Les Asiatiques de France cibles d'une délinquance et d'une violence spécifiques<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Les Asiatiques de France cibles d'une délinquance et d'une violence spécifiques
©DR

Alerte

Alors qu’il participait au défilé du Nouvel An chinois, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a déclaré ce dimanche vouloir assurer "la protection au quotidien" de la communauté asiatique, trop souvent victime d’agressions. En France, la population asiatique est estimée à un million de personnes, principalement à Paris et en Ile-de-France.

Richard Beraha

Richard Beraha

Richard Beraha est l'auteur de La Chine à Paris (Robert Laffont 2012). Il anime le site lachineaparis.fr

Voir la bio »

Atlantico. Alors qu’il participait au défilé du Nouvel An chinois, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a déclaré ce dimanche vouloir assurer "la protection au quotidien" de la communauté asiatique, trop souvent victime d’agressions. En France, la population asiatique est estimée à un million de personnes, principalement à Paris et en Ile-de-France. Quelles sont les menaces spécifiques qui pèsent sur cette population ? 


Richard Beraha : La population chinoise, ou d’origine chinoise, de France éprouve un sentiment d’insécurité dans sa vie quotidienne, comme une partie des populations fragilisées de toutes origines. Ce sentiment s’appuie habituellement sur des expériences émotionnellement éprouvantes, voire traumatisantes, partagées par la quasi-totalité de la population, quelles que soient leurs origines sociales, leur niveau d’acculturation et de socialisation dans la société française.

De plus, ces populations ne semblent pas trouver le secours attendu auprès des forces de police. Un quart des répondants signale avoir vécu, sans toujours en fournir le détail, une agression verbale ou physique de la part d’un policier ou d’un fonctionnaire. Le manque de confiance envers la police s’explique aussi, comme nous l’avons indiqué dans une précédente enquête[Note de bas de page] par la vision de la police française qu’ont les jeunes Chinois, par de fréquents contrôles d’identité dans le cadre des politiques migratoires, des arrestations et des placements en centre de rétention. L’immense majorité des Chinois de France était concernée par ce point, pour au moins un membre de leur famille ou de leurs proches. 

En juin 2009, l’ex-association "Hui Ji" a réalisé une enquête "Agressions subies en France par les populations d’origine chinoise", diffusée sur le site communautaire chinois huarenjie réalisée par Liang Ping Ping, étudiante chinoise dans une grande école et volontaire à l’époque. Le rapport avait alors été adressé aux autorités compétentes : la direction générale de la Police, la Préfecture de Paris, la mairie de Paris, centrale et d’arrondissement. Un an plus tard, rien n’avait été fait. S’en est suivi la grande manifestation de juin 2010 à Belleville, regroupant quelques 10 000 personnes et suivie d’incidents. 

Bien que cet échantillonnage ne soit pas représentatif, il reflète la réalité d’une dizaine d’années d’observations dans un cadre associatif. De là, quels ont été les constats ?

En moyenne, les sondés ont été victimes d’un peu moins de deux agressions depuis leur arrivée sur le territoire français. Plus de la moitié d’entre eux ont subi des agressions verbales ainsi qu’un vol, que ce soit en pleine rue ou dans un lieu public. On a également constaté que 39% des personnes d’origine chinoise ont été agressées physiquement, agression résultant souvent d’un vol, singulièrement de téléphone portable. 39% ont été cambriolées et 19% agressées à leur domicile.

Les agressions à connotation sexuelle touchent essentiellement les femmes, pour 7% de l’échantillon total. 26% déclarent avoir subi des violences verbales ou physiques de la part d’un représentant de l’autorité publique (policiers, agents d’accueil…). Cette insécurité est concentrée dans leurs quartiers d’habitation et de travail situé à Paris (particulièrement dans le Nord-Est et dans le 93), mais aussi dans une moindre mesure dans toute l’Ile-de-France. Sur ce territoire, où leur implantation date d’une vingtaine d’années, plusieurs vagues de migration se côtoient, puis se succèdent et la délinquance, entres autres liée à la drogue, prospère. Il est à signaler que les asiatiques ont une forte motivation à quitter ces quartiers, une fois l’échelle sociale gravie, notamment en devenant chefs d’entreprise. La sécurité est la raison la plus souvent évoquée pour expliquer leur départ.

Entre 2007 et 2011, de nombreuses arrestations ont été vécues comme humiliantes et quelquefois brutales. D’autant plus, qu’au final, celles-ci ne donnaient pas lieu, dans 95% des cas, à des expulsions. Certains pouvaient se retrouver en détention à plusieurs reprises.

Y a-t-il une rancœur particulière vis-à-vis de cette communauté ? Pourquoi ?

Les articles évoquant sempiternellement les Chinois pour parler de mafia, de prostituées, d’exploitation, de mauvaise hygiène, accentuent les attitudes de repli sur soi et sur sa communauté, où a contrario, il est possible de développer un réseau familial, amical ainsi que des relations de travail où règnent confiance et sécurité. La responsabilité des journalistes est immense. Présenter des étrangers comme victimes ou coupables fait vendre. Ils ne sont que des acteurs économiques, profitables à notre pays, c’est ce que notre équipe de recherche a développé dans un ouvrage intitulé La Chine à Paris, en mai 2012. À ce propos, l’Association des Jeunes Chinois de France a déposé plainte contre F.O.G. du magazine Le Point pour un article racoleur et perçu comme diffamatoire. 

Mais au sein de la population, je ne perçois aucune rancœur. Sauf une crainte de voir sous leurs yeux la globalisation transformer leurs acquis, leurs quartiers, leurs habitudes. Mais tous reconnaissent que cette population respecte en général (il y a toujours des exceptions) l’ordre public. Et les enfants sont plutôt bien intégrés dans les écoles. Le manque d’associations et de médiateurs, d’actions visant à mieux mixer les populations dans ces quartiers et faire interface, au moins sur le plan linguistique, dans les relations avec l’administration, notamment la police, sont des sujets essentiels que le nouveau gouvernement, avec l’aide des mairies, devrait prendre en main. 

Simplement, nos valeurs apparaissent souvent aux Chinois comme superficielles puisqu’elles restent largement fictives. Dans la réalité, le minimum de sécurité et de respect n’est pas assuré aux citoyens en général : les représentants de l’État leur apparaissent au mieux inefficaces, au pire passifs.

Les Chinois semblent accuser les coups en silence. Qu'est-ce qui explique une telle retenue ?

Ce n’est plus le cas. Il y a eu des manifestations en juin 2010 et juin 2011 sur ce sujet. Ce qui explique toutefois ce relatif silence, c’est que d’une part, malgré les centaines d’associations chinoises, il n’existe pas de leader assez représentatif pour faire porter leur voix. Et d’autre part, la migration chinoise étant récente, tous ne disposent pas encore des capitaux sociaux et linguistiques pour s’exprimer. Et puis, dans les stratégies chinoises, les transformations peuvent être silencieuses. Que ce soit au niveau de l’ambassade chinoise, des associations, le sujet de la sécurité est au centre des débats.  

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !