Réponse à tout ? Là où le FN fait les bons diagnostics, là où il ne comprend pas le fond des problèmes<!-- --> | Atlantico.fr
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Le vrai/faux des constats du FN.
Le vrai/faux des constats du FN.
©Reuters

Bene diagnoscitur, bene curatur ?

Dans un entretien aux Echos publié le 15 mars, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, explique que pour "pour contrer la montée du FN, nous devons dire haut et fort que nous n’avons pas la même vision du progrès social, mais aussi faire attention à ne pas nourrir la désespérance sociale en affirmant que tout va mal partout". Atlantico a passé en revue les points sur lesquels le FN a raison, et ceux sur lesquels il a tort.

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Si 41% des électeurs du Front National partagent les constats du parti populiste, seuls 17% adhèrent aux idées et aux solutions économiques et sociales qu'il propose. Coup de projecteur sur les constats du FN face à 4 grands sujets politiques. 4 experts répondent au FN.

Lire à ce sujet : Départementales : le sondage sur les motivations des électeurs FN que Manuel Valls et les autres responsables de gauche comme de droite seraient bien inspirés de lire

FN & Immigration

A en croire le Front National, l'immigration n'a jamais été aussi forte que sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Le parti de Marine Le Pen dresse le tableau d'une immigration clandestine en constante progression notamment suite au "Printemps arabe" démarré en 2010 qui a provoqué la fuite de bon nombre d'individus vers l'Europe. "Les avantages sociaux les plus avantageux de toute l'Europe" que propose la France et la mise en place de l’Aide Médicale d’Etat (AME), spécifiquement réservée aux migrants clandestins, amèneraient davantage de clandestins dans notre pays. Autre élément responsable de la progression de l'immigration clandestine : la porosité de nos frontières dans le cadre des accords européens de Schengen.

Quant à l’immigration légale, cette dernière aurait fortement augmenté sous la présidence de Nicolas Sarkozy. S'appuyant sur les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur, le site du FN précise que la France a délivré 203 000 titres de séjour en 2010, soit 28 000 de plus qu’en 2009, et 78% de plus qu’en 2000 sous Lionel Jospin (114 000). Conclusion : "jamais sous la Ve République la France n’avait accueilli une immigration légale aussi importante." Le parti populiste regrette aussi la progression de l'immigration professionnelle en période de crise économique : "Ainsi, en 2007, l’immigration professionnelle représentait l’arrivée de 19 985 étrangers en France. Elle était de 32 132 en 2010, soit 61% d’augmentation en quelques années seulement !"

Le FN déplore le coût important que représenterait l'immigration, sans préciser laquelle, pour le pays, "évalué à 70 milliards d’euros par an par le démographe et économiste Yves-Marie Laulan". L’immigration serait aussi un moyen pour "les puissances d’argent et le grand patronat" de peser à la baisse sur les salaires et les droits sociaux des travailleurs français. Enfin, l’immigration non contrôlée serait "source de tensions dans une République qui ne parvient plus à assimiler les nouveaux Français."

Le commentaire de Laurent Chalard, docteur en géographie :

Laurent Chalard : Comme tous les autres partis politiques, le Front National dans un but de propagande idéologique utilise des statistiques sérieuses, qui semblent lui donner raison, et d’autres beaucoup moins, qui relèvent plus de l’interprétation allant dans le sens que le parti souhaite que de la réalité.

