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Les dessous du plan de la Chine pour dominer le monde : "une tradition politique paranoïaque"
©Anthony WALLACE / AFP

Politique intérieure

Premier volet d’une série en 5 articles. Depuis la crise du Covid-19, la Chine se retrouve seule face au monde.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico.fr : Afin de bien comprendre la vision du parti communiste chinois pour l’après crise, pouvez-vous nous rappeler quel était le plan de Xi Jinping afin que le pays retrouve sa place dans la diplomatie internationale avant le début de l’épidémie ? 

Emmanuel Lincot : La politique de Xi Jinping s'inscrivait avant tout dans celle initiée par ses prédécesseurs et d'entre, tous Mao Zedong. Elle pouvait se résumer en deux mots : indépendance et souveraineté. Toutefois, avec Xi Jinping, la radicalité du discours, de la posture et des actes tranche. Xi Jinping est un pur produit du léninisme et de son avatar, le stalinisme. On le voit dans cette manie du secret qui le caractérise, dans sa mégalomanie (le lancement des Routes de la soie) et son agressivité vis-à-vis tant des Américains que des plus proches voisins de la Chine. Si la Chine semble avoir emporté la première manche dans sa rivalité qui l’oppose aux Etats-Unis, la crise du Covid-19 est loin d’être terminée. Elle signe la fin de la globalisation telle que nous l’avions connue. Nombre d’industriels européens, américains et japonais vont se retirer du marché chinois. C’est une très mauvaise nouvelle pour l’économie chinoise, laquelle comme vous le savez est en nette récession. Les Américains ont désormais identifié leur ennemi. Ce n’est plus vraiment le terrorisme international. C’est la Chine. C’est une autre très mauvaise nouvelle pour Pékin. L’Union Européenne, son premier partenaire commercial, a engagé une partie de bras de fer avec la Chine. A l’international, tous les voyants sont donc au rouge pour Pékin. Cette pandémie qui nous a terrassée redistribue les cartes. Le danger vient de ce que la Chine se retrouve désormais seule face au monde. Or, pour parler le beau langage de Paul Valéry, « un Etat seul n’est jamais pas en bonne compagnie ». Il n’est pas impossible de penser que cette asymétrie dans les rapports de forces va déboucher sur des conflits autres que commerciaux, de basse intensité et de nature militaire dans un premier temps voire d’envergure dans un second temps.

Emmanuel Véron : Il convient de rappeler que la Chine n'a jamais été aussi puissante, même sous la dynastie Tang. La Chine a une expérience de la puissance en Asie mais pas de manière globale. Pékin cherche sa place plutôt que la retrouver. C'est donc une première pour elle-même et pour le reste du monde. En ce sens, Xi Jinping depuis son arrivée au pouvoir poursuit la dynamique de puissance initiée d'abord par Mao puis par Deng et ses successeurs. L'objectif est celui d'une affirmation de la prééminence de Pékin en Asie et plus largement dans les affaires du monde, sans prendre comme modèle le leadership américain, mais plutôt en cherchant à neutraliser les pôles de puissance, pour à terme dominer. Les modalités de politique internationale de Xi Jinping ne sont pas tant une rupture avec son prédécesseur Hu Jintao, qu'une accélération et affirmation des ambitions via la montée en puissance de ses champions nationaux dans les nouvelles technologies (et un soutien fort de l'Etat-Parti), son immense réseau diplomatique et son activité intense dans les organisations internationales onusiennes ou non (OCS, BAII, format 17 + 1, Forum Chine-Afrique, CELAC, etc.). Aussi, l'outil militaire s'est considérablement modernisé et accru dans l'optique de rééquilibrer le dialogue stratégique avec les américains, mais aussi d'impressionner les voisins (Japon, Inde ou Taïwan en tête).  Enfin, Pékin applique avec rigueur ce que disait John Adams (second président des Etats-Unis) : "Il y a deux manières de conquérir et asservir une nation. L’une par l’épée. L’autre par la dette". Ainsi, la Chine cherche à se créer une image de puissance à l'international tout en se cherchant dans le système international, sa gestion diplomatique de la crise en atteste.

Comment le gouvernement chinois arrive-t-il à asseoir son autorité sur une population de plus d’un milliard de personnes ? Quelle est actuellement la situation de la politique intérieure du pays ? 

Emmanuel Lincot : Pour comprendre l’état de la Chine et son opinion, il faut bien imaginer que ce qui a prévalu jusqu’alors c’était une forme de servitude volontaire avec un consensus largement partagé autour de la valeur argent. Tant que la croissance était au rendez-vous, depuis 1989, nul ne pensait remettre en cause ce compromis. A ceci s’est ajoutée une campagne contre la corruption menée par Xi Jinping qui dans un premier temps a rencontré une réelle popularité.

Xi Jinping n’a cessé depuis 2012 de purger l’administration et l’armée en nommant aux postes clés des membres de sa garde rapprochée. Le Covid-19 a accéléré le processus. Pour autant, des régions entières restent gangrénées par la corruption, comme la Mongolie intérieure, et le nationalisme ne séduit que les plus urbanisés. Le Covid-19 a mis des millions de gens sur la paille. Propriétaires de petites entreprises ou simples paysans venus travailler sur le chantier des villes ou dans les ateliers d’assemblage : c’est cette frange de la société qui peut être la plus sujette à une contestation sociale. Et les tensions avec l’Occident ne vont guère arranger les choses.

Emmanuel Véron : Les organes de la RPC ont par tradition une culture de la surveillance, de la dénonciation et de la paranoïa. Ce système se prolonge jusqu'à l'individu. L'investissement (très massif) dans la sécurité intérieure (grosso modo plus important que dans la défense chinoise), en particulier dans la cyber-surveillance explique aujourd'hui, cette forme inédite de schéma autoritaire sinon dictatorial. Associés à l'Etat-Parti, les grands groupes numériques chinois (BATX) collaborent pour le contrôle de la société via le développement de collectes de données et d'intelligence artificielle. Aussi, le mensonge et la dissimulation tous deux structurels dans l'histoire de la RPC sont des atouts importants de la politique intérieure. Utile pour galvaniser un peuple et renforcer le nationalisme en soufflant sur les braises de la menace venant de l'étranger ou des forces dissidentes internes au monde Chinois (Hong Kong, Taïwan, pro-démocraties, populations minoritaires - non-Han ). La crise du Covid-19 a montré toutes les nuances de ce système se percevant comme assiégé. Les opinions se sont pour la première fois depuis Tiannamen en 1989 (en termes d'ampleur), coaguleés pour demander plus de transparence, de vérité et de liberté, suite au décès du médecin Li, mort le 7 février dernier. Dans les faits, et c'est là une victoire pour le régime, la contestation (massive) s'est matérialisée sur les réseaux sociaux. Or, ces derniers sont étroitement cadenassés par le régime. s'en est suivi une vague de censure, de contre-vérités, opérées par une armée de cyber-soldats, le wumaofen, autrement dit, 5 centimes. Somme d'argent reçu pour avoir aidé le régime à dire ou dénoncer sur l'Internet Chinois. Avec la reprise en main par le pouvoir central de la gestion de crise, Xi Jinping a pu faire accuser et purger les cadres locaux (Wuhan et la province du Hubei), tout en leur faisant porter la responsabilité, redorant ainsi son image de leader légitime auprès de l'immense population chinoise et assurant le soutien du peuple contre d'éventuels factions rivales au sein du PCC.

Que sait-on réellement de la gestion chaotique de l’épidémie par les dirigeants ? 

Emmanuel Lincot : Comme à l’époque du Grand Bond en Avant (1958) qui a provoqué 40 millions de morts, les dirigeants de Pékin ne savaient absolument rien sur l’état réel du pays. Pour une raison simple : dans une organisation communiste, la communication est transmise en silos. Et surtout, l’inexistence de contre-pouvoirs et la peur ambiante ne permettent pas de vérifier l’authenticité des données chiffrées que l’on vous communique. Le réflexe le plus habituel est de masquer la réalité ou de la tronquer. C’est ce qui s’est produit avec le Covid-19. Mais il existe un autre phénomène d’interprétation plus culturaliste : dans le monde chinois, reconnaître sa faute, c’est perdre la face. La sienne propre mais aussi et surtout celle de sa communauté. Nul ne veut / ne peut endosser la responsabilité d’une faute. Le Covid-19 a provoqué à la fois une sidération et une inhibition non seulement dans le refus de transmettre suffisamment vite les informations sur la gravité sanitaire des dirigeants locaux aux dirigeants gouvernementaux mais aussi au niveau international. La mollesse du Directeur de l’OMS a alors considérablement aggravé l’impact de la pandémie.

