté proche de Poutine depuis, se comportant toujours en serviteur obséquieux, portant ses bagages chaque fois qu’il voyageait, le suivant à la trace où qu’il aille. Il a été son adjoint au département des Biens étrangers du Kremlin, il a travaillé dans le même petit bureau de l’ancien siège du Comité central avant d’accéder à des postes plus élevés dans l’administration lorsque la carrière de Poutine décolla en flèche. Lorsque Poutine est devenu Président, il a nommé Setchine sous-directeur de son administration. Mais derrière ses manières serviles se cachaient une volonté implacable de tout contrôler et un goût immodéré pour les complots. Et, comme le disaient deux de ses proches, il détestait son maître et lui en voulait.

Pendant que Setchine cherchait à instiller tranquillement et imperceptiblement des pensées dans l’esprit de Poutine, Poutine le considérait comme une ombre, un simple serviteur de son régime, rien de plus. « Il le voyait toujours comme le type qui portait ses bagages, a déclaré un ancien fonctionnaire du Kremlin proche des deux hommes. » Poutine a toujours à l’esprit le rang et la position de chacun. Au début de leurs carrières au Kremlin, au milieu des années 1990, le chef des Biens du Kremlin, Pavel Borodin, a fourni des appartements aux deux hommes dans le centre de Moscou. Mais il y a eu un problème lorsque Poutine s’est rendu compte que celui de Setchine était plus grand que le sien. Setchine a invité Poutine dans son nouvel appartement peu de temps après leur arrivée et il le lui a fait visiter, en lui montrant les vues sur Moscou. Poutine a demandé la superficie de l’appartement. Après avoir vérifié sur les documents, Setchine lui a répondu 317 mètres carrés. Poutine a tout de suite fait remarquer : « Le mien n’en a que 286. ». Il a félicité Setchine avant de s’en écarter, comme si Setchine lui avait volé quelque chose ou l’avait cyniquement trahi. « Poutine a un problème de jalousie », déclara l’officiel au courant de l’incident. « Il faut bien le connaître pour comprendre ce que cela signifie. Igor m’a dit qu’à cet instant, il avait compris que tout était dit et que lorsque Poutine lui avait dit “Félicitations”, il voulait, en fait, l’abattre, froidement, d’une balle dans la tête. Il m’a dit qu’il ne lui avait pas parlé pendant plusieurs semaines après cet incident. C’était une affaire tellement banale, infime... Mais Poutine a de tels complexes. Il vaut toujours mieux, quand on le voit, lui dire à quel point tout va mal. Igor a appris à le faire très vite. »

C’est très révélateur de la mentalité de Poutine, de la rapidité avec laquelle il serait offensé par les affronts perçus dans les années à venir. Comme Setchine, il s’était, lui aussi, élevé en partant d’un milieu marqué par la pauvreté, des bas-fonds de Leningrad, où il avait dû se battre pour se faire respecter. Comme une colère mal digérée, la marque d’un complexe d’infériorité était toujours là.

Victor Tcherkessov est le dernier du groupe très uni des anciens du KGB de Leningrad que Poutine a amenés avec lui au Kremlin. Tcherkessov a dirigé le FSB de la ville depuis la nomination de Poutine au poste d’adjoint au maire. Âgé de deux ans de plus que Poutine, il avait occupé des postes importants au KGB de Leningrad pendant près de huit ans et avait été le supérieur de Poutine avant que celui-ci ne soit envoyé étudier à Moscou. Pendant les dernières années du régime soviétique, Tcherkessov avait dirigé l’une des divisions les plus violentes du KGB, celle qui enquêtait sur les activités des dissidents. Mais après l’effondrement du régime, il a adopté le nouveau capitalisme fantôme qui gouvernait Saint-Pétersbourg, faisant office de lien vital entre la mairie, les services de sécurité et le crime organisé. Il a été un acteur clé de la prise de contrôle par le groupe Tambov de la flotte de la mer Baltique et du port maritime, et Poutine l’a toujours traité avec le plus grand respect. « Il était un haut responsable lorsque Poutine n’était personne », a déclaré un proche des deux hommes. « Il fait partie du cercle le plus proche. Il appartient à l’élite. » Lorsque Poutine a été nommé Premier ministre, il avait l’intention de proposer Tcherkessov pour le remplacer en tant que chef du FSB mais Patrouchev avait fait en sorte d’être nommé à sa place. On avait dit à Ioumachev qu’il ne devait pas exaucer tous les souhaits de Poutine, qu’il devait y avoir des contrepoids. Tcherkessov avait été nommé sous-directeur à la place.

*

Pendant les premières années de la présidence de Poutine, ces hommes du KGB de Leningrad, les siloviki, partageaient bon an mal an le pouvoir avec les rescapés du régime Eltsine. Ils ont regardé et appris comment Volochine, le rusé chef d’état-major du Kremlin que Poutine avait maintenu en place, aidait à faire en sorte que ce dernier hérite d’une « machine bien huilée ». Volochine était le principal représentant de la Famille au Kremlin, un libéral en économie mais un étatiste en politique. Il faisait partie de ceux qui avaient aidé à organiser le transfert de pouvoir au KGB. Économiste, il était diplômé de l’Académie du commerce extérieur – qui avait toujours été associée à la Première direction générale, la division du renseignement étranger du KGB – et puis il avait été directeur adjoint de son Centre pour la recherche concurrentielle pendant la perestroïka. Plus tard, Poutine a dépêché Volochine, qui parlait couramment l’anglais, comme envoyé spécial pour discuter de questions militaires avec les principaux généraux des États-Unis. Au début, il s’est avéré être un allié vital pour les siloviki en aidant Poutine à repousser les ennemis politiques.

Extraits du livre de Catherine Belton, « Les hommes de Poutine: Comment le KGB s'est emparé de la Russie avant de s'attaquer à l'Ouest », chez Talent Editions.

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