Le Web3 a-t-il vraiment le potentiel d’apporter à l’humanité l’avenir radieux qu’il promet ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration des applications de Google, Amazon, Facebook, Apple (GAFA) et le reflet d'un code binaire affiché sur l'écran d'une tablette.
Photo d'illustration des applications de Google, Amazon, Facebook, Apple (GAFA) et le reflet d'un code binaire affiché sur l'écran d'une tablette.
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Plus fort que toutes les idéologies politiques ?

Concept émergeant qui regroupe un ensemble de nouvelles technologies et services, le Web3 promet d'établir une nouvelle étape dans l'histoire d'internet. En rupture totale avec le Web2, celui qui nous connaissons tous, il pourrait nous permettre de contrôler notre identité digitale et de récupérer le contrôle de nos données. Mais peut-on vraiment y croire ?

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico : On entend beaucoup parler du Web 3 sur les réseaux sociaux. Tout d’abord de quoi parle-t-on ? Pourquoi est-ce à la mode en ce moment ? 

Fabrice Epelboin : Il y a actuellement une bataille sémantique sur le sujet entre deux concepts. D’une part, l’univers de la blockchain, qui a un potentiel  phénoménal car on passe de l’hyper centralité du Web d’aujourd'hui  à une  décentralisation et une transparence totale, et d’autre part le fameux métavers, tel qu’il est décrit par Steven Spielberg dans “Ready player one”. Qui va gagner l’appellation Web3 ? Je suis incapable de vous le dire à ce stade. A mon sens, le métavers n’est que l’extension du web social quand la blockchain est, elle, une rupture de paradigme technologique fondamentale. Dans le web2, on a vu se constituer de grandes concentrations de pouvoir, de calcul, de capacité à réunir les gens : les GAFAM. Cela a été une phase d'hyper concentration, tant du point de vue technologique que capitalistique. Amazon, par exemple, représente une part très importante de l'infrastructure IT des entreprises, c’est un peu le  Vinci des autoroutes de l’information. Le Web3, c’est l’extrême inverse. 

Cela commence avec le bitcoin, une technologie dont on ne connaît pas le créateur et qui n’aurait sans doute pas émergé s’il avait été connu. Le Web3 a ainsi démarré en introduisant la notion de rareté (la monnaie) dans un univers auparavant régi par le copier-coller. Les blockchains se sont sophistiquées jusqu’à ce qu’apparaisse la possibilité de faire tourner du code dans la blockchain. Jusque là , il tournait sur un ordinateur, sur votre PC ou dans le cloud. Désormais, il peut tourner sur une blockchain : sur des centaines de milliers d’ordinateurs répartis un peu partout dans le monde, au sein de centaines de législations différentes, de façon transparente, car tout le monde peut voir le code, et sans qu’on ne puisse l’arrêter. Cela a donné naissance à une multitude  d’innovations, parfois utilisées de manière complètement idiote, comme les NFT. Cela a également  introduit la possibilité de créer des produits financiers, grâce à du code qui manipule des crypto-monnaies, des tokens, et plus récemment des NFT. 

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Ainsi, petit à petit, des produits tels que du crédit sur collatéral ou des agents de change auparavant proposés par des banques ou des institutions financières, ont été  offerts par du code. Cela avec des gains de productivité stupéfiants, des immeubles entiers, remplis de banquiers surpayés et d’employés salariés sont ainsi remplacés par du code. Marc Andreessen, qui a contribué à l’essort du web 1 au début des années 90, déclarait dans les premiers temps du web 2.0 que « software is eating the world », le code est en train de dévorer le monde. De nombreux secteurs se sont fait avaler par du code depuis, et c’est dans cette optique  qu’il faut comprendre ce qu’il se passe aujourd'hui. La finance, le cœur de la machine capitaliste, va se faire dévorer par le code comme le retail s’est fait dévorer par Amazon hier. Cela ouvre des voies vertigineuses, pas forcément aussi enthousiasmantes que le Web2, mais au moins aussi importantes. Cela annonce également pour le politique une règle qu’il a du mal à saisir et que Lawrence Lessig a résumé parfaitement : “code is law”C’est sans doute également le début d’une financiarisation de tout et n’importe quoi, soyons clairs, mais cela représente bien une nouvelle vague d'innovations, la troisième. 

