Les démocraties doivent se défendre contre le terrorisme, mais les États autoritaires aussi, par obligation économique et financière<!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que la guerre s'intensifie à Gaza, les liens se multiplient entre les belligérants afin de préserver des relations diplomatiques pour construire des solutions politiques et sauvegarder les capacités d'échanges économiques et financiers.
Alors que la guerre s'intensifie à Gaza, les liens se multiplient entre les belligérants afin de préserver des relations diplomatiques pour construire des solutions politiques et sauvegarder les capacités d'échanges économiques et financiers.
©Jack Guez / AFP

Atlantico Business

La guerre entre Israël et le Hamas n’est pas seulement inéluctable d’abord pour des raisons politiques et morales, mais il n’y a pas d'avenir possible sur la planète sans stabilité, y compris pour les régimes autoritaires.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les démocraties libérales ne peuvent pas, ne pas se défendre des abjections terroristes. Humainement. Moralement et politiquement. Les actes terroristes aussi terrifiant que ceux du 7 octobre sont insupportables. Ils n’étaient même pas imaginables.  

Mais au-delà des démocraties libérales, la grande majorité des gouvernements de la planète ont désormais compris que la guerre, quelle qu'elle soit, en Ukraine comme au Moyen-Orient, était un frein à leur propre développement économique, et social... Alors que la guerre s'intensifie dans la bande de Gaza, les liens se multiplient entre les différents belligérants afin de préserver des relations diplomatiques nécessaires pour construire des solutions politiques et sauvegarder les capacités d'échanges économiques et financiers, et cela, quelle que soit la nature des organisations politiques.

C'est parfois officiel sous la houlette du FMI ou de l'OMC, c'est parfois plus discret sous la tutelle des pays du G7, du G20 ou des BRICS et associés, c'est même parfois complètement discret et couvert par le secret des diplomaties. Mais c’est toujours difficile et souvent douloureux.

En fait, depuis "la fin de l'histoire" dans les années 1990 avec la chute de l'empire soviétique, la planète toute entière s'est engagée dans une mondialisation qui a permis un développement économique quasi général. On pensait à une mondialisation heureuse porteuse de paix et de progrès économique pour le plus grand nombre. Peut-être que les démocrates sincères ont-ils fait preuve de naïveté ou de cynisme. N'empêche que cette mondialisation a permis plus de 20 ans de croissance forte sur l’ensemble de la planète.

Les pays sous-développés sont devenus très rapidement des pays en voie de développement, puis des pays émergents.

Les pays occidentaux dotés de gouvernance démocratique en ont évidemment profité. Les Américains, les Européens ont retrouvé dans le commerce mondial et la libre circulation des hommes, des capitaux, des biens et des services, des moyens d'accroître leur productivité en délocalisant un maximum de fabrications, puis des gisements de croissance en accédant à des marchés nouveaux, tout en redistribuant du pouvoir d'achat sur leur propre marché avec des produits à faible coût de main-d'œuvre. Cette nouvelle vague de croissance a permis de dégager des moyens de financements qui ont dopé la recherche technologique, permettant en quelques années de dégager des progrès spectaculaires dans l'amélioration des conditions de vie (confort matériel, démographie, éducation, santé...).

Mais revers de la médaille, à partir des années 2010, années de tempête financière qui va souffler sur la totalité du globe, on s'est aperçu que les fruits de la croissance mondiale étaient très mal répartis. D'où des inégalités difficilement supportables. Entre les grandes zones géographiques certes, mais surtout à l'intérieur de chaque pays.

Dans les pays émergents, le fossé s'est creusé entre les classes dirigeantes et les classes populaires. Les dirigeants eux n’ont jamais refuses les avantages du modèle occidental au point d’en profiter de façon parfois ostentatoire. Les classes populaires, elles ont choisi la rue pour manifester leur frustration et leur mécontentement ou l’immigration. Mais cette situation a aussi  généré des courants révolutionnaires et terroristes, lesquels ont été plus ou moins tolérés par les élites dirigeantes de ces pays. Tolérés, mais utilisés aussi avec beaucoup d'ambiguïtés, comme on le voit aujourd'hui.

Dans les pays occidentaux, les classes moyennes qui formaient le pivot du fonctionnement des démocraties se sont appauvries relativement et ont grossi les courants populistes. La gestion de ces courants a affaibli les grandes puissances économiques en gonflant leurs dépenses d'assistances sociales.

En fait, cette mondialisation a cristallisé une fracture entre les pays occidentaux majoritairement respectueux des valeurs de la démocratie et des règles de droit, et les pays plus autoritaires, dont beaucoup se sont retrouvés autour des valeurs portées soit par des idéologies nationalistes (la Chine), soit par des valeurs religieuses autour des préceptes islamiques. Ces pays n'ont pas toujours respecté les contrats qu'ils avaient signés pour entrer dans le jeu du capitalisme mondial. C’est à ce moment-là qu’on retrouve le concept de « chocs des civilisations », l’explication très à la mode n’est pas forcément satisfaisante. Mais ces cinq dernières années ont surtout révélé des phénomènes qui ont profondément remis en cause le fonctionnement de cette mondialisation.

D'abord, la crise mondiale du Covid a montré que, pour des raisons sanitaires, certains pays pouvaient être privés d'approvisionnement stratégique, d'où la réaction naturelle de diversifier leurs sources pour diminuer les risques de pénurie, d'où la décision de relocaliser certaines industries et simplifier (ou raccourcir leur chaîne de valeur). Certains pays se sont aperçus aussi que leurs partenaires émergents ne respectaient pas les droits du commerce les plus basiques, la Chine notamment.

Ensuite, les tensions sociales provoquées par les inégalités et l'accroissement des flux migratoires ont fragilisé les élites dirigeantes dans la plupart des pays. Les démocraties ont tant bien que mal trouvé des solutions politiques. Les autres, comme la Chine et la Russie, ont durci leur gouvernance autour d'un parti unique ou d'un pouvoir militaire.

Enfin, les risques naturels, climatiques et migratoires ont mis en lumière la nécessité de consentir des investissements considérables pour trouver des énergies alternatives aux énergies fossiles et des modèles de production et de consommation moins carbonés, pour découvrir aussi des modes de vie différents. Certaines économies pouvaient consentir à ces efforts, d'autres ne le pouvaient pas et s'asseyent sur les engagements écologiques.

Mis bout à bout, tous ces changements ont accru les tensions et les rivalités et remis en cause les potentiels de croissance économique. L'Occident s'est plongé dans la recherche technologique et les innovations tous azimuts. Le digitale et l’intelligence artificielle annonce des promesses de productivités nouvelles. Mais beaucoup de pays émergents se sont repliés sur leurs valeurs identitaires, historiques et religieuses, faute de pouvoir offrir à leur peuple la prospérité économique. Avec le risque de nourrir des mouvements trans-étatiques mais très radicaux comme le Hezbollah, le Hamas, ou Daesh.

La guerre entre Israël et le Hamas est l'expression la plus violente depuis les attentats du 11 septembre, avec des effets sans doute plus graves encore, dans la mesure où cet antagonisme entre le Hamas et Israël pourrait être contagieux à l'ensemble de la planète. Comme les États-Unis à l'époque avaient lancé des offensives pour détruire Ben Laden et ses adeptes islamiques, Israël a lancé ses troupes contre le Hamas pour s'en débarrasser. Sauf que 20 ans après la crise du 11 septembre, le Hamas a réussi à prendre en otages une grande partie du monde musulman pour se protéger des bombes israéliennes. Le schéma est donc beaucoup plus compliqué. Au-delà des conséquences humaines insupportables, les conséquences économiques risquent d'être catastrophiques pour le monde entier.

Le commerce extérieur, déjà handicapé par la guerre en Ukraine, risque désormais la paralysie, parce que les pays pétroliers sont en rôle dans la bataille, parce que les marchés extérieurs sont déjà abîmés par la guerre en Ukraine et les difficultés de la Chine, parce que tous les gouvernements s'aperçoivent que l'instabilité et la violence bloquent le développement économique dont ils ont besoin.

Tous les dirigeants du monde ont intérêt à ce que le conflit au Moyen-Orient s'arrête mais aucun n’a véritablement les moyens de l’arrêter .Tous les dirigeants du monde ont intérêt à éradiquer les mouvements terroristes parce qu'ils sont mortifères. Les pays occidentaux au premier chef qui ressortent des solutions politiques (pour l'instant introuvables).

