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Procès fleuves et résultats limités : les affaires Bettencourt et du Carlton auront-elles la peau du juge d’instruction ?
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Vers une procédure pénale accusatoire

Avec les relaxes prévisibles de Dominique Strauss-Kahn et d’Eric Woerth, le débat sur la suppression ou pas du juge d’instruction va être relancé. Nicolas Sarkozy y avait songé en se montrant partisan de l’introduction en France d’une procédure pénale de type accusatoire. Projet abandonné. Il est grand temps que le pouvoir s’en préoccupe. Surtout au moment où la gauche se voit soupçonnée – à tort ou à raison- d’instrumentaliser la Justice.

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Avec les relaxes annoncées de Dominique Strauss-Kahn à Lille et d’Eric Woerth à Bordeaux, le sempiternel débat sur la suppression ou pas du juge d’instruction risque d’être relancé.

  • Ce débat n’est pas nouveau. Déjà, dans le passé, quelques juges d’instruction, Henri Pascal (affaire de Bruay-en-Artois), Jean-Michel Lambert (affaire Vuillemin) et Fabrice Burgaud (Outreau) avaient été sévèrement critiqués dans la conduite de leurs investigations

  • Dans les années 90, grâce à la montée en puissance des affaires politico-financières, les juges d’instruction avaient retrouvé lustre et respect de la part de l’opinion…mais pas forcément de la classe politique

  • Depuis quatre ou cinq ans, quelques affaires au fort retentissement médiatique (Bettencourt, financement présumé de la campagne présidentielle de Sarkozy par la Libye) instruites au Pôle financier ont suscité de fortes critiques de l’opposition, avec en tête Nicolas Sarkozy.

  • Dans les années 90, époque des dossiers URBA-Sages, Péchiney, c’était la gauche qui enrageait de voir les juges –Van Ruymbeke déjà- enquêter au pas de charge jusque dans les coulisses du pouvoir

  • Aujourd’hui, tel un serpent de mer, une question demeure : faut-il supprimer le juge d’instruction et instaurer en France, comme dans la plupart des pays d’Europe, une procédure accusatoire de type anglo-saxon ?

Le juge d’instruction à nouveau mis en cause. Sans être grand clerc, il y a de grandes chances pour qu’une fois les jugements rendus dans les affaires Bettencourt et Strauss-Kahn, "l’homme le plus puissant de France" selon l’expression de Balzac, soit à nouveau dézingué. Ils en ont trop fait. Ils instruisent toujours à charge. Ils veulent des coupables, pour les clouer au mur de la honte des personnalités. Nicolas Sarkozy qui n’a jamais porté dans son cœur les juges d’instruction – Renaud Van Ruymbeke en sait quelque chose- ne s’est pas privé, dans le dossier Bettencourt où il sera mis en examen par le juge bordelais Jean-Michel Gentil avant de bénéficier d’un non-lieu le 7 octobre 2013, de dire tout le mal qu’il pensait de ce magistrat. Il récidivera quelque temps après lors de son placement en garde à vue dans l’affaire des écoutes du dossier libyen, où il se moquera des "deux dames" - les juges d’instruction Claire Thépaut et Patricia Simon- chargées de cette instruction pour trafic d’influence…

L’ancien président est loin d’être le seul à penser que certains juges font des cartons. Henri Guaino, ex-conseiller de Sarkozy, député UMP des Yvelines est venu à son secours en disant haut et fort que le juge Gentil déshonorait "un homme, les institutions et la justice." Poursuivi pour ces attaques, Guaino sera relaxé. Ah ! Ces juges, que disent-ils lorsqu’un de leur mis en examen bénéficie d’un non-lieu ou est relaxé ? Rien. Jamais la moindre excuse. Voilà l’antienne qu’à coup sûr, nous entendrons… Cette même opinion oubliant que le non-lieu, la relaxe ou la condamnation font partie de notre arsenal juridique. Et qu’il est dans la logique du code de procédure pénale que procureur de la République et juge d’instruction ne partagent pas nécessairement le même avis sur une affaire. Depuis plus de 35 ans, on cherche, à défaut de le supprimer, de rogner les pouvoirs du juge d’instruction. D’ailleurs on l’a fait. Désormais, depuis la loi Guigou du 15 juillet 2000, il n’a plus le pouvoir d’incarcérer, ce rôle étant désormais dévolu au juge des libertés et de la détention, le fameux JLD. Mais on dit que le système ne fonctionne pas, le JLD ne pouvant, surtout pour des dossiers compliqués, décider en une heure ou deux, du placement en détention d’un mis en examen. De même, c’est une folie de confier une instruction à un juge inexpérimenté. Tout le monde se souvient du pauvre juge Patrice Burgaud, chargé d’instruire cette tentaculaire affaire d’Outreau qui se termina par un fiasco. Lequel déboucha en 2006, sur la création d’une commission d’enquête parlementaire présidée par André Vallini (PS) et ayant pour rapporteur Philippe Houillon (UMP). Elle fera toute une série de propositions (nomination de juges expérimentés, refonte de l’expertise, remise en cause du JLD, réforme de la garde à vue, rendre les magistrats plus responsables etc…) Autant de vœux pieux qui sont restés en grande partie lettre morte.