Il faut bien comprendre qu'Internet n’a pas bouleversé grand-chose quand il est arrivé à la fin des années 60, et ce jusqu’à l’apparition de sa première killer app, le web, au début des années 90. S’en est suivi une explosion d'innovations qui a débouché sur le web 2 et l’introduction de la dimension sociale du web. Tout d’un coup, le web est devenu une partie de plus en plus importante de notre vie sociale. Désormais, nous sommes dans la troisième vague : celle du web qu’on lit, qu’on écrit et qu’on possède. C’est l’arrivée d’une dimension financière.

Ce qu’on entend beaucoup c’est que le Web 3 pourrait renouer avec la promesse initiale du web d’égalité, d’un instrument collectif. Est-ce que le web 3 peut promettre ça ? Est-ce qu’il en prend le chemin ? 

C’est à la fois très vrai et totalement faux. Le problème auquel on fait face avec le Web2, c’est l’hypercentralisation. Le Web3 propose une décentralisation radicale. Cela va complètement changer les règles du jeu. Là où c’est faux, c’est que l’on parle du Web que l’on possède. Or si l’on applique des règles économiques, on va faire face aux inégalités économiques. On s’est tous enthousiasmé sur le Web2 comme un renouveau de la démocratie. Ça a donné Facebook et Cambridge Analytica. Le web3 n’annonce pas un web très égalitaire ni même démocratique. Ce sera quelque chose de très gros, dans lequel la finance va basculer, et on peut s'attendre à de fortes turbulences. Ayant une sensibilité plutôt de gauche, je ne vois pas ça comme un instrument pour la démocratie ou l’égalité. 

A ce propos Jack Dorsey a déclaré : “vous ne possédez pas le Web3. Les VC et leurs LP, eux, le possèdent. Il n’échappera jamais à leurs motivations. C’est finalement une entité centralisée avec un label différent”. Est-ce ainsi qu’il faut le voir ? 

Jack Dorsey répondait justement à cette utopie du Web 3 censé permettre à tous d’en posséder une part. Ce qu’il explique ici, c’est que les personnes qui y débarquent sont les mêmes que celles qui ont construit  le Web 1 et le 2, les mêmes fonds d’investissement, les mêmes VCs etc. Cela engendrera la même concentration de capital et le même contrôle centralisé. Mais ce n’est pas vrai pour tout, dans certains protocoles du Web 3, les tokens sont possédés par une communauté d’anonymes qui les utilisent, entre autres, pour participer à la gouvernance du code. Cela en fait des sociétés qui ne sont pas vraiment des entreprises, et qui sont dirigées par une communauté, parfois même sans qu’on puisse désigner une quelconque responsabilité légale à l’ensemble. C’est la version puriste du web3, mais de plus en plus, on y retrouve les investisseurs traditionnels de l’innovation.

Reste que dans sa version puriste cyberpunk, on a vu et on verra encore des projets de produits financiers gigantesques, brassant des milliards de dollars et valorisés tout autant, et qui n’ont jamais vu l’ombre d’un investisseur en capital risque, d’une banque ou de la bourse. Avec le web3, l’innovation prend potentiellement son autonomie vis-à-vis de la finance.

Pour le PDG de Tesla, le concept du Web3 n’est qu’un « mot marketing à la mode ». Qu’en pensez-vous ?

C’est effectivement un concept marketing. La réalité technologique du Web3, c’est la blockchain, son origine c’est le bitcoin. De la même manière, le web a connu un temps d’adaptation, de mise en route et de prise en main par le grand public de la technologie. Au bout du compte des spécialistes du marketing ont estimé que cela représentait la future grande vague technologique et ont appelé ça le web 3.

A quoi ressemblerait le Web 3 dans la vie quotidienne des gens ? 