Concernant l’immigration clandestine, par définition, il est impossible de pouvoir la chiffrer, ni même de l’estimer, étant donné les multiples formes qu’elle peut prendre. En conséquence, l’affirmation du Front National relève plus de l’interprétation de la médiatisation de quelques épisodes de poussées d’immigration clandestine de l’Afrique vers l’Europe, dont l’afflux momentané à nos frontières de clandestins tunisiens après le renversement de Ben Ali en 2011, que de données objectives. En effet, l’immigration clandestine vers l’Europe est désormais un phénomène structurel, avec des routes qui se déplacent au fur-et-à-mesure du temps de plus en plus vers l’est de la Méditerranée, les contrôles étant de plus en plus efficaces dans le secteur de Gibraltar. Cette situation rend difficile toute comptabilisation, d’autant plus qu’une fois rentrés dans l’Espace Schengen, ces migrants peuvent se rendrent n’importe où, la France n’étant pas, loin s’en faut, le seul pays d’accueil, certains proposant des législations plus souples et encore plus d’avantages qu’en France, comme les pays scandinaves, contrairement à ce qu’affirme le Front National. C’est surtout la présence de communautés de semblables qui oriente les migrants vers certains pays plutôt que d’autres. Par exemple, les kurdes iront plutôt dans le monde germanique alors que les Algériens privilégient quasi-exclusivement la France. Concernant l’immigration légale, le Front National reprend les données du Ministère de l’intérieur. Il est effectivement vrai que les entrées légales relevant de la procédure des permis de séjour ont fortement augmenté pendant la période où Nicolas Sarkozy a été au pouvoir, en tant que Ministre de l’Intérieur puis que Président de la République. Si l’on s’en tient aux entrées relevant uniquement de l’immigration extra-européenne (rappelons que les données historiques comprenaient des populations européennes), le Front National est aussi dans le vrai lorsqu’il dit qu’elles n’ont jamais été aussi importantes. Par contre, concernant l’immigration professionnelle, sa dénonciation est difficilement compréhensible, car elle répond réellement à un besoin, ce qui n’est pas forcément le cas du regroupement familial, principale procédure d’entrée légale en France.

Concernant les autres affirmations du Front National sur le sujet de l’immigration, comme sur le plan statistique, leur véracité est variable. A propos du coût de l’immigration, comme nous l’avions montré avec Maryne Buffat dans un récent article[1], c’est un faux débat car les chercheurs qui travaillent sur la question ne prennent pas en compte les revenus que créent mécaniquement la présence sur notre territoire de jeunes habitants supplémentaires, ne l’inscrivent pas dans la durée (les immigrants ont des enfants, et si ces derniers travaillent, ils vont contribuer à la richesse nationale) et ne différencient pas l’immigration selon l’origine (certaines communautés s’en sortent beaucoup mieux que d’autres). Pour l’accusation envers le grand patronat d’utiliser l’immigration pour faire baisser les salaires, qui rappelons-le a d’abord été formulée en son temps par le Parti communiste, elle n’est pas totalement fausse, mais il faut garder en tête que ce sont surtout les descendants d’immigrés qui souffrent le plus de la concurrence des nouveaux arrivants sur le marché du travail, qui acceptent n’importe quel emploi à n’importe quel prix. Les autochtones ne sont donc pas forcément aujourd’hui les plus touchés par cette concurrence. Enfin, le dernier élément abordé par le Front National, qui concerne la question de l’assimilation culturelle et donc celle du multiculturalisme, est probablement le plus important. En effet, au-delà du faux débat du coût, la question culturelle semble primordiale, or malheureusement seul le Front National l’aborde de front, si l’on peut s’exprimer ainsi, dans son programme, en proposant de mauvaises solutions, alors qu’il en va du devenir de notre pays. Tant que les partis républicains ne s’empareront pas de la question de l’émergence d’une société multiculturelle et des tensions qu’elle produit sans langue de bois, le Front National conservera un boulevard, étant le seul à parler du sujet qui intéresse les Français en premier. Dans ce cadre, la question de l’insécurité culturelle, mise en avant par le géographe Christophe Guilluy et le politiste Laurent Bouvet, devrait être abordée par tous les partis politiques, plutôt que d’être rejetée car elle ne fait pas plaisir à entendre pour certains de nos dirigeants qui nient le réel, n’assumant pas leurs responsabilités.


[1] M. BUFFAT, L. CHALARD (2015). « Le coût de l’immigration : un faux débat ? ». Esprit. Mars/avril 2015. Pages 207-210. URL : http://www.esprit.presse.fr/archive/review/article.php?code=38273&folder=4

FN & Intégration

Si l'on en croit le parti de Marine Le Pen, l’immigration non contrôlée serait "source de tensions dans une République qui ne parvient plus à assimiler les nouveaux Français."

