Les animaux se parlent entre eux mais que se disent-ils ? Nous en savons désormais un peu plus<!-- --> | Atlantico.fr
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Quels sont les animaux qui ont réussi à développer les stratégies de communication les plus complexes ?
Quels sont les animaux qui ont réussi à développer les stratégies de communication les plus complexes ?
©ALAIN JOCARD / AFP

Communication

De nouvelles études permettent d'en apprendre plus sur l'art de la communication dans le règne animal.

Jessica Serra

Titulaire d’un doctorat en éthologie, Jessica Serra est spécialiste de l’étude du comportement des mammifères. Elle s’est spécialisée dans l’étude de la cognition animale et a travaillé en tant que chercheuse pendant plus de 15 ans. Elle est l’auteure de plusieurs essais scientifiques dont « Dans la tête d’un chat », « La bête en nous » ainsi que d’autres ouvrages de vulgarisation scientifique. Elle dirige la collection d’essais scientifiques « Mondes Animaux » qui regroupe des chercheurs en éthologie et propose à travers des livres accessibles au grand public de nous projeter dans les univers sensoriels et cognitifs des non-humains en évitant l’écueil de l’anthropomorphisme : « Et si, au lieu de regarder les animaux avec nos yeux, nous les regardions avec les leurs ? ».” Retrouvez son site internet : www.jessica-serra.com

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Atlantico : Si le langage a longtemps été considéré comme une affaire exclusivement humaine, de nouvelles recherches suggèrent que ce n’est pas le cas. Qu’en pensez-vous ?

Jessica Serra : Le terme « langage » a longtemps été réservé à l’espèce humaine. Érigé comme une des différences fondamentales entre l’homme et l’animal, il serait une sorte de « don divin » dont nous serions dotés de manière innée et dont les animaux seraient privés. Pourtant, Darwin en son temps avait pressenti l’existence de véritables langages animaux : « l’homme n’est pas le seul animal qui puisse user d’un langage pour exprimer ce qui se passe dans son esprit, et comprendre plus ou moins ce qui est dit par un autre ». Les recherches en éthologie ont confirmé depuis qu’il existe en effet de nombreux langages non-humains. 

Penser que le langage serait une faculté singulière inhérente à l’humanité relève de la croyance et non de la science ! Rappelons deux éléments essentiels. Le premier : l’enfant est incapable de maîtriser la langue parlée sans modèle. Autrement dit, le langage humain n’est pas inné et nécessite un apprentissage de longue haleine, comme en témoignent les exemples d’enfants sauvages ou celui des enfants sourds. Le second :  si on remonte le cours du temps, nos plus lointains ancêtres ne prononçaient pas de mots. Leur communication initialement gestuelle commença à combiner gestes et vocalisations il y a 4 à 7 millions d’années, date de l’ancêtre commun entre l’Homme et le chimpanzé. Autrement dit, avant de savoir parler avec des mots, nous communiquions avec des gestes et des cris ! Cela vient fragiliser la théorie d’une absence de pensée sans langage, nos ancêtres préverbaux étant, déjà, des êtres pensants. Je discute d’ailleurs de la séparation pensée/langage dans mon ouvrage « la bête en nous » : le langage humain m’apparait plus comme un outil de navigation de l’esprit qui aide à structurer nos idées que comme un générateur de la pensée. 

Les animaux peuvent-ils vraiment « parler » entre eux ? Les animaux disposant d’un répertoire de vocalisations relativement limité, à quoi peut ressembler ce langage ?

Suivant le fameux principe de parcimonie du canon de Morgan1, les éthologues ont longtemps réservé le terme « langage » aux humains, préférant utiliser le terme « communication » pour les animaux. Les découvertes sur le sujet ont bouleversé notre manière de voir les choses. Même si l’on doit reconnaître l’extrême sophistication du langage humain, il n’existe pas de fossé entre l’Homme et l’animal : les animaux peuvent bel et bien parler entre eux. 

En ce qui concerne le répertoire des vocalisations animales, il y a, bien sûr, une variabilité selon les espèces : certains animaux ont un répertoire vocal très riche, tandis que d’autres ont un répertoire plus limité. Dans les deux cas, nous avons encore bien du mal à décrypter ces vocalisations. Sans compter que certaines espèces animales utilisent des langages faisant intervenir des sensorialités qui nous sont souvent inaccessibles, notamment l’écholocalisation des chauve-souris ou des cétacés. Certains chercheurs ont tout de même permis de faire avancer à pas de géants le domaine de la bioacoustique animale. Je pense notamment aux travaux de Nicolas Mathevon. 

A quoi ressemble ces langages ? Difficile de les décrire en termes humains tant ils sont variés ! Il faut imaginer des sifflements de dauphins qui s’appellent par leur prénom, des chansonnettes émises par des souris pour séduire, des cris de chiens de prairie qui diffèrent en fonction de la couleur des vêtements portés par un humain, des « krak » signifiant « attention léopard !» et des « hok » signifiant « attention aigle !» chez les singes mones de Campbell.

Surtout, quel est le niveau de complexité de ces échanges ? À quoi sert cette faculté à s’exprimer et à se faire comprendre ? Quelle est l’utilité de ce langage pour les animaux, lorsqu’ils discutent entre eux ?

