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Les dérives du système philanthropique de la Silicon Valley et des grandes ONG anglo-saxonnes sont-elles les forces motrices insoupçonnables du populisme ?
©Brendan Smialowski / AFP

Bonnes feuilles

Le scandale au sein de la Silicon Valley Community Foundation avec Emmett Carson et Mari Ellen Loijens a montré un autre visage des philanthropes. Extrait du livre "Délivrez-nous du Bien !" de Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, publié aux éditions de l'Observatoire (2/2).

Jean-Michel  Quatrepoint

Jean-Michel Quatrepoint

Jean-Michel Quatrepoint est journaliste. Après onze ans passés au Monde, il a dirigé les rédactions de l’Agefi, de la Tribune et du Nouvel Economiste. Il a été pendant quinze ans le patron de La Lettre A. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont La Crise globale (Mille et une nuits, 2008) et Le Choc des empires (Gallimard, 2014).

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Natacha Polony

Natacha Polony

Natacha Polony est directrice de la rédaction de Marianne et essayiste. Elle a publié Ce pays qu’on abat. Chroniques 2009-2014 (Plon) et Changer la vie (éditions de L'Observatoire, 2017).

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Il arrive aussi que cette course au dollar des grandes ONG dérape… C’est ce qui vient d’arriver à Emmett Carson, le directeur général d’une des plus célèbres fondations américaines, la Silicon Valley Community Foundation. Créée en 2007, elle draine les fonds défiscalisés des nouveaux milliardaires du Web, ces derniers lui transférant des actions de leurs entreprises. Ainsi, Mark Zuckerberg lui a donné l’équivalent de 1,8 milliard de dollars d’actions Facebook. Au total, cette fondation gère… 13,5 milliards de dollars d’actifs. Un vrai géant de la finance et qui se comporte comme tel. Emmett Carson n’est pas n’importe qui. C’est un Afro-Américain, né dans un milieu modeste de Chicago, qui a fait toute sa carrière dans le milieu associatif américain. En trente ans, il était devenu une icône de la philanthropie outre-Atlantique. Pour engranger toujours plus de dons, Emmett Carson avait engagé une star du fundrising, Mari Ellen Loijens. Présentée alors dans un magazine californien comme une « femme extraordinaire guidée par l’esprit de générosité », elle avait en charge la récolte de fonds. Avec des méthodes de management qui relevaient plus du harcèlement que de la bonne gestion des ressources humaines. Elle faisait régner un climat épouvantable. Les plaintes des employés auprès de Carson et des autres membres de la direction restaient sans suite. Elle paraissait intouchable. Le scandale éclate en avril 2018. Les langues se délient. Mari Ellen Loijens humiliait ses subordonnés, moquant leur physique, leurs vêtements. N’hésitant pas non plus à faire des avances sexuelles à certaines d’entre elles. Finalement, elle a été poussée dehors… comme Emmett Carson, qui couvrait ses comportements. Sans doute parce qu’elle ramenait beaucoup de dons.

Mais à quoi servait donc cet argent ? Essentiellement à distribuer des subventions à des centaines d’associations dans la Silicon Valley, mais aussi et surtout dans le reste des États-Unis, et même dans le monde. Universités, instituts de recherche, galeries d’art, services à la personne. Une politique de distribution qui se faisait sous l’œil et avec l’aval des grands donateurs siégeant au conseil d’administration. Ils veulent bien donner, à condition que cela leur soit utile d’une façon ou d’une autre. Ainsi, en 2017, 12 % seulement de ces dons ont été reversés à des organisations luttant contre la pauvreté en Californie. Cette fondation illustre jusqu’à la caricature les dérives de ce système prétendument philanthropique. Ce que constate David Callahan sur son blog Inside Philanthropy : « La plupart des dirigeants du secteur ont un langage moral, insistant sur la responsabilité sociale, l’équité et le bien commun. Mais ces nouveaux philanthropes sont bien plus terre à terre lorsqu’ils parlent de leur travail et de leur stratégie. C’est alors le langage de la finance, avec des chiffres, des enjeux de pouvoir, du pur capitalisme avec des gagnants et des perdants. »

Samuel Moyn, professeur à Yale, a parfaitement dépeint cette évolution des grandes ONG anglosaxonnes. « Dans les années 1970, lorsque les activistes des droits de l’Homme aux États-Unis et en Europe ont mis la main sur la cause des droits de l’Homme pour les victimes des régimes autoritaires, ils ont oublié le volet social. Focalisés sur la torture et l’emprisonnement, ils ont ignoré les droits économiques et sociaux (New York Times, 23 avril 2018) ». Il y a eu collusion entre ces activistes et les forces du marché. Libéralisme politique et néolibéralisme économique ont fait cause commune. Pendant des décennies. Or, la montée des inégalités et la création d’une classe d’hyperriches suscitent un peu partout une réaction de rejet. Et la montée des populismes. Samuel Moyn met en garde ces ONG. « La cause des droits de l’Homme a besoin du soutien de la majorité. Ces organisations doivent prendre leurs distances avec les fondamentalistes du libre marché en montrant combien les inégalités bafouent les droits de l’Homme. Elles doivent cesser leur compagnonnage avec les politiques néolibérales, si elles veulent prouver qu’elles ne sont pas de mèche. »

Extrait du livre "Délivrez-nous du Bien !" de Natacha Polony et Jean-Michel Quatrepoint, publié aux éditions de l'Observatoire

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