Légalisation de l’euthanasie : l’exemple du Canada montre l’impact désastreux sur les soins palliatifs<!-- --> | Atlantico.fr
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Un infirmier dans un hôpital canadien.
Un infirmier dans un hôpital canadien.
©Cole Burston

Dommage collatéral

Jusqu'en 2016, le Canada était un pays pionnier des soins palliatifs. Depuis la légalisation de la mort provoquée, il a perdu 10 places dans les classements internationaux. Ce recul se retrouve dans tous les pays ayant légalisé l'euthanasie.

Claire Fourcade

Claire Fourcade

Claire Fourcade est présidente de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP). Formée au Canada, est médecin dans le pôle de soins palliatifs (EMSP + service de SP + HDJ) de la Polyclinique Le Languedoc à Narbonne depuis 20 ans.

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Atlantico : Un rapport publié récemment par la Société canadienne du cancer (SCC), intitulé Analyser les soins palliatifs au Canada, montre que la prise en charge des malades au Canada est désastreuse. Il n'y a pas assez de lits dans les maisons de soins palliatifs. 4 lits sur 7 préconisés pour 100 000 habitants au Canada. Qu'est-ce que cela signifie ? 

Claire Fourcade : Jusqu'en 2016, le Canada était un pays pionnier des soins palliatifs et se situait parmi les pays où ils étaient le plus développés au monde. Depuis la légalisation de la mort provoquée, il a perdu 10 places dans les classements internationaux. Ce recul se retrouve dans tous les pays ayant légalisé l'euthanasie. Aucun d'entre eux n'a progressé dans ces classements alors même que l'Angleterre qui est en tête, n'a legalisé aucune forme de mort administrée.

La situation est particulièrement grave au Canada qui considère l'euthanasie comme un soin et impose aux soignants de la présenter aux patients comme faisant partie des options thérapeutiques.

L'augmentation exponentielle du nombre d'euthanasies en particulier au Québec (+42% en 2022) montre combien la pression sociale s'impose aux plus fragiles. Au point d'inviter la ministre de la Santé du Québec à ouvrir une enquête pour comprendre les raisons de cette hausse vertigineuse. Il n'y a pas chaque année 42% de plus de malades en situation  de grandes souffrances. Il y a par contre une intériorisation de la nouvelle norme ainsi créée. Personne n'est obligé de choisir l'euthanasie mais tout le monde est obligé de l'envisager.

Beaucoup d'enquêtes et de témoignages montrent combien les personnes précaires ou en situation de handicap sont amenées par leurs difficultés à considérer l'euthanasie comme une solution de recours à leurs difficultés.

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Les carences en matière de soins palliatifs n’offrent-elles pas un terrain favorable pour légaliser et normaliser l’euthanasie, à l’instar du Canada, qui après avoir légalisé l’euthanasie, délaisse davantage les soins palliatifs ?

En effet, la tentation est grande de répondre à la question du mal mourir par le faire mourir. A mon sens, c'est une mauvaise réponse à une vraie question. En France depuis 1999, la loi impose que chaque personne qui en a besoin puisse avoir accès aux soins palliatifs. En juillet 2023, la Cour des comptes a rendu un rapport établissant à 50 % le taux d'accès aux soins palliatifs. Depuis 25 ans, nous avons voté 4 lois sur les droits des patients en fin de vie mais nous n'avons pas été capables d'appliquer la première. Comment penser qu'une cinquième loi, autorisant de plus la mort provoquée, puisse améliorer la situation des soins palliatifs en France ? La loi ne peux pas être une réponse à des situations de souffrances individuelles mais elle adresse à tous un message collectif. Nous avons actuellement une loi qui dit à tous ceux qui sont malades: vous comptez pour nous et nous allons tout faire pour vous soulager quoi qu'il en coûte. C'est ce que la loi impose aux soignants. Soulager par tous les moyens même si cela doit raccourcir la vie. Si ce message collectif change et que l'Etat consent à organiser la mort de certains de ses citoyens, l'impact sur les patients comme sur ceux qui les soignent sera nécessairement majeur.

Dans la pratique, les soins palliatifs peuvent être réduits à un simple traitement de la douleur et une gestion de la douleur et le patient n’est pas accueilli dans sa globalité. Quels sont justement ces autres dimensions pour le patient et sa famille, et les conséquences de sa non prise en charge ?

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Les soins palliatifs cherchent à soulager les souffrances liées à la maladie grave, à la vie en situation d'incertitude et à l'approche de la mort. Ces souffrances peuvent être à la fois physiques, psychologiques, sociales, spirituelles, existentielles... Il importe d'accompagner toutes ces dimensions. Mais il ne s'agit pas d'accompagner seulement les malades mais également leurs proches. Ceux qui vont rester et continuer à vivre quand la personne aimée aura disparue. Et quand cette personne n'a pas été soulagée comme elle aurait dû l'être, le deuil est plus compliqué et durera parfois toute une vie. Comme le dit un médecin suisse, "les soins palliatifs sont aussi la paix des survivants". Quand la mort peut se vivre dans des conditions acceptables, la vie ensuite est moins difficile.

Les pouvoirs publics ont déployé un nouveau plan en 2021. Les moyens mis en œuvre sont-ils à la mesure des enjeux, avec le vieillissement de la population et l'augmentation des cancers ?

En prenant en compte l'ensemble des financements de ce plan, y compris ceux déjà engagés auparavant, ils représentent 170 millions d'euros sur 4 ans, soit environ 70 centimes par Français et par an. Ce simple chiffre permet de comprendre combien il sera difficile de rattraper le retard actuel malgré toutes les ambitions qu'il porte et même si tous les enjeux ne sont pas budgétaires. Tous les rapports parus depuis un an sont unanimes pour dire qu'un effort considérable doit être fait pour le développement des soins palliatifs. Dans le débat parfois difficile sur la fin de vie, c'est le seul point qui fasse réellement consensus. Une stratégie décennale de développement des soins palliatifs a été annoncée mais pour le moment ni son contenu ni son financement ne sont connus. Impossible donc de savoir si nous sommes à l'orée d'un changement majeur ou si, comme l'Autriche qui avait annoncé un développement massif des soins palliatifs (plus de 10 euros par autrichien et par an) en même temps qu'une légalisation du suicide assisté, nous connaîtrons la déception des promesses non tenues.

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