Qu’on ne s’y trompe pas : la défiance à l’égard du juge d’instruction ne date pas d’hier. Non pas que son existence soit, en elle-même, considérée comme mauvaise. Non, c’est ce que les magistrats font de cette fonction qui pose problème. Edifiant à cet égard est ce qui se passe à Béthune où un juge au regard malicieux, provocateur, enquête en 1972, sur le meurtre à Bruay-en-Artois de Brigitte Dewèvre âgée de 15 ans. Très vite, les investigations du magistrat, Henri Pascal, conduisent à Pierre Leroy, notaire dans cette petite ville du Pas-de-Calais. "Conduisent", le verbe est faible. Plutôt "démontrent" que le coupable de ce crime est le notaire. "Forcément coupable" aurait écrit Marguerite Duras. Car c’est un notable… Et le juge Pascal va instruire à procès-verbaux ouverts, multipliant les conférences de presse pour faire part de ses certitudes : le meurtrier de la jeune fille s’appelle Pierre Leroy. Ce qui va s’avérer faux et coûtera cher au magistrat puisqu’il sera inculpé de violation du secret de l’instruction. Quelques années plus tard, un autre drame va être l’occasion de remettre en cause les prérogatives du juge d’instruction. C’est l’assassinat, en 1984, du petit Grégory, âgé de 4 ans, retrouvé noyé dans la Vologne près de Lépanges dans les Vosges. Le juge Jean-Michel Lambert, qui en est à son premier poste commettra de graves erreurs, pensant, un jour que Christine Villemin a assassiné son petit garçon, un autre étant sûr que le crime a été commis par Bernard Laroche. D’ailleurs, son instruction sera sans cesse sujette à caution puisque des pans entiers de l’enquête seront annulés.

Mais le plus grave est ailleurs : Lambert manquera totalement de distance à l’égard des protagonistes de ce drame, notamment Christine Villemin. Tellement que dans une interview à l’Express en 1987, il laissera entendre, mezza voce, qu’il était tombé amoureux de Christine… Affaire Pascal, affaire Lambert : à chaque fois, nous sommes en présence d’un dérapage qui concerne un magistrat… Lequel n’a pas le cuir assez solide pour instruire des dossiers criminels compliqués où la presse n’en finit pas de " sortir" révélations sur révélations fausses. C’est sans doute le point commun avec un autre drame qui surgit des années plus tard dans la petite commune ouvrière d’Outreau dans le Pas-de-Calais. Ce drame, c’est le viol et les sévices commis au départ par une famille, à laquelle s’agrège – c’est ce qu’on affirme- une foultitude de gens habitant la fameuse tour du Renard. Là encore, le juge est un magistrat qui en est à son premier poste. Souvent cassant, empli de certitudes, prenant pour argent comptant les confidences de Myriam Badaoui, une sacrée manipulatrice, Fabrice Burgaud en arrive à la conclusion suivante : 17 personnes sont bien impliquées dans ces agressions sexuelles dont des enfants sont des victimes. Son constat sera partagé par toute la hiérarchie judiciaire, notamment le procureur de Boulogne-sur-Mer et les magistrats de la Cour d’appel de Douai. Certes, cette affaire a mis au jour les failles, les faiblesses de l’instruction à la française, mais elle a aussi révélé une presse peu scrupuleuse, encline à vouloir du " sang", quitte à jeter par-dessus bord toute la prudence requise dans ce genre de dossier. Finalement, 13 personnes seront totalement innocentées.

Si ces trois exemples ont déconsidéré les juges d’instruction, heureusement, d’autres collègues, dans les années 90, sont apparus, redonnant du lustre et du prestige à la fonction, principalement dans les affaires politico-financières. Souvenons-nous des affaires URBA-Sages, Péchiney, Société Générale, financement du Parti républicain, Mairie de Paris, Carignon, Elf où les Renaud Van Ruymbeke, Thierry Jean-Pierre, Edith Boizette, Eva Joly, Laurence Vichnievski, Philippe Courroye ont servi de remparts face à l’étouffement des dossiers réclamés par le pouvoir politique. Oui, dans ces années 90, le juge d’instruction, est érigé au rang d’icône, celui qui défend le petit contre le gros, la justice contre l’injustice… Voilà qui est bel et bon. Sauf que petit à petit, conséquence de son prestige retrouvé, le juge devient malgré lui peut-être, un acteur de notre vie publique. C’est lui, qui, en mettant en examen un ministre le contraint à démissionner… comme s’il était présumé coupable. Ce qui est évidemment contraire à la présomption d’innocence ! Gérard Longuet en sait quelque chose, puisqu’il bénéficiera d’un non –lieu. Dominique Strauss-Kahn, épinglé fin 1999 pour faux et usage dans l’affaire de la MNEF devra mettre sa vie politique entre parenthèses en quittant Bercy… alors qu’un an plus tard, le Tribunal correctionnel de Paris le relaxera, écrivant noir sur blanc que jamais une telle affaire n’aurait dû franchir la porte du Tribunal. C’est peut-être une formule similaire qui sauvera l’ancien directeur général du FMI d’une condamnation dans l’affaire du Carlton…