Mais  les pays émergents aussi ont intérêt à un retour au calme. Sauf que leurs dirigeants ont du mal à assumer officiellement et pleinement cette ambition. Ils auraient besoin d'un écosystème équilibré pour faire du business et de la croissance, mais ils ne peuvent pas condamner les mouvements de rue qui manifestent une hostilité aux démocraties occidentales. La plupart des gouvernements sont piégés par leur opinion publique chauffée à blanc par la communication des mouvements terroristes. Ils sont donc complètement plongés dans l'ambiguïté.

Un pays comme le Qatar aujourd'hui est la caricature de ce double jeu. Le Qatar protège le Hamas, c'est de notoriété publique parce qu'en protégeant le Hamas, les dirigeants du Qatar trouvent un rôle important sur la scène internationale. D'un côté, ils sont admirés par les populations palestiniennes, mais de l'autre parce qu'ils peuvent offrir à Israël et aux Occidentaux une capacité de médiation. L'Occident a donc besoin du Qatar, comme le Qatar a besoin de l'Occident où il y a investi sa fortune et son avenir.

L'Arabie saoudite, leader du courant sunnite majoritaire chez les musulmans, n'a aucune raison de soutenir les courants terroristes, sauf qu'elle le fait sur la pointe des pieds pour s'acheter la paix sociale des musulmans du monde entier, puisqu'elle abrite La Mecque, lieu sacré de l'islam. Les dirigeants d'Arabie saoudite ont l'ambition de transformer leur modèle économique en investissant dans des activités industrielles occidentales pour le jour où le monde capitaliste n'aura plus besoin de pétrole. Donc l'Arabie saoudite maintien des liens très étroits, comme le Qatar et les Émirats arabes unis, pour participer au développement du monde, mais essaie de ménager les masses de musulmans de la rue qui sont instrumentalisés  par les radicaux. Les dirigeants iraniens se sont dressés contre l'Occident, mais leur opinion publique ne les suit pas. Donc pour l'instant, les Iraniens de la rue se taisent mais n'ont qu'une envie, vivre en liberté et faire comme les Iraniens du grand bazar jadis du business avec l'étranger. Idem pour la Jordanie qui abrite le Hezbollah . Idem pour le Liban.

Les pays autoritaires comme la Russie ou la Chine se sont mis en position de faire la guerre contre les europeens comme Moscou, ou de menacer de la faire aux américains comme Pékin. En fait, les deux grandes puissances incapables d'offrir une prospérité économique à leur population leur offrent un rêve de grandeur et de guerre contre un ennemi historique. Cette posture est classique. Elle n'aboutira pas . Les peuples branchés sur Internet ne vont pas cesser de revendiquer ce que l'Occident sait faire de mieux : développer des  moyens de confort quotidiens : des logements équipés, des moyens de santé et d'éducation, des loisirs, du pain et des jeux, comme disaient les empereurs romains. Mais pour offrir un modèle de consommation, il faut libérer les forces qui créent de la richesse, c'est-à-dire de la liberté individuelle et le droit de profiter du fruit de son intelligence, de son talent et de son travail. Autant de réformes structurelles que des régimes autoritaires ne peuvent pas mettre en place .

Le cas de la Turquie est emblématique du piège ambigu dans lequel les dictatures sont tombées. Le président Erdogan redouble d'agressivité à l'encontre des Occidentaux en s'affirmant protecteur des musulmans. Pour beaucoup, son attitude est incompréhensible, car par ailleurs, il est membre de l'OTAN, le bras armé de l'Occident capitaliste, et quasiment candidat à la zone euro. Parce que pour des raisons économiques il a besoin de l’occident . la Turquie traverse l'une des crises économiques les plus graves de son histoire, avec une inflation insupportable et des risques de pénurie alimentaire permanente. Ce type de logiciel est compliqué à faire tourner . Il faut relire Machiavel , « Aucun dirigeant dans l’histoire n’a pu conserver le pouvoir dans donner à son peuple ce dont il avait besoin ».

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