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Législative stratégique dans le Doubs : ce que l’ancienne circonscription de Pierre Moscovici nous apprend de la France moyenne
©Reuters

La terre ne ment pas

Les électeurs de la quatrième circonscription du Doubs sont appelés aux urnes ce dimanche 1er février pour choisir le successeur de celui qui est désormais Commissaire européen aux affaire économiques. Un scrutin qui a valeur de test pour la suite, et qui donne des sueurs froides à la gauche.

Guillaume Poiret

Guillaume Poiret

Guillaume Poiret est docteur en géographie et aménagement, agrégé de géographie. Maître de conférences à l'Université Paris Est Créteil, il enseigne également à Sciences-Po Paris et travaille au sein du laboratoire Lab'Urba.

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Atlantico : Sans grande centre urbain attractif, mais sans être non plus un département "vide", comment peut-on classer le Doubs ? A quelle catégorie appartient-il ?  

Guillaume Poiret : J’aimerais nuancer votre première affirmation. Le Doubs est le département moteur de la Franche-Comté et sa capitale, Besançon, compte 250 000 habitants environ dans son aire urbaine. L’aire urbaine de Montbéliard, deuxième ville du département comporte 160 000 habitants. Je ne pense donc pas que l’on puisse dire que ce département ne comporte pas de grand centre urbain, au sens où les définit l’INSEE.

Cependant, la région et le département ne comportent aucune très grande agglomération ce qui nuit notamment, dans un contexte de métropolisation, à son essor démographique et économique. Ainsi entre 2006 et 2011, ce sont les très grandes métropoles qui ont été les plus attractives pour les populations âgées de 25 à 54 ans, les personnes appartenant à la population active. Quand cette population augmentait de 0,8% en France dans la période, elle se contractait de 0,4% dans la région.

Il faudrait néanmoins ajouter que Besançon, septième ville universitaire, est attractive pour les populations étudiantes ce qui contribue à complexifier le portrait de la ville.

Ainsi la Franche-Comté à laquelle appartient le Doubs semble moins attractive sans pour autant grossir le trait à outrance puisque son solde migratoire est légèrement négatif sur la période 2003-2008. Sa population totale a crû moins rapidement que le reste du territoire français tandis que le PIB régional reculait fortement depuis 2008. L’INSEE n’hésite pas à parler d’un décrochage depuis 10 ans de l’économie régionale. Aussi pourrait-on qualifier le Doubs de territoire en recomposition faisant face à un déclin de son économie industrielle et en quête de nouveaux modèles de développement.

Proche de la prospère Rhône-Alpes au sud, de la zone mulhousienne au nord et frontalière de la Suisse, comment le Doubs s'adapte-t-il à cette diversité géographico-économique ? 

Le Doubs bénéficie d’une situation relativement intéressante géographiquement dont il tire évidemment parti. De nombreuses dynamiques territoriales le parcourent, ce qui certes peut poser le problème de son unité intrinsèque, mais permet également d’en faire un espace complexe. Ainsi la Suisse attire nombre de travailleurs frontaliers dans le domaine industriel notamment. A titre d’exemple, plus de 3000 habitants de Pontarlier traversent chaque jour la frontière pour travailler. Au niveau régional, au deuxième trimestre 2014, 30 800 Francs-Comtois occupent un emploi en Suisse soit 1 200 personnes de plus qu’un an plus tôt. L’importance des dynamiques frontalières est trop souvent négligée alors qu’elle permet de compenser localement les faiblesses de l’économie.

Par ailleurs, quand on analyse l’espace vécu et les mobilités au sein du Doubs on constate que l’aire urbaine de Montbéliard fonctionne en synergie forte avec celle de Belfort et est également connectée à celle de Mulhouse. Inversement, ses liens sont moins affirmés avec Besançon. Les fonctions industrielles de ces trois villes ainsi que l’existence d’un réel espace productif développé autour des activités de l’industrie automobile expliquent ces liens étroits qui semblent détacher cet espace  du Doubs et de la région Franche Comté.