Quoiqu’il en soit, la relaxe de DSK en 2001 a une fois encore, tel un serpent de mer, fait resurgir la problématique de la suppression ou pas du juge d’instruction. Des juristes, des avocats, des élus- eux qui ont souvent maille à partir avec ce dernier- commencent à dire : ça suffit. Sous-entendu : la France doit abandonner la procédure inquisitoire, dont le juge d’instruction est la clé de voûte, au profit de la procédure accusatoire telle qu’elle existe dans les pays anglo-saxons. Aux Etats-Unis, par exemple, pas de juge d’instruction qui mène l’enquête, mais un procureur qui se situe à égalité avec l’avocat du prévenu. Lequel jouit d’un large pouvoir, en diligentant des expertises qui peuvent le cas échéant déboucher sur l’innocence d’un présumé coupable. Chez nous, c’est une juriste de premier plan, désormais professeur émérite au Collège de France, Mireille Delmas- Marty qui a conceptualisé ce que pourrait être notre nouvelle procédure pénale de type accusatoire. Elle entraînerait de facto la disparition du juge d’instruction. Il est vrai que, si au XIXème siècle, 40% des affaires pénales faisaient l’objet d’une instruction, ce pourcentage s’est effiloché au fils des ans : de 20% dans les années 60, il est tombé à 8% en 1989 pour n’être plus de 4% en 2009. Bref, le juge se marginalise laissant la part belle au procureur de la République qui se trouve de plus en plus souvent sur le devant de la scène.

AParis, le procureur François Molins ne s’est pas privé, par exemple, d’intervenir auprès des journalistes pour les informer très précisément du déroulement de l’enquête sur les attentats des 7, 8 et 9 janvier dernier. Nicolas Sarkozy, qui, on le sait, est fortement agacé par le pouvoir du juge d’instruction – et par les magistrats en général- a suivi, lorsqu’il était à l’Elysée, la voie inaugurée par Mireille Delmas-Marty, dès 1990, faut-il le rappeler-. Témoin, la mise sur pied, en 2009, de la commission Léger –du nom d’un haut magistrat- chargée de réfléchir à une rénovation de notre procédure pénale. Avec comme cheville ouvrière, un magistrat de grande expérience, Jean-Marie Huet, -ex- directeur des affaires criminelles et des grâces et aujourd’hui, procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence, cette instance proposait la création, au lieu et place du juge d’instruction, d’un juge de l’enquête et des libertés investi exclusivement de fonctions juridictionnelles.

Cette même instance simplifiait la phase préparatoire du procès pénal en instituant un cadre unique d’enquête, c’est-à-dire un directeur d’enquête unique : le procureur de la République, une autorité de poursuite unique : le procureur de la République. Parmi les autres propositions figurait le renforcement des garanties et droits des victimes ainsi que celle du mis en cause…Qui serait la nouvelle dénomination du mis en examen. Autant de propositions novatrices. Hélas ! Elles sont restées au fond des cartons. On comprend pourquoi : selon une étude de 2010 de l’Inspection des services judiciaires, jamais publiée à ce jour, les conséquences financières de la mise en œuvre des réformes prônées par la commission Léger sont exorbitantes. Jugez plutôt : si l’on prend une hypothèse haute, il faudrait recruter 761 magistrats du parquet, 1 077 fonctionnaires de catégorie B et 349 fonctionnaires de" catégorie C. Avec une hypothèse basse, les chiffres sont moins inquiétants : 285 magistrats du parquet, 627 fonctionnaires de catégorie B et 230 de catégorie C. Pourtant, il est temps que le pouvoir, quel qu’il soit, prenne ses responsabilités en disant une fois pour toutes s’il souhaite que notre procédure pénale s’oriente ou pas vers un système accusatoire. La plupart des pays d’Europe ont choisi cette voie. Ainsi, l’Allemagne en 1975, le Portugal en 1987 l’Italie en 1988, et les Pays-Bas. Choix difficile aussi. Car enfin, tout dépendra de savoir si le parquet qui dirigera les enquêtes sera réellement indépendant du pouvoir politique. Choix difficile encore, car on ne peut oublier que certaines affaires délicates qui ont connu une issue heureuse l’ont été grâce au travail du juge d’instruction. C’est grâce au savoir-faire et la pugnacité de l’emblématique Gilbert Thiel, en poste à Paris que fut démontée fin 2002, la machination de la belle famille d’Abderezzak Besseghir, bagagiste à Roissy que l’on tentait de faire passer pour un terroriste. Cela, parce que Besseghir était considéré comme responsable de la mort de sa femme… alors qu’elle s’était immolée par le feu. Qui en douterait encore ? Pour décider d’une réforme en France, il faut du temps. Surtout quand l’institution- ce qui est le cas du juge d’instruction- remonte à 1808…

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