Législatives 2024 : l'Assemblée en marche vers une majorité introuvable<!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne votant lors du premier tour des élections législatives.
Une personne votant lors du premier tour des élections législatives.
©LUDOVIC MARIN / AFP

Enseignements du vote

Malgré les gains très importants obtenus par le RN lors du 1er tour des élections législatives, le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella devrait peiner à transformer son avantage en raison des désistements pour le faire battre, même réalisés en pagaille.

Stewart Chau

Stewart Chau

Stewart Chau est Directeur d’études chez Verian.

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Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico : Quels sont les principaux enseignements des résultats du premier tour des élections législatives (au regard de la carte électorale et des premières tendances) et les projections en termes de sièges pour les différentes formations politiques ? Quels sont les nouveaux rapports de force politiques et les perspectives pour la majorité ?

Xavier Dupuy : Le scrutin a été marqué par une forte mobilisation des Français qui a touché l'ensemble des électorats. La mobilisation a été plus forte à gauche dans les grandes villes. Le Rassemblement National a maintenu ses positions en milieu rural. Les implantations locales ont résisté. De nombreux élus locaux LR bien implantés, des députés sortants, pourraient revenir à l’Assemblée nationale dimanche prochain, à l’issue du second tour. LR devrait obtenir une cinquantaine de députés. Cela est inespéré au regard des différentes péripéties depuis les résultats des élections européennes. Cela relève même de l’exploit. Ils vont probablement perdre une quinzaine de circonscriptions et en gagner quatre ou cinq. Les Républicains risquent de perdre 10 à 12 députés et de finir autour de 48. Les candidats divers droite résistent aussi pour la plupart.

Ensemble, la majorité présidentielle, est le grand perdant du scrutin puisque ces élections avaient été initiées par le président de la République.

Les Français ont donc répondu au Président de la République. Dimanche prochain, la majorité présidentielle aura du mal à conserver la moitié de ses sièges.

Il faut s'attendre également à une progression de la gauche.

Il y aura une très forte poussée du Rassemblement national qui devrait engranger un nombre très important de circonscriptions, notamment dans le Grand-Est, dans les Hauts-de-France, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, en Bourgogne-Franche-Comté.

Les circonscriptions RN seront très peu nombreuses dans l'Ouest de la France et sur l'arc atlantique.

Stewart Chau : Les premiers enseignements des résultats du premier tour des élections législatives témoignent de la tripartition des forces politiques. La polarisation du paysage politique français s'est nettement confirmée avec des tendances auxquelles on s'attendait plutôt. Les tendances des différents instituts de sondages se sont plutôt confirmées. L’autre leçon du premier tour est que la forte participation n'aura pas été une participation différenciée, au regard du maintien des trois blocs. La participation n'a pas profité davantage à un camp ou à un autre. Les citoyens français se sont déplacés pour aller voter de manière assez homogène. Il n'y a pas eu une catégorie de la population qui est allée compenser le décrochage d'une autre qui aurait favorisé un certain nombre de mouvements politiques. La participation n'a donc pas été une participation différenciée. Le troisième enseignement du vote est que la clarification politique voulue par le président de la République, à travers ces élections, n'est pas advenue. Une majorité de Français a voté par dépit. Le niveau de résignation, de colère et de dépit des électeurs est à un niveau historique, ce qui risque de compliquer l’obtention d’une majorité absolue dans le cadre du second tour. Dans le cas où la majorité présidentielle se retire dans des triangulaires où elle est arrivée en troisième position, et dans le cas où le candidat du Nouveau Front populaire se retirera au profit du deuxième, l'ensemble de ces électeurs qui vont essayer de se reporter sur le candidat le plus républicain pour faire barrage au RN iront vraisemblablement à reculons vers ce choix et je doute même parfois que certains iront véritablement voter compte tenu du paysage politique et au regard de la position de force du Rassemblement national que l'on a connu depuis 2017. Il y a déjà eu des tentatives pour faire barrage au RN. Cela a déjà été le cas en 2017, en 2022. Je ne sais pas si cela sera le cas en juin 2024. Est-ce que cette rhétorique du barrage républicain sera encore opérante ?

Au regard du niveau de grande frustration et du ressentiment qu'une partie des Français vont avoir, il n’est pas certain que le front républicain vis-à-vis du RN soit aussi suivi. Sur les dernières études d'opinion, quel que soit le camp, cet enjeu qui consisterait à ne pas envoyer le Rassemblement national au pouvoir n’est plus aussi puissant et mobilisateur que par le passé au regard du niveau de colère et de résignation pour une majorité des Français.

Quelles sont les perspectives ou les projections pour le second tour et une éventuelle cohabitation ? L’Assemblée nationale sera-t-elle bloquée ou va-t-on vers une majorité absolue du RN ou du NFP ?

Xavier Dupuy : Il y a une probabilité assez forte pour qu'il y ait une assemblée bloquée au regard des résultats du premier tour et des premières déclarations des personnalités politiques.