Le FN réfute l'idée d'après laquelle la discrimination positive favoriserait l'intégration des populations. Au contraire, elle serait un obstacle à cette intégration, "confortant les replis communautaires et les agressivités réciproques." Et d'ajouter : "États-Unis comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas s’interrogent aujourd’hui sur le modèle multiculturel, et reviennent même en arrière. En Allemagne, Angela Merkel en reconnaît l’échec." Si l'expression "intégration" est utilisée par le FN, Marine Le Pen lui préfère le concept d'assimilation. En effet, d'après Marine Le Pen, assimiler est toujours possible aujourd'hui.

Le commentaire de Guylain Chevrier, membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration :

Guylain Chevrier : Certes, le FN ne s’y trompe pas en reprenant à son compte les critiques du modèle multiculturel anglo-saxon. Cette critique est fondée, c’est un fait, mais c’est pour lui faire dire des choses qui tournent le dos à la République tout en s’en réclamant.

La discrimination positive attaque frontalement la République, car elle s’en prend directement au principe d‘égalité prétendant qu’il faudrait donner plus à ceux qui ont moins, désignés comme étant immigrés en général extra-européens. L’identification des inégalités sociales à une lecture ethnique de la société encourage l’organisation de communautés d’intérêts séparées sur le fondement de l’origine, la religion  ou la couleur. Cette politique est une façon de croire modérer des tensions identitaires en les nourrissant de droits spécifiques, ce qui conduit en réalité à des fractures qui fabriquent des groupes d’intérêts rivaux qui produisent des tensions entre communautés encore plus fortes avec des conflits intercommunautaires réguliers, comme c’est le cas partout où ce type d’organisation sociale existe.

Le problème est que le FN pour répondre à cette politique propose la préférence nationale, qui oppose une communauté dominante disposant de droits supérieurs aux autres groupes constituant la société, rompant avec le principe d’égalité qui est au fondement de la Constitution de la République, inscrit à son article premier. Aussi, la réponse du FN à la question de la maîtrise des flux migratoires tourne-t-elle donc le dos à la République en la vidant de son sens à travers cette fameuse préférence nationale, alors que les tensions identitaires qui traversent notre société ne peuvent être dominées qu’à la condition d’insister sur ce que l’on met en commun pour faire société au-dessus des différences, donc par le respect de l’égalité.

Prétendre développer dans ce contexte une politique d’assimilation est une imposture, puisqu’elle commence par exclure sur le fondement d’une inégalité entre nationaux et non-nationaux ceux qui sont censés comme étrangers, y prétendre. On sait que l’accès à la nationalité est conçu comme l’aboutissement de l’intégration en ce sens qu’il constitue la dernière étape de la citoyenneté : après la citoyenneté civique au sens des libertés et droits individuels, la citoyenneté sociale au sens des droits économiques et sociaux, la citoyenneté politique consacre par le droit de vote et d’éligibilité les autres niveaux de la citoyenneté. C’est un processus continu d’accès à l’égalité avec lequel ne pourrait que rompre en réalité la préférence nationale en repoussant les autres comme séparés du reste, donc en communautés séparées pour reproduire le multiculturalisme à l’anglo-saxonne que critique le FN et dont il dit vouloir protéger la société française et la République. Eloigner par cette inégalités des droits selon la nationalité les uns des autres, crée toutes les conditions pour faire haïr une république qui a besoin d’être aimée pour qu’on aspire à la rejoindre en l‘adoptant.

Nous sommes passés de l’assimilation à l’intégration, car  l’égalité des droits et des libertés ne s’oppose pas au maintien des différences, dans la mesure où celles-ci ne viennent pas remettre en cause la règle commune. La reconnaissance d’une certaine diversité n’implique pas la nécessité du multiculturalisme ou le communautarisme, car ce sur quoi on fait société peut être plus important que ce qui nous différencie voire nous divise, sans pour autant devoir renoncer à nos identités particulières. C'est tout l'enjeu de l'intégration ! Le problème vient aujourd’hui du fait que, du côté des grandes formations politiques traditionnelles, on joue les différences contre la République, en croyant mieux dominer les tensions identitaires qui traversent notre société et auxquelles l’immigration est mêlée, en pratiquant une politique de clientélisme politique sous couvert de tolérance. Un choix qui constitue un péril mortel pour notre République. Une situation que le FN a bien comprise et dont il use pour faire avancer ses objectifs en nous trompant sur ses intentions comme sur ses buts.

