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Les départementales tuées par la réforme territoriale : qui est vraiment capable de dire ce que seront les compétences des départements ?
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Dans le flou

L'Assemblée nationale vote mardi 10 mars le second volet de la réforme territoriale. Des évolutions aux contours flous qui ne répondent pas à toutes les questions sur le futur rôle des conseils généraux. Une opacité malvenue alors que les électeurs s'apprêtent à désigner ceux qui justement présideront à l'avenir des départements.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Comment a-t-on pu arriver à un cas de figure où la loi sur les compétences des départements ne sera pas entièrement finalisée avant les élections départementales, amenant les électeurs à élire des représentants sans connaître leur pouvoir exact ?

Gérard-François Dumont : La France se retrouve dans cette situation pour deux rasions. D’une part, il n’y avait aucune proposition concrète sur la question des compétences des collectivités territoriales dans le programme du candidat François Hollande lors de la campagne en 2012. C’est donc avec surprise que les parlementaires, les conseillers généraux et les Français ont entendu l’annonce de la suppression des conseils départementaux dans le discours de politique générale du nouveau Premier ministre Manuel Valls du 8 avril 2014 : "Mon dernier objectif est d’engager le débat sur l’avenir des conseils départementaux. Je vous propose leur suppression à l’horizon 2021". Puis, le Président de la République, dans son texte à la presse régionale du 5 juin 2014, écrit : "L'objectif doit être une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du conseil général en 2020". D’autre part,  le gouvernement s’est lancé dans ces projets concernant les territoires sans aucune étude préalable et sans même consulter le Président de l’Association des départements de France, pourtant socialiste. Or l’objectif fixé par le Président aurait supposé préalablement un bilan précis de l’action conduite par les conseils généraux depuis la décentralisation.

Ensuite, après les deux principales déclarations du Président et du Premier ministre que je viens de rappeler, les discours gouvernementaux, pendant plusieurs semaines, n’ont nullement permis d’y voir plus clair, de savoir qui allait assumer les tâches des conseils généraux. Les projets de loi présentés en juin 2014[1] se sont révélés imprécis, ne proposant pas d’argumentaire permettant d’expliquer les choix gouvernementaux. Enfin, le gouvernement a décidé de prononcer une "procédure accélérée" pour l’un des projets de loi, interdisant ainsi de prendre le temps d’une réflexion au fond, intégrant par exemple des éléments de comparaison avec l’organisation territoriale des autres pays de l’Union européenne.

Comment les candidats se positionnent-ils face à ce flou ? Cela sape-t-il complètement tout intérêt politique au scrutin ?

Le scrutin départemental de mars 2015 se transforme de facto en des élections à la proportionnelle, où les électeurs votent moins pour des candidats qu’ils connaissent et choisissent que pour un parti. En effet, dans les précédentes élections départementales, alors appelées élections cantonales, sur la majorité du territoire, les électeurs élisaient auparavant un homme ou une femme pour leurs compétences prouvées lors d’un précédent mandat ou ressenties au vu de leur programme et de leur campagne électorale. Ils votaient moins en fonction de l’étiquette politique du candidat que sur sa capacité de contribuer à la bonne gestion territoriale. Avec le redécoupage fondée sur un critère exclusivement démographique et rejetant tout critère géographique, et le système de binôme homme/femme, les conseillers généraux sortants se représentent sur des cantons au moins deux fois plus grands et souvent trois ou quatre fois plus vastes. Les sortants ne sont donc connus que d’une partie des électeurs du nouveau canton ; sur la majorité du territoire national, les électeurs ne retrouvent pas l’identité de leur canton, même si, il est vrai, cette identité était déjà moins perçue dans les centres urbains. Connaissant moins l’éventuel conseiller général sortant, ne comprenant pas le nouveau découpage, pouvant se demander quel sera la répartition des rôles au sein du binôme homme/felle, les électeurs se trouvent ou inciter à s’abstenir ou à exprimer une opinion moins sur les couples de candidats que sur leur parti politique. D’ailleurs, jamais les médias nationaux n’avaient autant couverts des élections départementales[2]. Les lois votées conduisent largement à politiser des élections locales qui reposaient auparavant beaucoup sur la personnalité des candidats et leur qualité de la gouvernance, et dans une mesure nettement moindre, sur leur appartenance politique.