D’abord, la plupart des sons émis ont un sens : de nombreux animaux possèdent un vocabulaire oral. Au-delà de ce vocabulaire, certains sont capables d’ordonnancer ces unités sonores en « phrases ». En d’autres termes, de créer des séquences vocales dont l’agencement a un sens différent de celui des sons pris séparément. Ainsi, les singes mones de Campbell ajoutent-ils un suffixe selon le caractère imminent du danger : « Krak-oo » signifie « prédateur en approche venant du sol mais danger moins imminent (par rapport à un « Krak » seul) » tandis que « Hok-oo » signifie « prédateur en approche venant du ciel mais danger moins imminent (par rapport à un « Hok » seul) ». La plupart des animaux appliquent à leur langage des règles conversationnelles. Le fameux « ne coupe pas la parole ! » n’est donc pas l’apanage des humains. Sans oublier la capacité à moduler ses productions vocales, c’est-à-dire la faculté de contrôler volontairement sa voix en termes d’amplitude et de durée en fonction du contexte. 

Lorsqu’ils discutent entre eux, les animaux transmettent des informations sur leur identité et leur état émotionnel, ce qu’en langage humain, on pourrait traduire par « Salut, c’est moi, Tico, ne t’approche pas trop, là je suis vénère ! ».Mais pas seulement. Les animaux parlent aussi entre eux pour se saluer, se présenter, se repérer dans l’espace, localiser des sites de nourriture, indiquer si l’aliment est plus ou moins savoureux, exprimer leurs besoins, séduire leur partenaire, exprimer leur affection, signaler un danger, évoquer le stress lié à un évènement passé…

Quels sont les animaux qui ont réussi à développer les stratégies de communication les plus complexes ?

Lorsque nous souhaitons hiérarchiser les compétences cognitives animales, nous sommes victimes de différents biais, considérant que tout ce qui nous ressemble a plus de chances d’être intelligent (et donc plus de chances d’utiliser des langages complexes). Regardez cette interview ! Nous avons pris le parti de discuter des langages animaux seulement sous l’angle de la communication acoustique, car nous sommes des as en la matière. Or il existe 1001 façons de communiquer chez les animaux. Songez aux chiens qui n'ont de cesse de communiquer à travers des signaux olfactifs, aux seiches qui envoient des signaux secrets en utilisant la lumière polarisée ou encore aux primates non-humains dont le langage gestuel est partagé à 89% par les enfants humains ! Mais s’il nous faut revenir à la sphère de la communication acoustique, je dirais que les cétacés et les oiseaux sont probablement les plus grands virtuoses de la symphonie animale.

Chez les humains, « l’apprentissage vocal » est considéré comme une compétence essentielle au langage parlé. Les animaux peuvent-ils également apprendre au cours de leur vie ?

De manière générale, l’apprentissage est clef dans la vie des animaux, y compris l’apprentissage vocal chez les espèces communiquant de manière acoustique. Les oiseaux chanteurs, les éléphants, les otaries, les cétacés, pour n’en citer que quelques-uns, apprennent non seulement à parler lors de leur développement, mais certains continuent à apprendre tout au long de leur vie. Ainsi certains primates non humains, par exemple, sont capables d’innovation vocale face à de nouvelles situations, puis de transmettre ces nouveautés à leurs petits. 

Le langage a marqué « la vraie différence entre l’homme et la bête », écrivait le philosophe René Descartes en 1649. Dans quelle mesure ces propos peuvent-ils être remis en question aujourd’hui ?

Descartes était complètement dans l’erreur lorsqu’il estimait que les animaux étaient dépourvus de vie mentale. Ce dernier tenait pour démontré « que nous ne pouvons prouver en aucune manière qu’il y eût dans les animaux une âme qui pensât ». Privés de parole et de raison, les animaux agissaient, selon lui, tels des automates guidés par leurs seuls instincts. Or, nous l’avons évoqué, non seulement les animaux parlent, mais ils sont aussi capables de se souvenir, de réfléchir et de rêver !

Le langage humain, aussi complexe soit-il, ne peut être pensé comme l’étincelle divine qui distinguerait l’Homme des animaux. Il n’est pas, non plus, une anomalie évolutive. Même l’idée d’une transformation soudaine est fausse ! Le langage humain a connu moult évolutions et probablement différentes phases d’accélération coïncidant à des défis majeurs rencontrés au cours de notre histoire.

Serons-nous un jour en mesure de « parler » avec des animaux ?

En réalité, nous sommes déjà en mesure de parler avec certains animaux, notamment les bonobos et les chimpanzés, au travers de lexigrammes, ces outils présentant des symboles géométriques pour désigner des aliments, des couleurs et des objets. Et que dire d’Alex le perroquet s’exprimant avec de véritables mots ? 

Si la question est : pourra-t-on créer un jour un traducteur universel ? Ma réponse est plus nuancée. Comme chez l’Homme, les langages animaux peuvent considérablement varier au sein d’une même espèce : il existe plusieurs dialectes selon les groupes avec, parfois, des accents différents. Il nous faudrait donc créer un « Google Translate » capable de détecter la langue parlée de l’animal, parmi des centaines d’autres ! 

(1) Le canon de Morgan est un principe de rigueur scientifique énoncé par Lloyd Morgan en 1894 : « Nous ne devons en aucun cas interpréter une action animale comme relevant de l'exercice de facultés de haut niveau, si celle-ci peut être interprétée comme relevant de l'exercice de facultés de niveau inférieur. »

Jessica Serra a publié « La bête en nous » aux éditions HumenSciences

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