Les chefs d’entreprises essaient d’imaginer le mode d’emploi d’une France qui serait ingouvernable, faute de majorité claire<!-- --> | Atlantico.fr
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Aujourd’hui et depuis presque un mois, ce système de production s’est mis au ralenti.
Aujourd’hui et depuis presque un mois, ce système de production s’est mis au ralenti.
©BERTRAND GUAY / AFP

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Dans l’attente d’un deuxième tour qui pourrait accoucher d’un gouvernement sans majorité, les chefs d’entreprise essaient déjà d’imaginer comment la France pourrait alors fonctionner avec une administration sans pouvoir politique.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Le monde de l’entreprise et des affaires représente en France près de 5 millions de responsables, managers ou chefs d’entreprise. Beaucoup sont des petites et moyennes entreprises, et même des micro-entreprises. Mais toutes ensemble constituent la colonne vertébrale du pays qui lui permet de tenir debout. Un secteur dont dépend plus de 21 millions de salariés. 

La fonction du chef d’entreprise est en effet d’assurer la création de richesses et d’emplois. Sans création de richesse, rien n’est possible : pas de salaires, pas de consommation, pas d’impôts, pas de services publics, pas de fonctionnaires, pas de moyens pour assurer la sécurité et l’ordre public. 

Le ressort principal des chefs d’entreprise, c’est la liberté de s’organiser et d’optimiser leur intérêt dans un monde de concurrence qui les oblige à progresser et dans un État de droit qui leur permet de sécuriser leur activité. Avec des partenaires et des contre-pouvoirs que sont leurs salariés, leurs actionnaires ou banquiers et surtout leurs clients.

Aujourd’hui et depuis presque un mois, ce système de production s’est mis au ralenti. Les décisions d’investissement et d’emplois ont été suspendues ou retardées parce que ce monde de l’entreprise a évidemment été surpris par la décision aussi brutale de la dissolution de l’Assemblée nationale. La campagne électorale a montré que les solutions alternatives n’étaient pas évidentes avec des programmes de gouvernements assez peu cohérents et surtout dominés par des promesses très démagogiques et par conséquent très coûteuses en dépenses sociales et en fiscalité.

Cela étant, les chefs d’entreprises comme les marchés (c’est-à-dire tous ceux qui prêtent de l’argent) n’ont pas paniqué. Ni en France, ni en Europe. Pourquoi ? Parce que les résultats du premier tour, les débats et les tractations entre les deux tours ont semblé indiquer que le risque d’une majorité d’extrême gauche (dominée par LFI) était écarté. Quant au risque d’une majorité d’extrême droite, il paraissait moins dangereux dans la mesure où le programme de gouvernement du RN a été très édulcoré. À la veille du second tour, après « la cuisine des désistements », il est apparu encore moins probable que le RN réussisse à disposer d’une majorité absolue. D’où l’idée d’une situation politique très compliquée puisque sans majorité claire, la France serait ingouvernable.

À partir de ce moment-là, les experts, les politologues et beaucoup de chefs d’entreprise ont essayé d’imaginer comment pourrait fonctionner la « maison France » sans majorité politique. D’où le scénario d’un gouvernement technique qui pourrait ou bien chercher à nouer des accords sur des projets précis ou alors se limiter à administrer le pays sans proposer des directives lourdes et impactantes. C’est totalement imaginable. 

La Belgique a vécu deux ans sans gouvernement, l’Italie a aussi traversé des périodes très longues sans boussole politique, la Grèce aussi, la Hollande est en train de constituer un gouvernement de coalition mais dominé par l’extrême droite. L’Allemagne travaille à constituer une nouvelle coalition. La situation est nouvelle pour la France de la 5e république mais elle n’est pas exceptionnelle en Europe . 

Une telle perspective n’effraie pas le monde de l’entreprise actuellement. La bourse est très sereine, les marchés sont stables, les taux d’intérêt n’ont pas la fièvre. 

En gros, les patrons d’entreprise sont plutôt soulagés de voir écartés les risques d’une gestion budgétaire qui ne serait pas financée, les risques d’une fiscalité accrue et confiscatoire et d’un dérèglement du système d’économie de marché qui était contenu dans les programmes de LFI notamment. Donc, pas de risque de crise systémique, pas de risque de défaut de crédit, pas de risque de blocages. Mais en revanche, une situation moins risquée à court terme mais ingouvernable entraîne beaucoup d’incertitudes à moyen et long terme.

Les avantages d’une absence de majorité ne sont pas nuls pour les chefs d’entreprise parce que cela permet au système de vivre sur le statu quo. Le gouvernement ne peut pas faire voter de loi et surtout il ne peut pas toucher aux impôts (pas de baisse mais pas d’augmentation), pas toucher aux dépenses publiques et aux prélèvements obligatoires. On reste dans le cadre antérieur qui était supportable. Le gouvernement gouverne par des décrets mais se limite au régalien, c’est-à-dire à surveiller le fonctionnement, le respect des lois et règlements, etc. Le problème, c’est que cette situation sans directive politique ne peut pas durer trop longtemps. Parce que le système a besoin de réformes fortes pour se moderniser et s’adapter sur le social, sur la sécurité, sur les services publics, sur l’école, sur la santé, sur l’immigration, sur les infrastructures collectives, etc.

Mais cette situation immobilisée peut fonctionner en période de croissance parce qu’en période de croissance, l’activité draine mécaniquement des recettes fiscales nécessaires au fonctionnement. Mais si l’activité pique du nez, et elle peut piquer du nez, le budget est en risque de dérive. Et si la dérive des dépenses et du déficit n’est pas stoppée, le pays va se retrouver en risque de rupture de financement. Cela commence par une augmentation des taux d’intérêt, des primes de risque, et des avertissements sans frais de Bruxelles puis de la Banque centrale. Enfin suprême humiliation , la  visite du FMI ..

Bref, un pays puissant et démocratique ne peut pas vivre très longtemps sans garantie politique. D’autant que si les forces ne peuvent pas s’exprimer au parlement, elles s’exprimeront dans la rue. Le monde des affaires est protégé des risques de crise économique et financière grave. Mais il n’est pas protégé des risques sociaux. À plus long terme, il va manquer de visibilité et sans visibilité, on ne va pas très loin, très vite.

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