Les Etats-Unis tendent la main à l'Iran, mais quelle sera sa réponse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Rafael Grossi, directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Rafael Grossi, directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique.
©JOE KLAMAR / AFP

Géopolitique

La situation de blocage entre l'Iran et les Etats-Unis entre peut-être enfin dans une phase de résolution. Ce jeudi, Washington a en effet consenti à reprendre les négociations avec Téhéran aux côtés de ses partenaires européen.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Après plusieurs semaines de bras de fer où aucun des deux pays n'acceptait de faire le premier pas, la situation de blocage entre l'Iran et les Etats-Unis entre peut-être enfin dans une phase de résolution. Ce jeudi, Washington a en effet consenti à reprendre les négociations avec Téhéran aux côtés de ses partenaires européens – et à leur invitation – pour tenter de sauver ce qui reste du Joint Comprehensive Plan of Action. Et afin de mieux convaincre l'Iran de ses intentions, Joe Biden a assorti cette décision de plusieurs gages : en premier lieu, l'annulation pure et simple de la proclamation unilatérale, prononcée en septembre dernier par Donald Trump, rétablissant l'intégralité des sanctions internationales contre l'Iran antérieures à l' Accord de Vienne – sanctions financières liées à son activité nucléaire, embargo sur les armes et sur les produits pétroliers, sanctions primaires et secondaires interdisant aux entreprises américaines et étrangères de faire du commerce avec la République islamique. Washington a également annoncé un assouplissement des restrictions de déplacements imposées aux diplomates iraniens aux abords de l'ONU à New York, qui pourront désormais s'y déplacer librement. Joe Biden confirme ainsisa volonté de renouer avec le multilatéralisme et d'en finir avec les rapports de force perpétuels, qui avaient largement dominé l'ère Trump tant avec les rivaux qu'avec les alliés des Etats-Unis.

Les gestes de bonne volonté de Joe Biden interviennent précisément à un moment critique, à quelques jours de l'entrée en vigueur de la limitation des possibilités d'inspection de l'AIEA sur les sites nucléaires iraniens, décidée par le Parlement iranien en décembre dernier. C'est surtout la récente décision de l'Iran de porter son enrichissement d'uranium à 20%, un seuil clé dans la production d'une arme nucléaire, qui a vraisemblablement accéléré l'élaboration d'une sortie de crise par les Occidentaux. On peut donc penser que la pression exercée par l'Iran sur les autres signataires de l'accord, et en premier lieu les Etats-Unis, a finalement été payante. Enfin, il semblerait enfin que la proposition du président iranien Hassan Rohani d'entrer dans un cycle de discussions « synchronisé » avec Washington, ait trouvé un écho favorable auprès de l'administration Biden, largement composée de diplomates et hauts fonctionnaires qui ont participé à l'élaboration de l'accord de Vienne en 2015 en usant précisément de cette stratégie.

C'est un premier pas en faveur de la diplomatie, certes, mais sans doute le premier d’une douloureuse série. Les Etats-Unis se disent prêts à discuter avec l'Iran, mais Téhéran a néanmoins tenu à rappeler sa propre position avec fermeté. Ainsi que l'a tweeté le ministre des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, seule une levée « sans conditions » de toutes les sanctions « imposées, réimposées ou rebaptisées » par l'administration Trump depuis mai 2018 entraînerait une annulation immédiate des mesures de rétorsion menées par l'Iran, et son retour dans le cadre défini par l'accord de Vienne. Le nœud gordien se situe là, et même le Guide Suprême Ali Khamenei l'a confirmé : l'Iran refusera tout engagement sans levée totale des sanctions qui asphyxient son économie et son peuple depuis mai 2018.

Si la voie diplomatique est de nouveau ouverte entre les deux pays, le chemin pour parvenir à un accord régénéré et à des relations normalisées promet d'être encore très long. L'Iran se trouve à quatre mois d'une élection présidentielle que les conservateurs espèrent bien remporter, et qui voient un rapprochement avec les Etats-Unis d'un très mauvais œil. Du côté américain, Antony Blinken lui-même s'est dit convaincu qu'une simple « restauration » du JCPoA serait insuffisante. Les négociations de l'accord de Vienne avaient en effet laissé de côté la question du programme balistique de l'Iran ainsi que de son influence régionale, deux piliers de sa politique étrangère considérés comme intouchables par la République islamique, mais que l'administration Biden entend pourtant aborder.

Ce sont désormais les propositions que les Etats-Unis pourraient faire pour inciter l'Iran à venir volontiers à la table des négociations qui font débat. Certains experts suggèrent avec raison la possibilité d'agréer à la demande d'aide formulée par l'Iran auprès du FMI au plus fort de la pandémie de Covid-19 au printemps dernier, à hauteur de 5 milliards d'euros, qui est à ce jour restée sans réponse du fait d’un blocage américain.

Deux inconnues demeurent également : d'abord la place que tiendront dans les négociations la Chine et la Russie, toutes deux membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU et signataires de l'accord de Vienne, qui préféreront sans doute conserver la relation exclusive qu'elles ont développée depuis deux ans avec l'Iran que de laisser les Etats-Unis résorber le vide stratégique ouvert par l'administration Trump. L'annonce de Joe Biden a néanmoins suscité le premier commentaire positif de la Russie à l'égard des Etats-Unis depuis fort longtemps.

Reste enfin à savoir quelle position adopteront les pays qui ont le plus à craindre de ce nouveau rapprochement irano-américain, Israël et les pétromonarchies arabe du Golfe Persique. L'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, qu'Emmanuel Macron avait suggéré d'associer aux futures négociations, ont accueilli la déclaration américaine par un silence éloquent, réduits à espérer que l'administration Biden entende leurs revendications et à conserver une position attentiste.

Israël s'est d'abord borné à rappeler, par la voix de Benjamin Netanyahu, qu'il restait déterminé à contrer les ambitions nucléaires de l'Iran. Mais à la différence de ses voisins et nouveaux alliés arabes, l'Etat hébreu sait déjà qu'il vaut mieux garder la porte des négociations ouverte que de prendre la Maison-Blanche de front s'il espère en tirer quelques bénéfices, par exemple un accord d'une durée plus longue que le JCPoA initial, voire une relation plus apaisée avec l'Iran. Dans l'esprit des diplomates israéliens, ce rêve, certes lointain, ne semble pas être inatteignable, mais demande pour l'heure de temporiser. La balle est donc désormais dans le camp de l'Iran.

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