Emmanuel Véron : La crise que nous traversons, la Chine aussi (ce n'est absolument pas terminé) est un exemple très éloquent de la capacité de l'Etat-Parti à mentir et utiliser le mensonge et la dissimulation comme outil de politique intérieure (aujourd'hui de plus en plus transposé comme outil de la politique internationale). La crise sanitaire débute courant novembre 2019. L'antenne de l'OMS à Pékin a été informé d'un virus (non transmissible à l'homme) fin décembre 2019. Il a fallu attendre le 23 janvier 2020 pour confiner drastiquement la ville de Wuhan. Entre temps, plusieurs dizaines (centaines) de millions de déplacement ont eu lieu en Chine, en Asie et dans le monde... Des équipes médicales de Wuhan (dont le docteur Li ou sa collègue, cheffe des urgences, Dr. Ai Fen) ont été réduits au silence et les travaux de recherche qu'ils avaient initiés ont été détruits. L'épidémie s'est transformée en pandémie. Les chiffres sont inavouables pour les autorités locales comme centrales. La dangerosité du virus et ses caractéristiques sont restées plusieurs semaines opaques. Les mesures strictes de confinement et de quarantaine renseignent sur l'état de sidération et le manque d'équipements et de matériels des équipes médicales à Wuhan, dans la province du Hubei et plus largement dans le pays. La reprise en main autoritaire de Xi Jinping permet de détourner l'attention sur toutes ces difficultés, manquements et chaos des premiers mois. Dans un deuxième temps, la réécriture de l'histoire est en cours reliant ainsi avec le rapport pathologique du Parti-Etat avec l'histoire. Entre amnésie structurelle, où les traumas sont oubliés ou dissimuler (Réforme Agraire, Mouvement des cent fleurs, Révolution Culturelle, Tiananmen etc.) et hypermnésie conjoncturelle (Siècle de la Honte par exemple), le régime aura à métaboliser les effets de cette crise qui aujourd'hui concerne le monde.

Bien que l'épidémie semble sous contrôle, des foyers de résurgence du virus semblent apparaître à la frontière de la Corée du Nord et de la Russie, une crise géopolitique est-elle à craindre ? 

Emmanuel Lincot : Oui, un nouveau foyer est apparu à Harbin dans le nord-est du pays. Harbin a autant d’habitants que Wuhan (11 millions d’habitants). La ville est au carrefour des grands axes conduisant vers la Corée du Nord et la Sibérie. Moscou, dès le commencement de la pandémie, a fermé ses frontières avec la Chine. Officiellement, les relations sino-russes sont au beau fixe. Officieusement, la population russe a toujours nourri une certaine méfiance, teintée parfois de racisme, à l’encontre des Chinois. Il n’est pas impossible que la pandémie réveille de part et d’autre de vieux démons. Quant à la Corée du Nord, même si le pays est fermé, il existe des échanges commerciaux avec la Chine. La situation sanitaire y étant déjà catastrophique, le développement de la pandémie peut provoquer un véritable séisme. Les spéculations vont bon train sur la disparition brusque de Kim Jong-un. Y a-t-il un lien entre la pandémie chinoise et celle-ci ? Nul ne le sait pour le moment.

Emmanuel Véron : Les nouveaux clusters ou seconde phase sont désormais devenus des mots clés de la gestion de crise à l'international, pas seulement en Chine. Concernant cette dernière, nous pouvons pointer du doigt le fait que depuis le premier patient (et non le patient 0), c'est à dire à la fin 2019, les mouvements de personnes et la taille de la démographie chinoise comme de son territoire, Pékin n'en est pas à une seconde phase, mais plutôt une déclinaison de diverses phases où le virus à lui-même muté X fois.... La question très récente du Nord-Est de la Chine (Mandchourie) est éloquente de cette diffusion en lien avec des populations chinoises travaillant en Russie, voire en Corée du Nord ou en Mongolie et revenues en Chine. Difficile de savoir réellement ce qu'il se passe dans la zone transfrontalière sino-russo-coréenne. Dans les faits, la Chine entretien une relation très asymétrique, tant diplomatiquement qu'économiquement, là où la démographie chinoise est la plus dynamique (en comparaison avec les pays riverains). Plus d'une crise géopolitique, cela nourrit un sentiment anti-chinois, en particulier en Russie (dans l'opinion), malgré le supposé axe stratégique Pékin-Moscou. 

Pour retrouver la seconde partie de l'analyse et de la série de décryptages d'Emmanuel Lincot et d'Emmanuel Véron sur la Chine, sur l’offensive diplomatique, cliquez ICI

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