Besançon polarise une grande partie de l’espace et organise des liaisons fortes avec Vesoul, Dole ou Lons le Saulnier. Ses liens avec Dijon, proche capitale régionale de la Bourgogne sont également très forts, lien de complémentarité bien sûr mais aussi de concurrence.

En d’autres termes, la Franche-Comté comporte une certaine unité autour de sa capitale régionale, cependant les territoires proches des limites administratives de la région sont davantage polarisés par d’autres villes et s’inscrivent dans des dynamiques territoriales concurrentes entraînant une érosion progressive de l’espace régional.

La population du Doubs a-t-elle malgré tout une cohérence en dépit de son caractère éclaté sur le plan économique, et sa position de carrefour géographique supposé ?

Si l’économie et la géographie dessinent des aires d’influence différentes redécoupant le département, il faut cependant également voir sa cohérence. D’une part, c’est un département comportant encore une forte composante industrielle et ce dans la plupart des villes considérées. D’autre part, un fort sentiment d’appartenance semble perdurer. Il suffit de se souvenir de l’intense mobilisation contre le canal Rhin-Rhône pour s’en convaincre.

Ce sentiment se manifeste notamment dans l’existence d’une rivalité parfois anecdotique entre Haut Doubs et Doubs.

Il est vrai que cette région a une réelle unité historique que l’on tend à oublier souvent parce qu’elle fait moins l’objet de revendications identitaires.

Comment voyez-vous à terme l'évolution d'un département tiraillé entre plusieurs influences économiques et régionales, et qui semble ne pas devenir un point d'attraction dans les prochaines années ?

Le Doubs est inscrit dans la région Franche-Comté qui à terme doit fusionner avec la région Bourgogne pour former un nouvel ensemble régional. Cette fusion a une certaine logique pour une grande partie du département du Doubs. Comme je l’ai déjà souligné, Besançon polarise le département et la région et a développé des liens étroits avec Dijon. En d’autres termes cette fusion fait sens. Elle pourrait contribuer à renforcer les deux anciennes régions autour d’un duopole Besançon-Dijon dominé par cette dernière.

Reste à savoir cependant le temps que prendra cette région à exister réellement. Ainsi si de réelles synergies se sont fait jour entre les deux capitales régionales, une certaine concurrence se maintient qui peut, au moins dans un premier temps miner, le nouvel ensemble.

Par ailleurs, dans un tel contexte, le nord du département demeurera lié avec l’Alsace tandis que l’influence suisse ne fera que se renforcer avec la persistance de la crise. Le risque d’une région affaiblie à sa périphérie existe bien.

Le Doubs est loin d'être le département le plus médiatisé. Les principales caractéristiques qui peuvent le résumer le rendent-il atypique, où est-il, dans les grandes lignes, représentatif de "la France Moyenne" ?

Le Doubs comporte encore un tissu industriel important, ce qui de facto le rend atypique par rapport au reste du territoire français. Il subit certes de plein fouet les effets de la crise de 2008 mais la surreprésentation de l’industrie demeure un caractère important de ce département. Il serait alors difficile d’en faire un exemple typique d’une "France Moyenne" qu’il conviendrait de surcroît de définir.

En outre, les dynamiques transfrontalières constituent un élément très particulier que l’on retrouve dans d’autres espaces situés à proximité d’une frontière mais qui sont très spécifiques de ces territoires uniquement. Ces deux aspects font du Doubs un territoire à part.

Toutefois, les grandes aires urbaines du département et les aires moyennes ont des comportements démographiques relativement similaires à ceux de villes françaises de rang identique ce qui pourrait contribuer à les rapprocher. Aussi la question appelle une réponse nuancée, le Doubs a ses spécificités spatiales et économiques mais il comporte aussi de fortes ressemblances avec d’autres départements français.

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