Finalement, la loi ne va sans doute retirer le transport scolaire et le développement économique. Pourtant, la fin annoncée d'une partie des départements en 2021 ne va-t-elle pas amener de nouveaux changements ? La loi votée va-t-elle  être durable ? Le "détricotage" va-t-il continuer ?

En matière de territoires, la France, qui avait pourtant largement réussi la décentralisation des années 1980, est dans un véritable "prurit législatif". Depuis 25 ans, le Parlement a voté :

  • la loi d’orientation sur la ville de juillet 1991 ;
  • la loi de 1992 sur l'administration territoriale de la République ;
  • la loi d’orientation pour l’aménagement du territoire du 4 février 1995, dite loi Pasqua ;
  • la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, dite loi Voynet ;
  • la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite loi Chevènement ;
  • la loi du 13 décembre 2000 sur la solidarité et le renouvellement urbain ;
  • la loi du 27 février 2002 sur la « démocratie de proximité » ;
  • la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, « relative à l’organisation décentralisée de la République »  et au référendum local ;
  • la loi organique du 29 juillet 2004, prise en application de l'article 72-2 de la Constitution, relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales ;
  • les deux lois organiques du 1er août 2003, l’une « relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales », l’autre au référendum local ;
  • la loi du 13 aout 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, fixant les compétences transférées par la réforme de la décentralisation ;
  • la loi organique du 21 juillet 2004 sur l’autonomie financière, précisant les conditions de mise en œuvre des financements aux collectivités territoriales ;
  • la loi 30 juillet 2004 sur les libertés et responsabilités locales ;
  • la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux ;
  • la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales ;
  • la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) ;
  • la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine ; 
  • la loi du 17 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ;
  • la loi relative à l'amélioration du régime de la Commune nouvelle", adoptée le 4 mars 2015
  • et la loi sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 mars 2015 et dont le vote définitif est prévu au Parlement pour le deuxième trimestre 2015.

Cet inventaire, pas forcément exhaustif, ne comprend pas moins de vingt textes en un quart de siècle ! Si l’on ajoute la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), nous sommes presque à un texte par an, sachant qu’il ne faut pas oublier les aspects territoriaux des décisions prises à l’occasion de lois annuelles de finances ou dans d’autres lois comme celles modifiant le régime électoral des collectivités territoriales.

Même si certains aspects de cette boulimie législative étaient justifiés, les Français ont-ils ressentis des avantages à cette profusion de lois, à ce mouvement permanent qui mobilise, voire qui dévore, le temps des élus et celui de nombre de fonctionnaires et engendre un considérable coût administratif ? Il ne le semble pas. De façon générale, ce prurit semble plutôt relever du mouvement brownien ou, pour certains articles de lois, d’une volonté de revenir sur la décentralisation pour retrouver une France plus jacobine. L’instabilité législative fait perdre de la visibilité et ne permet guère à l’électeur de s’y retrouver, alors que l’essentiel serait de fournir un meilleur environnement permettant aux élus d’améliorer leur gouvernance territoriale[3].

Au printemps 2014, le gouvernement, décidé à supprimer les conseils généraux,  voulait transférer les compétences des départements en les répartissant entre les préfets, les régions et les intercommunalités. Par exemple, le ministre de l’Intérieur énonçait l’objectif de « pouvoirs reconnus et renforcés pour les préfets de département »[4]. Encore début octobre, précisément le 10 octobre 2014, s'exprimant en clôture du congrès de l’Association des régions de France, le Premier ministre a tenu des propos plus centralisateurs que décentralisateurs, ce qui n’a guère été apprécié par les Présidents de régions, pourtant quasi exclusivement de la même tendance politique que le Premier ministre. Un mois plus tard, le Premier ministre au congrès de l’ADF (Association des départements de France), à Pau, le 6 novembre 2014, a pris une position contraire à celle de son discours d’investiture : "Nous avons besoin de cet échelon intermédiaire, qui peut évoluer bien sûr, que sont les conseils généraux, qui ont des compétences de proximité, de solidarité tout à fait essentielles".