C’est difficile à dire aujourd’hui. On pourrait imaginer que la BCE fasse de “l’helicopter money” et verse un revenu universel sous la forme de crypto euros directement sur le portefeuille des européens. On pourrait envisager que l’Etat le fasse. On peut fantasmer sur le fait de remplacer la plupart des tiers de confiance, et cela représente un grand nombre d’acteurs de la vie sociale et économique aujourd’hui, par des usages sur la blockchain. Dès à présent, face à un livret A à moins de 1%, chacun pourrait sans prendre beaucoup plus de risque avoir un rendement qui dépasse 8%/an en plaçant son argent dans un protocole, du code, plutôt qu’une banque ou un Etat. La Banque de France envisage dans son dernier rapport de prospective de telles possibilités, en soulignant l’effet “bank run” potentiel et son impact sur le secteur bancaire.

Si le web3 tient ses promesses, quel impact politique, économique, géopolitique ou social il peut avoir ? 

 En Belgique, le réseau SWIFT est en train d’être converti à la blockchain. La Russie et le Salvador ont légalisé le bitcoin, on peut imaginer sans difficulté qu’ils cherchent absolument à éviter d’utiliser le dollar et à  lui échapper totalement dans leurs négoces, et se défaire ainsi de l’emprise américaine du dollar, qui coûte si cher aux économies de la plupart des pays, dont le nôtre. Les exemples sont nombreux. Les perspectives sont vertigineuses et, soyons honnêtes, flippantes.

Faut-il s’attendre à ce que le web 3 se démocratise complètement ?

Il l’est déjà relativement. Environ deux millions de Français ont déjà des crypto-monnaies, ont déjà commencé à jouer avec et à comprendre ce qu’il se passe. C’est plus de 3% de la population. En Suisse, c’est le double ou le triple. Cela va se démocratiser, sans doute par le trading, ce qui n’est pas le meilleur moyen, mais cela va passer dans les usages du grand public petit à petit. Les effets vont être d’autant plus forts que la finance va réagir, potentiellement très agressivement sur le plan législatif. Un domaine où la finance est certes habituée à dicter sa loi au politique, mais elle a observé la précédente confrontation entre une technologie de décentralisation, le P2P, et une industrie, la musique, et elle a bien compris qu'il serait salvateur de faire avec plutôt que de s’y opposer frontalement. 

Au final, la seule véritable barrière à l’entrée, c’est la connaissance, car c’est bien gentil de vouloir faire sans les banques et de conquérir sa souveraineté vis-à-vis des Etats, mais cela nécessite de comprendre ce qu’on est en train de faire, car quoi qu’on en pense, ces institutions servent également à nous protéger et nous simplifier la vie.

Avons-nous des scénarios optimistes et pessimistes de comment cela pourrait être utilisé à échelle globale ? 

Je ne suis pas sûr qu’il y ait de scénario optimiste. Je cherche toujours. Si l’on est très très optimiste et très utopiste, cela pourrait offrir une infrastructure pour prendre des décisions collectives. Pas forcément une démocratie, mais en tout cas des groupes d’êtres humains organisés autour d’un objectif commun. On ne peut pas imaginer réparer les démocraties actuelles avec le Web 3 par contre, méfiez-vous de tels mensonges car ils vont proliférer. Par contre, réinventer un modèle de vie en collectivité organisé sur la blockchain est tout à fait envisageable. Mais ce n’est pas pour tout de suite. 

La vision pessimiste, c’est que le web3 se cantonne à la finance. Or la finance a, la plupart du temps, un impact très négatif sur la vie de la plupart des gens. Aujourd’hui, 10% des Français ont besoin de l’aide alimentaire alors que le CAC 40 fait des profits record, ces chiffres devraient nous hanter, et j’ai peur que le côté négatif ne l’emporte. 

Ceux qui comprendront ce dont il retourne s’en sortiront bien mieux que les autres ceci dit, et la fracture numérique sera bien plus impitoyable cette fois-ci. Il faut se mettre dans la position d’accepter d’apprendre de manière continue tout au long de la vie, pour assimiler ce web3 comme pour d’autre choses. La seule véritable barrière à l’entrée reste la connaissance, infiniement plus que les moyens financiers, et grâce aux deux précédentes générations du Web et du Web 2, cette connaissance est accessible gratuitement à tous.

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