Les Etats-Unis en pleine Pikettymania : les forces et les faiblesses du "Capital du 21e siècle" <!-- --> | Atlantico.fr
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Le livre de l’économiste français Thomas Piketty, proche du camp socialiste, "Le Capital au XXIe siècle" rencontre un très fort échos aux Etats-Unis depuis sa sortie en mars.
Le livre de l’économiste français Thomas Piketty, proche du camp socialiste, "Le Capital au XXIe siècle" rencontre un très fort échos aux Etats-Unis depuis sa sortie en mars.
©Reuters/Charles Platiau

La classe américaine

Le livre de l’économiste français Thomas Piketty, proche du camp socialiste, "Le Capital au XXIe siècle" rencontre un très fort écho aux Etats-Unis depuis sa sortie en mars. Certains iraient presque jusqu'à lui accorder l'importance du "Capital" de Karl Marx.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Il aurait été difficile de passer à côté. Cette semaine a été la semaine de Thomas Piketty. Le livre de l’économiste français, Le Capital au XXIe siècle, publié à l’automne dernier en France, fait un carton aux Etats-Unis depuis sa sortie en mars. Le professeur de l’école d’économie de Paris, sur place à cette occasion, a été reçu par les conseillers de la Maison Blanche, a pu faire un exposé de ses thèses en compagnie de deux prix Nobel… la Pikettymania est en marche aux Etats-Unis. Son thème : les inégalités.

L’ouvrage de Thomas Piketty est déjà une référence en la matière et cela est parfaitement mérité. Non pas pour les remèdes proposés, mais bien pour le travail réalisé sur la description du phénomène. La force principale du « Capital » est bien sa densité d’informations sur les évolutions du phénomène « inégalités » à travers le monde et à travers les âges.

Ce qui peut surprendre dans le succès de Thomas Piketty est l’accueil différencié de son ouvrage. La sortie « française » est restée assez discrète alors que son succès Outre-Atlantique est fracassant. L’intéressé explique cette différence notamment en raison du marquage politique qui lui est réservé en France. Thomas Piketty est proche du parti socialiste, et en 2013, cela n’était pas véritablement porteur. « C’est plus facile loin de France d’avoir ce débat plus général sans être tout de suite mis dans des cases liées au débat franco-français actuel » déclare-t-il.

Mais d’autres points peuvent expliquer ce phénomène. Les Etats-Unis ne sont pas le pays de l’égalité. La déclaration d’indépendance américaine repose sur ces termes « Life, Liberty and pursuit of happiness » : vie, liberté, et poursuite du bonheur sont les valeurs suprêmes américaines. Ce qui se différencie de la devise de la République « Liberté Egalité Fraternité ». Des différences qui se traduisent assez clairement dans la réalité économique des deux pays : Le poids de l’état « redistributeur » est de 57% en France, contre 41% aux Etats Unis. Soit 40% de plus en France. Pour un économiste qui prône une révolution fiscale à la hausse, le terrain est peut-être plus favorable aux Etats-Unis.

Ce que Thomas Piketty dénonce avec justesse est la forme patrimoniale du capitalisme moderne et son accélération depuis le début des années 80. Selon l’auteur, le remède serait alors de venir taxer le patrimoine en conséquence afin de rétablir l’équilibre. Il est à ce titre notable de constater que les inégalités en France sont moins fortes qu’aux Etats-Unis. Par contre, au contraire de ce qu’affirme toujours l’auteur, la croissance par habitant en France a bien été plus faible depuis 1980. En effet, la progression par habitant a été 40% plus rapide aux Etats-Unis, pour en arriver à un écart de 25% entre les deux pays aujourd’hui (voir ici sur Atlantico).  Un écart qui peut notamment s’expliquer par le poids supérieur de l’Etat dans l’économie française, et donc par sa fiscalité plus lourde.

Peut-être est est-ce la plus grande faiblesse de l’ouvrage. Là ou Thomas Piketty cherche à corriger les conséquences du capitalisme patrimonial, c’est-à-dire les inégalités, il serait peut être plus efficace d’en chercher les causes. Car si la France est parvenue à limiter la « casse » inégalitaire grâce à sa fiscalité élevée, elle en a bien payée le prix sur ses chiffres de croissance, c’est-à-dire sur son niveau de richesse nationale.

Pourtant, le principal moteur des inégalités pourrait bien être partagé par les Etats-Unis et la France : le « bridage » volontaire de la croissance par la voie monétaire qui a été commun aux deux pays. Ce que l’économiste américain Steve Waldman, auteur du très influent site interfluidity.com,  dénonce avec force « Ce qui est immoral c’est de cacher ce qui peut être démontré comme étant le plus grand programme d’assurance sociale derrière la phrase technocratique de « stabilité des prix ». C’est un schéma qui force les membres les plus précaires de notre société à assurer le pouvoir d’achat des plus sécurisés, et ce, sans aucune limite ou même comptabilité de l’échelle de ce transfert ». Car malgré les différences à la marge, Europe et Etats-Unis ont totalement modifié leur approche monétaire au début des années 80 en s’appliquant à « stabiliser les prix » avant toute autre considération. Une stratégie qui consiste à freiner la progression économique pour éviter tout dérapage du côté de l’inflation, ce qui a conduit à donner une protection au « capital » au détriment du « travail ». En effet, lorsqu’une crise survient, une autorité monétaire dispose de deux choix, en faire payer le prix au « capital » par le biais d’une inflation temporairement plus élevée, ou en faire payer le prix au « travail » en permettant un chômage plus élevé. Depuis 1980, c’est la seconde solution qui est systématiquement utilisée. En plus d’être déséquilibrée, cette méthode a également permis de rompre le rapport d’équité qui pouvait exister entre employeur et employé. Dès lors que le chômage de masse frappe une économie, la possibilité de négocier son salaire diminue. En situation de plein emploi, le rapport de négociation s’équilibre. L’employeur se trouve contraint d’augmenter les salaires pour ne pas perdre les compétences au sein de son entreprise. Si la recrudescence des inégalités a une cause depuis 1980, c’est du côté monétaire qu’il faut se tourner.

Une approche qui est justement en train d’évoluer aux Etats-Unis. Voici un combat que Thomas Piketty pourrait prendre à bras le corps en France.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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