Le nombre de triangulaires qui était annoncé risque d'être beaucoup moins important à partir de mardi soir ou de mercredi matin. L’évolution des candidatures déposées en préfecture sera dévoilée d'ici mardi. Il devrait y avoir beaucoup plus de duels qu'annoncé lors du second tour des législatives. Il est clair que dans un certain nombre de duels, si le Rassemblement national n'a pas une avance suffisamment importante sur le second, même s'il est en tête, il pourrait être battu au deuxième tour, pas grâce au front républicain et à la mobilisation des électeurs mais grâce au retrait de certaines forces politiques dans l’entre-deux tours. Leur électorat se sentant plus proche du deuxième candidat va voter pour cette offre politique plutôt que pour le Rassemblement national. Certaines circonscriptions qui auraient pu basculer ne basculeront pas finalement. Mais dans d’autres cas, le retrait du candidat ne changera rien, le RN triomphera quand même. Le front républicain ne sera pas forcément efficace à 100 %. Les électeurs vont faire leur choix lors du second tour.

Si le candidat arrivé en troisième position se retire, une partie des électeurs de la majorité présidentielle préféreront ne pas choisir entre les deux. En revanche, la moitié qui choisira en fonction des désistements entre les deux premiers blocs peut avoir une incidence. Le maintien des candidats avec des triangulaires aurait pu favoriser le Rassemblement national dans certains cas.

Stewart Chau : Il est encore un peu tôt dans la campagne de l'entre-deux tours pour s'exprimer. Il faudra comptabiliser jusqu'à mardi soir, la date limite pour déposer les listes, quelles seront justement les listes finales pour le second tour. Des désistements devraient avoir lieu dans les triangulaires. La capacité de report de voix sur les candidats républicains, anti-Rassemblement national, sera déterminante. Les consignes de vote pour le second tour seront, selon les responsables politiques, assez floues à suivre et avec des nuances assez importantes. Le niveau de colère et de résignation amplifié par le flou et les nuances apportées par Les Républicains et la majorité présidentielle si leurs candidats n’étaient pas susceptibles de l'emporter, cela va impacter considérablement le report de voix sur les candidats Nouveau Front Populaire. Il faut avoir beaucoup de lucidité pour dire qu’il n’est pas possible de projeter de manière rigoureuse le rapport de force politique qui sera présent le 7 juillet prochain. Les deux enjeux essentiels de l’entre-deux tours pour le Nouveau Front Populaire et pour la majorité présidentielle seront leur capacité à capter un nombre de voix du Nouveau Front populaire sur les candidatures emblématiques comme pour Elisabeth Borne et Olivier Marleix. Est-ce que les électeurs vont réellement suivre la consigne de vote et aller voter pour le candidat qui fait face au Rassemblement National, quel que soit le candidat. Cela va être un enjeu fondamental dans chaque circonscription.

La posture des candidats dans chaque circonscription pour aller chercher le vote républicain sera la clé. Ce vote républicain dans le cadre du barrage au RN sera possible avec la réserve de voix du Nouveau Front Populaire. Une campagne d'ouverture doit être menée. Les candidats têtes de liste LFI vont devoir constituer un paratonnerre face au RN et éviter d’être un élément repoussoir très fort et qui les empêcherait de gagner un certain nombre de circonscriptions dans lesquelles ils sont aujourd'hui en tête avec un ballotage favorable. Est-ce que les candidats Nouveau Front Populaire vont bel et bien bénéficier de la dynamique de la gauche et du front républicain porté par les dirigeants de la majorité présidentielle, notamment Gabriel Attal qui a été très clair, rien n’est moins sûr ? Le Premier ministre a dit qu'il y a moins de risques pour le Nouveau Front Populaire que pour le RN. Il faudra donc face au Rassemblement National se déporter sur le candidat du Nouveau Front Populaire, quel que soit le candidat. Reste à savoir si cela va-t-il fonctionner dans l'électorat de la majorité présidentielle vis-à-vis des candidats LFI ?

Pour pallier cet effet repoussoir d'un certain nombre de candidats LFI dans les circonscriptions où ils seraient arrivés en tête mais dans lesquelles ils pourraient perdre s'il n'y a pas de reports de voix nécessaires, la question de l'incarnation sera déterminante. L'incapacité de l'alliance de gauche de se mettre d'accord sur une incarnation qui fasse consensus est catastrophique. Cela devrait être absolument prioritaire. Ils ne pourront pas gagner le second tour s'ils ne proposent pas une alternative à partir d'une incarnation, d'une personnalité qui fasse consensus. Les Français ne feront pas un chèque en blanc au Nouveau Front populaire sans savoir qui arrive enfin à avoir une majorité à l'Assemblée nationale. La gauche doit prendre à bras le corps cette question de l'incarnation, de cette alliance et du possible premier ministre qu’ils souhaiteraient faire nommer s'ils parvenaient à avoir une majorité. Ce rapport de forces politique à gauche, même s'ils sont seconds, reste très fragile. Le bloc de gauche est quasiment le même que celui qui avait été observé en 2022 avec la Nupes. Pour qu'il y ait une réelle alternative crédible qui encourage les électeurs indécis à se mobiliser pour les candidats du Nouveau Front Populaire face au RN, il doit y avoir une incarnation lisible et crédible sinon ils risquent d’être perdants.

