Les grands fonds d’investissement anglo-saxons étudient de près le cas français : sont-ils sur le point de déserter ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Le cas de la France va être étudié de près par les fonds d'investissement anglo-saxon.
Le cas de la France va être étudié de près par les fonds d'investissement anglo-saxon.
©Reuters

Fuyons !

Alors que François Hollande a annoncé lors de ses vœux la mise en place d'un pacte de responsabilité pour baisser les charges des entreprises, les fonds d'investissement semblent déserter la France. Les nouveaux investissements directs étrangers (IDE) en France ont chuté de 77 % en 2013, pour tomber à 5,7 milliards de dollars. De quoi paniquer ?

Julien Balkany

Julien Balkany

Julien Balkany est co-fondateur du fonds d'investissement Nanes Balkany Partners basé à New York. Il est administrateur de plusieurs sociétés pétrolières et est également président du conseil de surveillance de la banque d'affaires anglo-saxonne Stellar Energy.

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Atlantico : Alors que François Hollande annonçait lors de ses vœux la mise en place d'un pacte de responsabilité, le cas de la France serait étudié de près par les fonds d'investissement, notamment américains. Que cherchent-ils à évaluer ?

Julien Balkany : Les fonds d'investissements cherchent à anticiper les conséquences économiques de plusieurs éléments afin de déterminer la pertinence d'investir en France et/ou de céder leurs participations actuelles.

  • Ils vont d'abord vérifier la réalité des messages optimistes du gouvernement sur les frémissements perceptibles d'une reprise économique. Si ces "frémissements" ont une réalité tangible dans certains pays de la zone euro, ce n'est pas forcément le cas de la France.
  • Ensuite, Les fonds vont chercher à mesurer les conséquences économiques du virage social démocrate amorcé, ou du moins annoncé, par le président de la République. Les fonds vont chercher à connaître rapidement les conséquences en termes de compétitivité pour le pays par rapport aux autres pays de la zone euro et notamment l'Allemagne.
  • Enfin et dans un troisième temps, les fonds américains, qui ont été très échaudés par les modifications de la fiscalité pesant sur les entreprises ces derniers mois et par les atermoiements sur l'exploitation de l'huile et du gaz de schiste, vont se focaliser sur la stabilisation des lois fiscales et sur la solidité de l'interdiction de l'exploration de ressources énergétiques nouvelles.

Les fonds américains vont donc tenter avant toute chose de mettre en équation ces différentes composantes économiques (compétitivité / fiscalité / conséquences économiques des annonces de l'exécutif) afin de mesurer les perspectives réelles d'investissements en France, d'attente ou de retrait pur et simple.

Envisagent-ils de revoir leurs engagements dans le pays ? Quels facteurs pourraient les y pousser ?

C'est l'instabilité juridique et fiscale qui est le principal facteur d'inquiétude et de manque d'attrait pour les fonds étrangers. On se souvient de la taxe soda qui avait d'abord pénalisé Coca Cola et qui avait eu un immense retentissement de l'autre coté de l'Atlantique ou encore les hésitations pour ne pas dire la cacophonie sur la loi dite des "75%" d'imposition au dessus d'un million d'euros de revenus annuels. Tout cela ne plaide pas pour l'investissement en France vu de l'étranger. L'investissement est en effet et par définition un pacte de long terme basé sur la confiance réciproque entre les deux parties (investisseurs et entreprises). Si l'Etat vient rompre ce pacte de stabilité et de confiance par des mesures fiscales brutales et inattendues qui déséquilibrent les contrats, les projections de croissance et les modèles financiers prévisionnels, la machine s'enraye d'elle-même. Les investisseurs institutionnels détestent le manque de certitude, de cohérence et de visibilité à moyen et long terme. Un plan de croissance est déjà assez compliqué à exécuter pour une entreprise sans avoir aussi à se perdre en conjecture sur les prochaines décisions d'un exécutif qui donne l'impression de naviguer à vue. Tout cela rend les investisseurs étrangers très prudents pour ne pas dire frileux avant d'investir en France ; c'est logique...

