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Les fonctionnaires, sévères 
face au bilan du Président sortant
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Tension

Même s’ils n’en ont pas tous conscience, ce n’est pas pour son libéralisme supposé que Nicolas Sarkozy est rejeté par une large majorité de fonctionnaires, mais pour la méconnaissance des rouages de la fonction publique dont il aurait fait preuve en lançant ses réformes.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Un récent sondage a montré que si seuls les fonctionnaires votaient, tous corps confondus, civils et militaires, d’Etat, locaux et hospitaliers, le deuxième tour de la présidentielle se passerait entre Hollande et Le Pen. C’est dire le degré de discrédit atteint par l’actuel président au sein de la fonction publique.

Normal, diront les esprits paresseux : c’est un président libéral, hostile à l’Etat ; il a mené une politique libérale, il en paye le prix. Si encore les choses étaient aussi simples ! Si Sarkozy avait été un vrai libéral, nous aurions vu les dépenses publiques baisser, les effectifs publics se réduire, la fiscalité s'alléger.

Mais il s’en faut de beaucoup. C’est sous son quinquennat que les dépenses publiques ont atteint leur maximum historique : 56% en 2011 ; trente et un impôts nouveaux ont été créés, sans compter ceux que l’on a alourdis, tel l’impôt sur les plus-values. Le nombre de fonctionnaires d’Etat a un peu reculé, en fin de période, par l’application de la règle déjà ancienne de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (la fameuse RGPP !), mais surtout au détriment de l’armée, et sans qu’on empêche la fonction publique locale de croître parallèlement.

Bien que l’actuel président n’ait jamais aimé les fonctionnaires, il aura été celui qui a augmenté le plus les rémunérations des fonctionnaires d’autorité et de certains corps déjà bien rémunérés comme la police ou les finances ; cela sous prétexte d’encourager une productivité bien difficile à mesurer.

Bien plus qu’une politique faussement libérale, Sarkozy a payé le prix de son incompétence. Il s’est trouvé propulsé à la tête de l’immense machine étatique sans vraiment la connaître, comme le capitaine d’un navire qui ne serait jamais de sa vie descendu dans les soutes. 

C’est ainsi que, dans son pullulement de réforme, il a donné un coup d’accélérateur à toute une série de réformes qui se trouvaient, soit déjà votées et non appliquées, soit en gestation.

Parmi les lois déjà votées, la plus importante est la loi du 1er août 2000, dite Loi organique des lois des finances (LOLF pour les initiés) approuvée à l’unanimité au temps de Jospin. Les enseignants, remplis de ressentiment contre le président actuel, et qui manifestent avec raison contre l’évaluation systématique de leur travail, savent-ils que cette évaluation n’est que l’application d’une loi votée du temps de la gauche ? Elle ne devait s’appliquer qu’en 2005 et le temps de rodage passé, elle n’a fonctionné à plein qu’à partir de 2007.

Cette loi repose sur des principes hautement contestables : les fonctionnaires sont corporatistes, ne travaillent pas ; il faut donc affaiblir ou supprimer les corps (agrégés, gendarmerie, professeurs de médecine, DDE, DDA , corps des mines etc.) et leur inculquer la « culture du résultat », c’est-à-dire le « pilotage » à partir de statistiques d’ « efficience » toutes plus contestables les unes que les autres, toutes propices à la tricherie et qui font ressembler de plus en plus l’administration française à l’économie soviétique.

Ces reformes par lesquelles on prétend pompeusement introduire « les méthodes managériales dans l’administration » reposent sur des principes faux. Le premier est qu’une administration se gère comme une entreprise (Ludwig von Mises, libéral de l’Ecole de vienne, a démontré le contraire !), le second que les fonctionnaires ne travaillaient pas et qu’il fallait les « secouer » : qui s’est jamais plaint du manque de zèle de l’administration fiscale ?

Il y a, comme partout, 20% de tire-au-flanc mais les fonctionnaires ne sont pas responsables des procédures compliquées et souvent inutiles qu’on leur impose d’appliquer. Les corps ont été tenus pour archaïques : on oubliait tout ce qu’ils avaient accompli au cours des cinquante dernières années : les instituteurs d’avant la « rénovation pédagogique » pour diffuser l’instruction dans le peuple, les ponts et chaussées pour équiper la France, le génie rural pour moderniser l’agriculture, le corps des mines pour développer l’industrie. L’honneur professionnel dont ils étaient porteurs était une motivation bien plus noble que le réflexe pavlovien de la prime par lequel on voudrait le remplacer. L’honneur professionnel : un gros mot  dans le climat de « modernisation de l’Etat » !

Autre présupposé faux : l’idée qu'on accroît l’efficacité en fusionnant les structures : communes, police et gendarmerie, antennes locales de l’Etat, Impôts et Trésor, ANPE et ASSEDIC etc. Non seulement ces fusions se sont traduites parfois par une immense pagaille (Pôle emploi), mais les résistances légitimes n’ont été surmontées que par une large distribution de primes qui a annulé et au-delà les bénéfices attendus.

Que le gouvernement ait tenté de réduire les effectifs de la fonction publique, passe encore, mais fallait-il, pour tout compliquer, que cette réduction, déjà difficile en elle-même coïncidât avec le double traumatisme d’une refonte générale des organigrammes et de l’introduction du contrôle chiffré systématique ? Pour couronner le tout, les procédures ont continué à se compliquer comme jamais : le Grenelle de l’environnement a produit plus de 100 pages de textes !

L’immense découragement qui règne de haut en bas de la fonction publique et qui s’exprime dans beaucoup de départs à la retraite anticipés, est sans doute l’héritage le plus désastreux du quinquennat.

Mais ne chargeons pas Sarkozy puisqu’il ne le mérite : la plupart du temps, il n’a fait que donner un coup d’accélérateur à des réformes qu’une certaine technocratie tenait en réserve depuis de nombreuses années. C’est moins son activisme qui est en cause que sa passivité face à des logiques technocratiques absurdes que de vrais politiques auraient dû corriger.

Même s’ils n’en ont pas tous conscience, ce n’est pas pour son libéralisme supposé que Sarkozy est rejeté par une large majorité de fonctionnaires, c’est pour son incompétence.

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