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Les experts économiques sont-ils tous nuls ?
©Reuters

Madame Irma

Dans son livre "Le Bal des Aveugles", aux éditions Albin Michel, le journaliste Michel Turin analyse la manière dont les experts économiques n'ont pas vu venir les différentes crises du 20ème et du 21ème siècle. Pour l'auteur, la course à la notoriété et la modélisation des comportements ont eu raison de la crédibilité de ces "futurologues" de l'économie.

Michel Turin

Michel Turin

Michel Turin a été dix ans journaliste aux Échos, et chroniqueur économique à Radio Classique. Il est l’auteur de La Planète Bourse (« Découvertes Gallimard », 1993), Le Grand Divorce – Pourquoi les Français haïssent leur économie (Calmann- Lévy, 2006), Prix de l’Excellence Économique, et Profession Escroc (François Bourin Éditeur, 2010).

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Vous débutez votre livre en expliquant que les économistes se trompent régulièrement. Vous terminez pourtant votre introduction en réaffirmant leur utilité. N’y a-t-il pas un paradoxe ?

Je dis dans le livre que la plupart font un bon boulot. Ils sont là pour nous aider à comprendre comment fonctionne l’économie, quels sont les enjeux, émettre des hypothèses avec beaucoup de prudence pour permettre aux décideurs, dans l’entreprise ou dans l’administration, de choisir ou d’ajuster leurs choix stratégiques ou politiques. Mais force est de constater que l'on peut aussi leur reprocher de se tromper souvent. Beaucoup d’entre eux sont des récidivistes de l’erreur. La plupart du temps, ils la nient. C’est chacun d’entre nous qui demandent aux économistes des prévisions, car on a peur de l’avenir, on a besoin de repères. Quelque part, on les pousse à la faute.

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Peut-t-on déterminer les facteurs qui amènent à ces erreurs ?

Ils se trompent car beaucoup d’entre eux manquent d’humilité. Ils sont aveuglés, ils émettent des prévisions beaucoup trop radicales afin d'être repris, pour des raisons de notoriété. Parce qu’on retient plus facilement des prévisions en emporte-pièce que des propos émis timidement. Ceux qui sont au hit parade des récidivistes de l’erreur sont les plus médiatisés. Ils se trompent aussi parce qu’ils n’ont pas les bons outils, ou parce que leurs outils se révèlent défaillants. La plupart du temps, ils sous estiment l’importance du facteur humain et du progrès technologique.

Finalement, a-t-on besoin des experts économiques ?

On a besoin des économistes pour nous aider à comprendre comment fonctionne l’univers économique : comment on peut gérer une entreprise, comment on peut prendre une décision politique, comment on peut essayer de prendre les moins mauvaises décisions possibles. Les politiques font eux aussi des prévisions, qui relèvent davantage de la propagande politique ou électorale, du mensonge ou carrément du déni de réalité. J’ai beaucoup d’admiration pour des économistes comme notre dernier prix Nobel Jean Tirole, qui fait de la microéconomie, qui s’intéresse aux entreprises et aux marchés. Cela sert concrètement à quelque chose. Ses travaux ont été utilisés à Bruxelles pour mettre en place des réglementations.

Vous consacrez plusieurs chapitres à la dernière crise où vous parlez beaucoup d’erreurs de diagnostics. N’est-ce pas le signe qu'elle était totalement imprévisible ?

Les grands chocs à priori sont plutôt imprévisibles mais il y a des signes annonciateurs. Ce qui est en cause sur cette période, c'est surtout la façon dont les économistes travaillaient, les outils qu’ils ont utilisé. Ce qui s’est retourné contre eux lors de la dernière crise de 2007-2008, c’est d’avoir trop compté sur leur modèle, il y a une mathématisation de la prévision économique qui est dangereuse. Cette modélisation croissante est source d’erreur. La plupart considère que l’économie est une science dure comme la physique, ce qui n’est pas du tout le cas.

Il y a des économistes qui sont des théoriciens de l’économie comportementale, qui attache beaucoup d’importance à l’aspect humain et d’autres qui l’ignorent complètement. L’autre problème qui touche la population des économistes, c'est que ces gens sont souvent très spécialisés et compartimentés. Celui qui va réfléchir au marché de l’immobilier ne va pas réfléchir sur la haute finance. Enfin, une autre erreur commise lors de la crise de 2007-2008 est d’avoir penser que tous les intervenants financiers étaient tous aussi efficaces les uns que les autres. Or, on ne peut pas comparer une banque universelle française et un hedge fund.

Vous abordez, au cours d'un chapitre, le cas Thomas Piketty. Que lui reprochez-vous concrètement ?

Je lui reproche, comme beaucoup d’économistes, d’avoir pris ses désirs pour des réalité. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il a truqué les chiffres, car tout le monde reconnait qu’il a utilisé une base statistique unique et pertinente mais il a pu les faire dévier dans un sens favorable à ses démonstrations, que les inégalités se creusent de plus en plus. Il a eu un énorme succès aux USA et son livre s’est très bien vendu, car cela correspondait à une réalité. En France, son discours ne s’applique pas, car on ne l’a pas constaté sur les années qui viennent de s’écouler. Même sur une échelle planétaire, on ne peut pas dire que l’évolution de l’économie s’est traduite seulement par un enrichissement des plus riches. On a quand même sorti, grâce à la mondialisation tant décrié, un nombre important de gens de la pauvreté.

Propos recueillis par Julien Gagliardi

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