Quelles formes pourraient prendre ce désengagement ? Avec quelles conséquences pour la France ?

A mes yeux, le risque le plus immédiat serait que les fonds d'investissements étrangers refusent d'accompagner la reprise économique, en gelant tout nouvel investissement ou financement, si les frémissements dont on nous parle depuis plusieurs mois ne venaient pas à se concrétiser. La France prendrait alors un retard quasi-irrattrapable par rapport aux autres pays de la zone euro. Je ne pense pas seulement à l'Allemagne, mais aussi aux pays du sud de l'Europe tels que l'Italie, le Portugal, ou l'Espagne… Pour éviter cela il faut que le gouvernement français réinstaure une confiance qui fait cruellement défaut. La confiance dans l'avenir, dans notre avenir, ne se décrète pas, elle se gagne. En matière économique et financière, elle se gagne par la stabilité des lois et par des annonces claires, suivies d'actions de mises en œuvre effectives et immédiates.  

La désertion des fonds d'investissement traditionnels pourrait-elle être compensée par l'arrivée de nouveaux investisseurs ? Dans quelle mesure ?

Les investisseurs étrangers sont avant tout désorientés par les revirements de la politique gouvernementale et le manque de flexibilité sur le marché de l'emploi. On le voit déjà dans différents domaines, les fonds du Moyen-Orient, asiatiques et notamment chinois pénètrent profondément le marché français. Ils ciblent d'ailleurs avant tout, les composantes les plus connues de l'image de la France à l'étranger ; les produits de luxe, les vins et spiritueux, l'hôtellerie et les grands magasins. Ces investisseurs sont relativement nouveaux sur le marché européen et il est particulièrement compliqué de savoir où ils s'arrêteront. Les fonds souverains de nouveaux pays de la péninsule arabique comme les fonds qataris et des Émirats ont profondément impacté le marché français. Le rachat du Printemps, l'emblématique grand magasin du boulevard Haussmann par un fonds qatari illustre parfaitement cette tendance.

Néanmoins il faudrait plutôt voir la complémentarité de ces nouveaux investisseurs, venus souvent de pays émergents, au lieu d'essayer de les opposer ou de les faire remplacer les investisseurs traditionnels. Un mix des investisseurs serait un gage de réussite et de pérennité !

Que trouvent les fonds d'investissement en Angleterre – par exemple – qu'ils ne trouvent pas en France ?

Ils trouvent un pays voisin, et notamment une ville [Londres], qui leur déroule le tapis rouge, les incite à investir, un marché du travail plus souple, moins rigide, une stabilité fiscale et surtout ils ne sont ni dénigrés ni stigmatisés. Il ne faut pas négliger l'aspect psychologique, beaucoup de fonds d'investissements se sentant peu considérés en France.
Par ailleurs, les investisseurs recherchent aussi avant tout un environnement politique accueillant, doté d'un cadre juridique stable, fiscalement attractif et une certaine sérénité et confiance qui font cruellement défaut en France.

La France peut-elle séduire à nouveau les fonds d'investissement ? Comment ? Cette "reconquête" serait-elle pérenne ?

Oui, dans cette compétition mondiale pour reconquérir les faveurs des fonds d'investissement il est essentiel de mener les réformes structurelles nécessaires. Il n'y a qu'avec le courage politique de prendre les mesures volontaristes qui s'imposent, que la France renouera avec la compétitivité. Ce combat ne se gagnera pas du jour au lendemain car il faut du temps pour regagner la confiance.
A quelques mois des élections européennes, la France doit plus que jamais retrouver son rôle de locomotive de l'Union européenne et pousser les chantiers de l'harmonisation fiscale (des entreprises, de la TVA) et du marché du travail plutôt qu'apparaitre à la traîne derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni.

Propos recueillis par Marianne Murat

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