Entre temps, il avait donc pris conscience qu’aucune région et pratiquement aucune intercommunalité[5] ne demandait à assumer les compétences sociales des départements et il avait, sans doute, écarté certaines des idées reçues qu’on lui avait servies sur les départements[6]. D’ailleurs, penser qu’un transfert des compétences sociales des conseils généraux ferait gagner en efficacité est illusoire. Depuis la décentralisation, les départements, en proximité avec les habitants, ont prouvé, même si leur gouvernance n’est pas toujours excellente et doit en permanence viser à l’amélioration, leur savoir-faire en matière sociale non seulement en développant une réelle capacité de gestion, mais aussi par de l’innovation sociale, deux points sur lesquels l’État avait montré ses faiblesses avant le décentralisation. Avec l’existence d’une administration départementale dirigée par des élus, quand un citoyen rencontre une difficulté, il peut intervenir auprès de son conseiller général dont il est l’électeur. En cas envisagé de transferts de certaines compétences à la préfecture, ce même citoyen, faute d’interlocuteur élu, devrait se tourner vers une administration d’Etat, dont l’opacité est inévitablement plus grande.

Face à la dynamique des pouvoirs entre les départements, les régions et les intercommunalités/métropoles qui transparaît du second volet de la réforme, le scrutin départemental ne va-t-il pas avoir de moins en moins d'intérêt face aux deux autres

Le scrutin régional, avec son organisation selon une logique proportionnelle, est de fait une élection nationale. Les électeurs ne connaissent pas leurs conseillers régionaux ; il faut bien admettre que le mode de scrutin régional en vigueur favorise un système d’apparatchiks. Il s’agit certes d’hommes et de femmes comme les autres qui pensent au bien commun, mais qui sont souvent contraints d’abord par les objectifs de leur parti politique. Le mode de scrutin régional actuel n’est donc pas favorable à une bonne démocratie.

Le conseiller général, lui, avait une vraie proximité avec son canton, mais le nouveau système électoral minore considérablement cet avantage. En effet, le redécoupage de la carte électorale cantonale a amené à la création de cantons dont certains peuvent être de la taille d’une circonscription législative. Or un canton ne devrait pas être considéré uniquement par son nombre d’habitants, mais aussi dans sa dimension géographique. De plus, le système de binôme – et donc la taille croissante des cantons – rend plus difficile pour les citoyens l’identification claire de qui est exactement son conseiller. Le nouveau système porte donc atteinte à la démocratie locale. Comme le scrutin de mars 2015 se déroule alors que les compétences des élus ne sont pas encore arrêtées,  il signifie, pour prendre la formule[7] de la journaliste Raphaëlle Bacqué, un « mépris du citoyen ».


[1] Projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE), Sénat, n° 635, enregistré le 18 juin 2014 ; Projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, Sénat, n° 636, enregistré le 18 juin 2014.

[2] Mais elles se déroulaient auparavant tous les trois ans sur la moitié des cantons.

[3] Dumont, Gérard-François, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin, 2012.

[4] Entretien de Bernard Cazeneuve à Acteurs publics du 26 juin 2014.

[5] A l’exception de la métropole de Lyon, pour des raisons spécifiques à ce territoire ; cf. Dumont, Gérard-François, « Lyon : la revanche d’un métropole », Population & Avenir, n° 712, mars-avril 2013.

[6] Dumont, Gérard-François, « Départements français : petit dictionnaire des idées reçues », Population & Avenir, n° 719, septembre-octobre 2014.

[7] Prononcée à l’émission C dans l’air de France 5 du 9 mars 2015.

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