FN & Etat fort

D'après le FN, "l’Etat est aujourd’hui profondément affaibli". Le Front y voit deux explications principales :
D'abord une décentralisation que le parti considère non maîtrisée  (lancée en 1981 et poursuivie en 2004) ayant privé l’Etat de compétences stratégiques comme les transports régionaux, les routes nationales, l'action économique. Nous serions donc allés trop loin dans le transfert de compétences. A travers cette décentralisation, le FN observe un creusement "des inégalités entre les territoires, une complexité accrue de la décision publique, une corruption aggravée, et la reconstitution de féodalités locales dépensières au détriment d’un Etat stratège".

Ensuite l’Union européenne serait "le cheval de Troie" de la mondialisation ultralibérale. Le FN voit dans les traités européens une manière, depuis le Traité de Maastricht, d'imposer une concurrence dite libre et non faussée, ils interdisent par idéologie les aides d’Etat aux entreprises françaises, et toute forme de protection aux frontières internes et externes de l’UE n'est plus envisageable.

Le commentaire de Rolad Hureaux, haut fonctionnaire et auteur de "La grande démolition : La France cassée par les réformes" :

Roland Hureaux : L'Etat est affaibli mais il n'a jamais été aussi congestionné par son coût, les effectifs de fonctionnaires et l'épaisseur des règlements qu'ils doivent appliquer en tous domaines. Un paradoxe que l'analyse du Front national, trop superficielle, ne prend pas en compte.

"Creusement des inégalités entre les territoires,  complexité accrue de la décision publique, corruption aggravée, et reconstitution de féodalités locales dépensières au détriment d’un Etat stratège". On  peut difficilement objecter à ce diagnostic.

Mais rien dans ces dérives fâcheuses n'interdirait à l'Etat de jouer encore, s'il  le voulait,  un rôle de stratège. Le transfert de compétences (transports régionaux, routes nationales, action économique), mis en cause, n'est pas au cœur du problème. Rien de tout cela n'empêchait , par exemple, l'Etat de  faire obstacle à la vente et au démantèlement scandaleux d'Alstom qui s'est conclu  en janvier de cette année. La commission européenne n'aurait sans doute pas osé empêcher non plus le gouvernement d'agir si elle l'avait senti déterminé. C'est l'absence de volonté, la lâcheté, le renoncement au niveau central qui sont en cause dans l'absence de stratégie.

L'Etat  souffre de beaucoup d'autres maux qui relèvent eux aussi d'une dégénérescence interne : leur  cause principale est l'impact d'idéologies absurdes  dans des  domaines clef comme l'enseignement, la justice (et donc la police), de l'urbanisme et les méthodes de réforme de l'Etat elles-mêmes qui ont abouti à un véritable désastre en termes de motivation et d'organisation. De cela non plus le FN ne parle pas. 

FN & Europe

Pour le Front, la Commission, bien que non élu, a un pouvoir considérable dont notamment le monopole de l’initiative législative. Le parti rappelle que près de 80 % des lois et règlements nationaux d’importance sont en fait la transposition de ses normes et directives. Face à cette instance, le Parlement a peu de poids sur la scène européenne. Le FN n'hésite pas à soutenir l'idée que la CECA a tué in fine la sidérurgie européenne. Des millions d’emplois industriels et tout particulièrement en France, doivent leur destruction à l'euro et à l'ouverture de frontières entrainant une concurrence jugée déloyale. Si la BCE a un objectif de lutte contre l’inflation, elle n'aurait aucun objectif en matière de plein emploi. Le FN s'indigne via son site : "La BCE n’a pas le droit de prêter aux Etats, mais elle prête, à un taux dérisoire, aux banques, qui re-prêtent, beaucoup plus cher, aux Etats!" D'après le parti de Marine Le Pen, "la zone euro a la croissance la plus faible et le chômage le plus élevé du monde." Sur la politique monétaire européenne, la France ne serait pas gagnante. Cela s'expliquerait depuis 1983 par "la surévaluation du franc maintenue par des taux d’intérêt trop élevés, entraînant la perte de centaines de milliers d’emplois ; puis par l’euro, le franc ayant été surévalué par rapport au mark lors de la fixation des parités de conversion." L'illustration serait la suivante : l’Allemagne est le seul pays de la zone à avoir amélioré le solde de son commerce extérieur depuis l'arrivée de l'euro. Si les balances commerciales de la France et de l’Italie étaient excédentaires jusque-là, elles sont désormais déficitaires.Enfin, la France serait pénalisée par l’ouverture totale des frontières, puisque sa démographie ne justifierait pas une immigration massive et de son système de protection sociale avantageux favoriserait une immigration illégale non négligeable.

Alexandre Melnik : La plateforme européenne du FN est une chimère idéologique qui pollue encore davantage les esprits des Français, déjà paumés face aux nouveaux enjeux du XXI siècle. C'est aussi un drôle de pêle-mêle où se télescopent des fantômes du passé (la CECA, le franc surévalué, etc.) et les clichés habituels ("plombier polonais", "l'Allemagne surpuissante", etc.) qui alimentent la peur du changement. Bref, il s'agit d'un anachronisme qui ne saurait qu'enfoncer les élites françaises - qu'elles soient de gauche ou de droite - dans leur déni du monde d'aujourd'hui global, interconnecté, interdépendant qui constitue déjà une évidence pour la majorité de la population de notre planète, alors que la France, drapée dans sa prétendue "exception", tente toujours d'y résister, fidèle à son sempiternel syndrome du "village gaulois". Ou du "nuage de Tchernobyl" qui s'arrêterait à ses frontières.

Plus concrètement, le constat du FN concernant l'Europe n'est vrai que dans l'énoncé des maux qui frappent l'Union européenne, sous sa forme actuelle, à savoir : absence de vision géostratégique, obésité bureaucratique, manque de leadership, juxtaposition d'égoïsmes nationaux, incapacité de mettre sa monnaie commune au service de la croissance économique. Ce triste constat de burn-out de l'UE, empêtrée dans ses propres contradictions institutionnelles et n'étant pas à même de relever ses défis économiques et politiques, est, hélas, devenu aujourd'hui un truisme qui éclate au grand jour. En revanche, la feuille de route que propose le FN pour s'en sortir est totalement illusoire et fausse. Et ce, pour deux raisons fondamentales. Primo, contrairement à ses allégations, le décrochage de la France n'est pas lié aux facteurs externes, dont l'Union européenne et la BCE  auraient été les causes principales et les boucs émissaires idéaux, mais à ses difficultés internes, intrinsèquement propres au "logiciel mental" de ce pays, qui peine à évoluer à des moments charnières où l'ensemble de l'humanité vit un véritable changement de paradigme civilisationnel, comme c'est le cas en ce début de nouveau millénaire. Ce n'est pas diabolisant autrui, mais en questionnant soi-même et en se remettant en cause qu'on trace une voie d'avenir, qu'il s'agisse d'un pays ou d'un individu ! Secundo, la lecture européenne du FN révèle sa totale ignorance de la globalisation, conçue comme "nexus of people, places and ideas", qui est, cependant, la quintessence des relations internationales et interindividuelles de notre univers quotidien, rythmé par les réseaux sociaux, par l'information qui circule librement, par les individus qui sont en permanence interconnectés grâce à leurs smartphones et tablettes, désormais à la portée de tous. Cette globalisation-là, c'est l'air que nous respirons tous et partout. Personne ne peut y échapper, à moins d'opter pour une démarche suicidaire.

Ce n'est donc pas en sortant de l'euro, en échafaudant de nouveaux "murs de Berlin" pour stopper les flux migratoires (inéluctables, voire salutaires dans un monde ouvert et mobile, où les frontières ne subsistent que dans la tête de ceux qui n'évoluent pas), en ressassant la nostalgie du passé dans la vaine - et dangereuse -tentative d'un nouveau repli sur soi que la France pourrait retrouver le goût d'une démarche gagnante dans le siècle en cours, mais, au contraire, en décloisonnant l'avenir, en se reconnectant au monde moderne pour affronter ses nouveaux challenges avec audace et confiance en soi (cf. mon EBOOK "Reconnecter la France au monde. Globalisation, mode d'emploi", aux éditions Atlantico-Eyrolles).

FN & euro

Pour le Front national "La monnaie unique est devenue le symbole d’une politique européenne fédéraliste d’un jusqu’au-boutisme absurde d’élites financières prêtes à sacrifier le peuple sur l’autel de leurs intérêts". La monnaie unique est condamnée par principe, celle-ci étant le symbole d’un transfert de souveraineté de la nation vers une entité supranationale. Or, pour le parti, le cadre d’exercice de la souveraineté ne peut être que la nation. L’euro doit disparaître.

Le commentaire de Nicolas Goetzmann, responsable du pôle Economie pour Atlantico :

Nicolas Goetzmann : Le sujet de l’euro est emblématique du Front National. Le constat de départ est relativement consensuel, l’euro ne fonctionne pas correctement, le chômage est élevé, la croissance est en berne bref, l’Europe est en crise et la conception de la monnaie unique est défaillante. Ce qui est emblématique, c’est que le thème « euro » est principalement axé sur la critique du système existant plutôt que sur une quelconque proposition alternative. Au cours des différents débats, les adversaires politiques du Front National passent leur temps à défendre la politique européenne, alors que celle-ci est objectivement douteuse, au lieu de se consacrer aux propositions « positives » du Front national. Et ces propositions sont les suivantes : avec le retour au franc, il s’agit de remettre en cause la loi de 1973, ce qui revient à autoriser la banque de France à financer directement l’Etat Français, et, plus spécifiquement, financer le remboursement de la dette et le paiement des intérêts. Marine Le Pen propose explicitement de « créer » 100 milliards d’euros par an à cet effet. 90 milliards pour le remboursement et 10 milliards qui seront affectés à l’emprunt des PME et PMI. Il est difficile de ne pas tomber dans la caricature avec de telles propositions. Mais la décision, pour un gouvernement, de briser l’indépendance d’une banque centrale afin de rembourser directement la dette et les intérêts est un magnifique aveu de faiblesse de la part d’une nation. Il s’agit, ni plus ni moins, de briser la crédibilité de la monnaie du pays, si nous parlons du franc. 

Sur le site du parti, il est également indiqué que les banques devront être partiellement nationalisées, qu’une « taxation des actifs extérieurs » sera mise en place, et qu’il sera utile d’adopter des « mesures de contrôle des mouvements de spéculation de capitaux ».  Tout y est ; les banques qui méritent d’être mises au pas, la mise sous tutelle de la «spéculation», et sanctionner les «actifs extérieurs». L’ensemble de ces propositions ne sont que des réponses données à des préjugés, et ne correspondent pas à la mise en place d’une véritable politique monétaire pour un pays comme la France. L’ensemble du dispositif programmatique est construit «contre» la situation actuelle, mais il ne s’agit pas d’un projet au sens d’une capacité à envisager l’avenir. On agglomère des oppositions, rien de plus.

Le drame actuel est que le Front National monopolise totalement le sujet de la critique de l’euro, par une sorte de terrorisme intellectuel généralisé. L’effet produit est que l’on ne peut être que « totalement contre » ou « résolument pour ». Alors que la difficulté consisterait d’abord à plonger dans les défauts de l’euro pour le transformer. Puis, en dernier ressort, si c’est la sortie de l’euro qui est véritablement envisagée, il conviendra alors de proposer autre chose que ce qui est annoncé ici. C’est-à-dire un véritable projet, pas un défouloir.

FN & politiques d’austérité :

Pour Marine le Pen, les politiques d’austérités doivent être dénoncées, comme par exemple le 4 mars dernier : «Le Président ignore volontairement les effets récessifs de la politique d’austérité, en particulier ses conséquences délétères pour nos finances publiques».

Nicolas Goetzmann : Les politiques de réduction des dépenses publiques sont dénoncées par le Front national. Marine Le Pen s’est d’ailleurs fait remarquée en soutenant le parti grec Syriza, malgré son positionnement à l’extrême gauche, et qui est devenu emblématique de l’opposition à ces politiques d’austérité.

Le programme de 2012 de Marine Le Pen indiquait également : «Il convient à présent de refuser d’engager des politiques d’austérité sans issue au nom de la préservation d’une monnaie qui étouffe l’Europe. Ces plans successifs d’austérité frappent toujours les mêmes: classes populaires et moyennes, retraités, fonctionnaires, PME/PMI. ».

Refuser et critiquer les politiques d’austérité est une chose, mais il convient alors d’être cohérent. Car le même programme de Marine Le Pen indique, sous la rubrique « dette » :

«La maîtrise dans la durée de l’endettement public sera inscrite dans une loi cadre qui instaurera à terme l’obligation d’un déficit structurel égal à zéro afin qu’aucune mesure budgétaire ne soit gagée par la croissance.»

C’est-à-dire tout et son contraire. Parce que refuser l’austérité en prônant le déficit structurel zéro, c’est un peu paradoxal. Mais encore une fois, pour le parti il s’agit d’agréger des constats. L’austérité, c’est mal, et la dépense publique c’est mal aussi. L’ensemble est incohérent mais là n’est pas le propos. La situation est identique lorsque le parti critique la forte hausse des prix consécutive à l’euro tout en vilipendant l’euro comme monnaie « surévaluée » ;  l’ensemble est absurde.

FN, mondialisation & protectionnisme

Pour le Front national, la mondialisation est considérée comme une source importante de la désindustrialisation du pays, et de la perte de "2 millions d’emplois depuis 30 ans". De plus, les entreprises françaises seraient soumises à une concurrence déloyale de la part des pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que celles pratiquées sur le territoire européen.

Nicolas Goetzmann : Le constat est que la France souffre particulièrement de la mondialisation en raison de son laxisme vis-à-vis de partenaires économiques peu regardants en termes de normes sociales et environnementales. Que la mondialisation produise des effets néfastes sur l’économie, c’est un fait établi. Pour être plus précis, ce sont les emplois les moins qualifiés qui se retrouvent en concurrence directe avec les pays émergents à bas coût du travail. Et ce sont ces personnes qui souffrent le plus de la mondialisation. Ce diagnostic a été également opéré aux Etats-Unis. Le constat peut donc être partagé, mais en n’oubliant pas que la mondialisation participe également à la création de postes plus qualifiés sur le territoire français.

Pour lutter contre ce phénomène, le Front National propose alors le « protectionnisme intelligent ». Le mot « intelligent » sert à masquer le vide de la mesure, car aucun détail supplémentaire n’est apporté. Un simple amalgame de notions subjectives.  Mais typiquement, il s’agit de pénaliser les importations par des droits de douane. Mais, étant donné que les entreprises qui exportent le plus sont également celles qui importent le plus, ce sont elles qui seront les premières victimes de ce système. Si l’entreprise « bidule » produit un bien fabriqué à partir de composants chinois, et que le prix de ces composants augmente en raison des droits de douane, le prix du bien final va également augmenter, ce qui rendra le produit moins compétitif à l’exportation.

La référence constante du Front National à la France industrielle permet de mobiliser autour de l’idée de la « France d’avant », comme cela est indiqué dans le programme de Marine Le Pen : « La sidérurgie, le textile ainsi que les industries mécaniques sont aujourd’hui sinistrées ». Et cette phrase est symptomatique, c’est une madeleine de Proust de la France des années 70-80. Mais cette France-là n’est pas isolée du monde car il s’agit d’un phénomène global. La littérature américaine contemporaine raconte l’histoire même de cette désindustrialisation, et ce, malgré un protectionnisme réel de ce pays. L’objectif n’est donc pas de restaurer la France d’avant. Le défi qui est posé, c’est de permettre l’inclusion des moins qualifiés à ce processus. En soutenant bien plus énergiquement la croissance, en intensifiant la formation des chômeurs, et en soutenant l’éducation des enfants au plus jeune âge afin de réduire les inégalités.

Encore une fois, le parti de Marine Le Pen cherche surtout à identifier un thème « concernant », ce qui est en fait le jeu de tous les partis. Mais il ne cherche pas de solutions aux problèmes, il s’arrête à dénoncer les causes en voulant les abolir.

Propos recueillis par Rachel Binhas

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