Cette élection confirme-t-elle la reconstitution du paysage politique français en trois blocs ?

Xavier Dupuy : Les trois blocs sont dominateurs mais le rapport en voix peut fluctuer. Le RN est autour de 34 %, le bloc de gauche autour de 29 % et la majorité présidentielle autour de 21,5 %. Malgré toutes les péripéties de la campagne électorale, Les Républicains ont résisté et sont à près de 10 %.

Une réorganisation au niveau du centre et de la droite devrait se produire dans les années à venir. Un troisième bloc pourrait donc se constituer pour concurrencer les deux autres puisqu'aujourd'hui en fin de compte, il y a trois blocs, mais le troisième bloc ne concurrence pas vraiment les deux premiers. En revanche, il peut y avoir une recomposition. Dans quelques années, le troisième bloc pour recoller non loin des 30 % et rejoindre les deux autres. Cela réouvrira le jeu électoral.

Stewart Chau : Les résultats confortent cette tripartition observée depuis 2022 et cette incapacité à la fois de la droite républicaine et à la fois de la gauche sociale-démocrate de pouvoir émerger et de faire en sorte d’être les leaders de l’opposition et d’être des alternatives.

Au sein du Nouveau Front populaire, l'hégémonie de La France Insoumise est peut-être moins importante qu'en 2022 mais elle reste très forte.

Concernant les projections sur le nombre de sièges, les forces de gauche auront possiblement le plus grand nombre de députés pour faire face au RN. Les Républicains avec un score de moins de 10 % ne sont plus du tout audibles. Il y a une forme de clarification du paysage politique qui a commencé à émerger depuis quelques années maintenant.

A qui a pu profiter le record de participation dans le cadre du premier tour ?

Xavier Dupuy : Les leçons de cette participation sont un message adressé au chef de l'État puisque la coalition de gauche, malgré les récriminations par rapport à la France Insoumise, est autour de 29 %. Cela veut dire que 90 % des électeurs de gauche ont maintenu leur vote et ce vote a été amplifié non pas sur le résultat global mais en valeur absolue, par un apport de nouveaux électeurs du fait de la hausse de la participation.

Le Rassemblement national a aussi un pourcentage qui progresse puisqu’aux européennes il est à 31,5 %. Il obtient 34 % aux législatives. Il n'y avait pas de candidats Reconquête face à eux dans toutes les circonscriptions. Beaucoup d'électeurs de Reconquête ont voté utile en faisant le choix du Rassemblement national. Reconquête a fait seulement 1 %.

Il y a eu un réflexe de vote utile dans un certain nombre de circonscriptions. Les tendances laissaient penser, qu'après les européennes, certains électeurs RN auraient pu changer et voter pour des personnalités locales qu'ils connaissent.

La majorité présidentielle est autour de 21 % avec 250 sortants. Elle était autour de de 15 % lors des élections européennes, elle fait six points de plus.

Verra-t-on un record de participation dans le cadre du second tour ? Les électeurs vont-ils choisir une majorité claire ou rejeter certains partis ou le chef de l’Etat ?

Stewart Chau : Il y a de l’espoir pour une participation en hausse dans la mesure où l'enjeu est clairement redéfini. Les Français vont déterminer le futur gouvernement. Un certain nombre de citoyens qui ont voté aujourd'hui revoteront la semaine prochaine. Une partie des 35 % d’abstentionnistes pourraient se mobiliser le 7 juin prochain. Compte tenu de la participation non différenciée, il n’est pas possible de présupposer que cela profite à un camp ou à un autre.

La volonté d'éviter l'extrême gauche sera-t-elle mobilisatrice pour un électorat de droite qui hésite à aller voter et à se mobiliser la semaine prochaine ou est-ce que finalement le Nouveau Front Populaire arrivera-t-il à dramatiser la situation vis-à-vis de l'accession du Rassemblement National au pouvoir ? Ces questions seront tranchées au soir du deuxième tour.

Xavier Dupuy : La participation ne devrait pas atteindre un niveau record au second tour. Depuis un certain nombre d'élections, lorsque les candidats se retirent ou lorsqu’ils ne sont pas qualifiés, un certain nombre d'électeurs refusent de choisir, donc ils ne reviennent pas voter. Des nouveaux électeurs vont sans doute venir au deuxième tour pour barrer la route à un camp, soit amplifier la victoire d'un autre camp. En revanche, cela peut être aussi annulé par un certain nombre d'électeurs qui, ne voyant pas leur sensibilité politique présente au deuxième tour, ne reviennent pas voter, ce qui n'était pas le cas il y a 20 ans. Il y a 20 ans, les gens choisissaient. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d'électeurs qui refusent, par exemple dans certaines régions de l'Ouest de la France où le RN n'est pas présent, il risque d'y avoir des électeurs RN qui qui ne vont pas vouloir au deuxième tour choisir effectivement.

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