Les habitants perdus de Sotchi : 1864, l’exil forcé des Circassiens chassés par les Cosaques de l’Empire russe<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Sotchi a été quatre fois candidate aux JO d'hiver, avant de remporter ceux de cette année.
Sotchi a été quatre fois candidate aux JO d'hiver, avant de remporter ceux de cette année.
©Reuters

Maladresse ou provoc' ?

La Russie a la mémoire courte... L'organisation des JO à Sotchi a heurté la communauté circassienne, victime d'un exil forcé il y a 150 ans, certains estimant même qu'il s'agit d'un affront comparable à celui qui aurait été fait au peuple juif, si les Jeux avaient pris place à Auschwitz.

Régis Genté

Régis Genté

Régis Genté est un journaliste basé à Tbilissi, correspondant au Caucase et en Asie centrale du Figaro, de Radio France InternationaleFrance 24 et du Bulletin de l’Industrie Pétrolière. Il est l'auteur de Poutine et le Caucase, Coll. Document, Paris, éd. Buchet Chastel, 2014.

Voir la bio »

Atlantico : L'organisation des Jeux Olympiques à Sotchi a provoqué de nombreuses réactions. Si la presse s'est amusée des toilettes collectives, la réaction des Circassiens a été on ne peut plus sérieuse. Certains tweets estiment même qu'il s'agit d'un affront comparable à celui qui aurait été fait au peuple juif, si les Jeux avaient pris place à Auschwitz. Pourquoi ? Comment peut-on expliquer cette attitude ? Que s'est-il passé pour les circassiens, qui justifie de si graves accusations ?

Régis Genté : Il faut comparer ce qui est comparable. Mais effectivement, il y a 150 ans exactement, en 1864, la Russie impériale achevait, ou croyait achever, sa conquête du Caucase, entreprise un siècle plus tôt par Catherine II. La tactique russe a été de construire la « ligne militaire caucasienne », un chapelet de fortifications allant d’un bout à l’autre de l’Isthme caucasien, de la mer Caspienne à la mer Noire. Après avoir terminé la conquête de la partie orientale du Caucase du Nord, au Daghestan et en Tchétchénie, avec l’arrestation en 1859 du fameux imam Chamyl, les troupes tsaristes se sont concentrées sur la moitié occidentale de la région.

Peu à peu, les tribus circassiennes se sont retrouvées repoussés sur les bords de la mer Noire, dans les environs de Sotchi entre autres, où une partie d’entre elles vivaient déjà. En 1863, elles se sont vues imposer un terrible choix : ou bien s’installer dans la plaine du Kouban, au Nord, ou fuir vers l’empire ottoman. L’immense majorité des Circassiens, plus d’un million de personnes, va choisir la seconde option. Mais l’exil s’avère meurtrier, à cause des naufrages de navires, des épidémies, de la famine. Plusieurs centaines de milliers d’entre eux perdent la vie. Pour le Tsar, c’est la victoire « finale » sur le Caucase, laquelle est célébrée le 21 mai 1864 (selon l’ancien calendrier russe) dans une vallée appelée Krasnaïa Poliana, le Champ rouge, où une partie des compétitions olympiques ont été organisées cette année.

Qu'est-il advenu des circassiens, après les événements de Sotchi, au XIXè siècle ? Quel a été l'impact sur les générations suivantes et quel est-il, aujourd'hui encore ?

Ils ont vécus dans l’empire ottoman. Aujourd’hui, ils vivent en diaspora. Ils seraient entre trois et cinq millions à vivre en Turquie, en Syrie, en Israël ou en Jordanie, où ils forment la garde royale en raison de leur réputation d’excellents guerriers. Dans la Fédération de Russie, il n’en resterait que 700.000. Ce qui s’est passé dans les années 1860 demeure pour tous une sorte de traumatisme, en tous cas cela fait partie de leur mémoire collective. Les communautés de la diaspora sont très actives, pour faire reconnaître ces évènements comme un « génocide ». Les Circassiens de Russie sont moins actifs, en partie en raison de l’ambiance autoritaire qui règne en Russie.

Les événements qui ont eu lieu à Sotchi durant les années 1860 sont-ils comparables à un massacre ? Pourquoi ?

Il y a un débat sur la nature des crimes commis à l’époque. Selon la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide, de 1948, on ne peut pas exclure qu’il s’agisse bien d’un génocide, c’est-à-dire d’actes « commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » (article II). L’historien américain Walter Richmond estime que le plan du général Evdokimov serait une véritable pièce à conviction au cas où les avocats des Circassiens venaient à invoquer la catégorie « b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe » ou « c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. » Dans les années 1860, Evdokimov, qui dirigeait les forces impériales dans la région, estimait que « l’évacuation totale de la population locale » est essentielle à la défense des côtes de la mer Noire. Il avait ainsi fait accepter par le Tsar un plan prévoyant un véritable nettoyage ethnique, avec incendie des villages, comblement des puits et destruction des cultures et cheptels.

Selon vous, la décision d'organiser les Jeux d'Hiver de 2014 à Sotchi relève-t-elle de la maladresse, de l'oubli, ou de la provocation ?

Sotchi a été quatre fois candidate pour organiser les JO d’hiver. Il s’avère qu’en 2007 elle a remporté l’organisation de ceux de cette année. Ce qui tombe à une sorte de date anniversaire. Ce n’était pas voulu, cela a même me semble-t-il été plutôt un embarras pour le Kremlin. Cela dit, le fait que cela se passe au Caucase est une dimension capitale pour Poutine. Lui-même l’a dit dès 2007, il voit ces JO comme une manière de dire au monde « vous voyez, nous avions raison de relancer la guerre en Tchétchénie en 1999 », pour mettre fin à l’effondrement de l’URSS, quand bien même des dizaines de milliers de Tchétchènes ont été tués. L’ambition avec ces JO était de faire venir le monde entier dans une région où la légitimité et l’image de Poutine, notamment sur la scène internationale, a été souillée. Il entendait s’appuyer sur l’énorme machine médiatique olympique pour imposer sa géographie. D’où par exemple la cérémonie d’ouverture, du 7 février, où il n’y a pas une référence au Caucase. Tout n’était qu’à propos de la Russie, de son histoire, de sa grandeur. En ce sens, et c’est capital, ces JO sont pour Moscou comme un nouvel épisode des guerres du Caucase, qui durent depuis 200 ans, une partie des peuples de la région n’acceptant par le joug colonial russe.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !