Les Américains s’inquiètent de l’impact négatif de TikTok sur ses jeunes utilisateurs… mais personne ne s’en préoccupe dans la présidentielle française<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photo du logo de l'application de partage de vidéos sur les réseaux sociaux Tiktok, affiché sur un écran de tablette à Paris.
Une photo du logo de l'application de partage de vidéos sur les réseaux sociaux Tiktok, affiché sur un écran de tablette à Paris.
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Réseaux sociaux

De nombreux Etats américains ont ouvert une enquête sur l'influence de TikTok sur les adolescents et les enfants. En France, et plus largement en Europe, les pouvoirs publics se sont-ils chargés du problème ?

David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : De l’autre côté de l’Atlantique, la pression gouvernementale s’est accentuée d’un cran sur les réseaux sociaux et notamment sur TikTok. Voici peu, un groupe de procureurs de plusieurs États du pays a ouvert une enquête sur l’impact de l’application sur les enfants et les adolescents. Que reprochent-t-ils exactement à TikTok ? Quels risques encourent les adolescents en utilisant TikTok massivement ?

David Fayon : Aux États-Unis, l’aspect de souveraineté fait partie de l’ADN de l’Oncle Sam contrairement à chez nous où il est dilué dans une Europe molle. Et TikTok, réseau social chinois, cristallise le combat qui commence entre les États-Unis et la Chine pour la suprématie numérique du monde. On le constate via les GAFAM contre les BATHX et la convoitise de Taiwan (1/3 des composants électroniques produits dans le monde avec notamment TSMC) par la Chine. Comme TikTok est addictif, collecte des données personnelles, il est logique qu’il soit dans le collimateur des États-Unis qui sont un pays protectionniste et souhaite garder son statut de première superpuissance. Celle-ci est contestée par la Chine avec la montée de l’Empire du milieu qui a franchi un nouveau cap avec la crise de la Covid qui a moins coûté à la Chine qu’aux États-Unis alors même que le virus est originaire de Wuhan et laquelle risque de tirer les marrons du feu de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. On pourrait avoir à terme la Chine maîtresse du monde. Le basculement géopolitique se joue avec le combat pour le numérique, l’intelligence artificielle et l’espace en complément des luttes militaires et industrielles.

Après ces éléments plus géopolitiques, revenons plus basiquement à TikTok. Vous faites allusion à un groupe de plusieurs procureurs notamment des États de Californie et de Floride sur la santé des adolescents et au fait que l’algorithme de TikTok est puissant car il permet de maintenir l’engagement des adolescents sur l’App et le temps passé, ce qui est particulièrement redoutable. Il est même en avance de phase sur Instagram pour lequel une étude en septembre 2021 avait montré les impacts négatifs sur l’image qu’avaient les adolescentes d’elles-mêmes pouvant aller jusqu’à des dépressions voire même des suicides. On estime que le temps passé sur TikTok pourrait être le double que celui passé par les App du Groupe Meta (Facebook, Instagram & co). Il convient de garder à l’esprit que la Chine ne fait plus que copier et elle innove ! Elle innove d’autant plus qu’elle a vécu sa sublimation numérique en passant de très peu d’Internet à un Internet ou équivalent pour la Chine directement sur smartphone, ce qui explique un réel succès des outils comme WeChat ou Alipay qui a été connu bien avant le réseau social développé par ByteDance, TikTok. Les risques d’une ultra-utilisation de TikTok, qui plus est combinée à celle d’autres outils car une vidéo peut aussi être crosspostée sur d’autres App, est celle d’une vie parallèle des adolescents qui développent une forme d’agressivité vis-à-vis de leurs parents ou beaux-parents avec les « familles recomposées », qu’ils aient leur portable pas seulement dans leur cartable mais à table ce qui devient insupportable si des règles d’usage ne sont pas strictement établies avec des limites de temps fixées.

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Une étude en juillet 2021 a fait état de l’augmentation des tics nerveux chez les adolescents accentués lors de la pandémie et des périodes de confinement pendant lesquels les adolescents ont été isolés et plus soumis encore aux écrans. Il s’agit d’un syndrome appelé Gilles de la Tourette. Celui-ci désigne une maladie neurologique qui se manifeste par des tics comme des mouvements brusques ou d’humeur, des spasmes et aussi des sons incontrôlés.

Au fil des années, de nombreuses études ont montré les effets néfastes des réseaux sociaux sur les adolescents. Ces applications ont-elles été construites pour provoquer une stimulation trop importante pour le jeune public ? Ne font-elles rien pour y remédier ?

Les réseaux sociaux – et plus encore avec l’usage sur le smartphone, qui pour de nombreuses personnes constituent non seulement un outil à portée de main mais également un prolongement de soi – avec les App, sont addictifs. Nous avons Instagram et Snapchat qui présentent aussi un côté ludique. C’est l’art de la gamification avec la quête d’un retour revalorisant (nombre de J’aime, de commentaires, de partages) sur soi, les images et plus encore les vidéos avec une scénographie de l’ego. On passe d’ailleurs de l’Ubu roi à l’ego roi couronné par les réseaux sociaux.

Par ailleurs, toutes ces applications ont des algorithmes conçus pour capturer notre temps d’attention disponible derrière l’écran. Ceci est décrit par Bruno Patino dans son livre Tempête dans le bocal : La nouvelle civilisation du poisson rouge chez Grasset. Il souligne que la mémoire du poisson est de 8 secondes alors qu’un internaute ou plutôt un mobinaute actuel disposerait d’une mémoire de 9 secondes soit une de plus. Nous sommes devenus des poissons rouges avec pour bocaux nos écrans avec des notifications qui défilent et inhibent toute concentration et empêche tout travail de fond lequel suppose de ne pas être interrompu. Une solution serait pourtant de désactiver dans certaines plages horaires toute notification, ce qui permettrait un « droit à la déconnexion » non théorique mais en pratique.

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Ce n’est pas pour rien que les dirigeants de la tech dans la Silicon Valley font attention à ce que leurs enfants ne soient pas trop exposés aux écrans. Ils les mettent en contact avec des livres papier et pas seulement des tablettes ou des smartphones. C’est un côté cynique, faites ce que je dis mais ne faites pas ce que je fais pour moi-même et mon entourage proche car mes revenus en dépendent.

Notons toutefois que ces applications comme Instagram ou TikTok sont parfaitement conscientes de leur caractère addictif. Cela fait partie de leur modèle économique pour attirer des annonceurs et de leur modèle freemium : gratuit pour tous et payant pour les enseignes qui voudraient avoir une belle exposition/visibilité. Et ces applications anticipent dans leur communication les critiques à l’égard de leur addictivité pour éviter tout bad buzz qui leur serait préjudiciable. TikTok ne déroge pas à la règle avec la publication d’un guide en ligne pour informer les adolescents des dangers. Mais en pratique, cela finit comme pour les CGU d’un service ou la validation des cookies. L’utilisateur clique sur Ok sans les lire pour passer à l’étape suivante : l’utilisation massive et quasi-permanente de l’outil.

Si aux États-Unis, une commission d’enquête a été lancée pour montrer les dommages que pourraient causer l’utilisation massive de TikTok, en France, et plus largement en Europe, les pouvoirs publics se sont-ils chargés du problème ?

En général, nous avons une loi de Moore de retard (soit 18 mois) sur les États-Unis en matière d’usage des outils numériques. Il convient néanmoins de ne pas créer une nouvelle Commission, un Grenelle, un Ségur, un Beauvau ou un comité supplémentaire qui coûte un pognon de dingue. La France peut déjà s’appuyer sur des infrastructures compétentes existantes comme le Conseil National du Numérique qui délivrent des recommandations et des pistes pertinentes. Il existe aussi des associations comme Génération Numérique qui sensibilise au numérique, à ses opportunités et ses risques en particulier pour les adolescents avec des travaux intéressants.

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En Europe et en France, le débat est plus celui des procès des plateformes pour non-respect du RGPD, des dispositions de la CNIL, d’abus de position dominante avec des sanctions financières à la clé et non pas le souci d’une utilisation raisonnée et éclairée des outils. Alors que nous sommes désormais en période électorale majeure, l’intérêt est plus pour les hommes et les femmes politiques d’être présents sur TikTok, Insta ou Twitch pour faire moderne et être « McFly & Carlito » compatible plutôt que de parler des enjeux du numérique à l’école pour comprendre ses opportunités et ses limites dans la société qui se dessine, des emplois à la clé, de la bonne adéquation entre monde physique et monde virtuel alors que le métavers arrive à grands pas.

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