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Le bonus-malus automobile consiste à taxer les voitures qui rejettent beaucoup de CO2 et avec l’argent ainsi récupéré à subventionner celles qui en rejettent peu.
Le bonus-malus automobile consiste à taxer les voitures qui rejettent beaucoup de CO2 et avec l’argent ainsi récupéré à subventionner celles qui en rejettent peu.
©Reuters

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Selon « Les Echos », le gouvernement va durcir le bonus-malus automobile l'an prochain afin de dégager 100 millions d’euros de plus. Depuis son lancement, l’Etat français est déficitaire et aurait perdu 1,45 milliard d’euros sur les quatre premières années.

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme

Rémy Prud'homme est professeur émérite à l'Université de Paris XII, il a fait ses études à HEC, à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l'Université de Paris, à l'Université Harvard, ainsi qu'à l'Institut d'Etudes Politique de Paris. 

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Le bonus-malus automobile consiste à taxer les voitures qui rejettent beaucoup de CO2 et avec l’argent ainsi récupéré à subventionner celles qui en rejettent peu. Dans son principe, l’idée est plutôt séduisante. Elle est mise en œuvre en France depuis 2008. Peut-on en faire un bilan, qui aiderait à porter un jugement sur les modifications que le gouvernement entend y apporter ? Cela est plus difficile qu’on le pense généralement, parce que le système a été pratiquement changé tous les ans, parce qu’il poursuit plusieurs objectifs parfois contradictoires, et parce les évolutions observées de l’achat et de l’usage des automobiles doivent autant, et même davantage, à la conjoncture chahutée des cinq dernières années qu’à la mesure elle-même. On peut cependant s’interroger sur au moins cinq points.

Le bonus-malus a-t-il réduit les rejets de CO2 des véhicules, et de combien ? Personne ne peut vraiment le dire. Certes, la taille des véhicules achetés en France a diminué ; et les émissions de CO2 ont été réduites. Mais on ne peut pas attribuer ces évolutions au seul bonus-malus. La crise, la stagnation ou la diminution des revenus, et la hausse du prix des carburants, sont passés par là. C’est à cause de cela (pas du bonus-malus) que les Français roulent moins, rejetant de ce fait moins de CO2. Les voitures font par ailleurs chaque année des progrès dans la consommation de carburant et donc les rejets de CO2 ; ces progrès avaient commencé bien avant l’introduction du bonus-malus, même s’ils ont pu être encouragés par ce dispositif. On peut enfin imaginer deux impacts négatifs du bonus-malus sur les rejets de CO2. En abaissant le prix des voitures bas de gamme, il a augmenté le nombre de voitures achetées (relativement à ce qui ce serait passé en son absence), donc le parc, donc les rejets. En freinant le renouvellement des voitures haut de gamme, il a gardé sur les routes (plus longtemps que cela n’aurait été le cas en son absence) des modèles polluants, augmentant d’autant les rejets de CO2.

Le bonus-malus a-t-il favorisé la diésélisation du parc ? Cela n’est guère douteux. Le critère du bonus-malus est la quantité de CO2 rejetée au kilomètre parcouru. Pour un modèle donné (une Clio ou une 308 Peugeot par exemple), la version gazole rejette moins – et donc bénéficie d’un bonus plus important – que la version essence. Le bonus-malus s’analyse donc comme un gros coup de pouce donné à la consommation de diésel. D’un côté, le gouvernement (ou en tous cas certains de ses ministres) veulent à tout prix décourager l’usage du diésel en le taxant davantage ; d’un autre côté, en même temps, ils encouragent l’usage du diésel avec le bonus-malus ; le mot d’incohérence décrit assez précisément cette attitude.

Le bonus-malus bénéficie-t-il aux automobilistes ? Certainement pas à ceux dont le choix se portait sur un véhicule dorénavant malussé. De trois choses l’une. Ou bien ils gardent quelques années de plus le véhicule qu’ils désiraient changer cette année, ce qui est par définition un coût pour eux. Ou bien ils achètent un véhicule plus petit et moins confortable, ce qui est également un coût. Ou bien ils payent le malus, ce qui est encore plus évidemment un coût. A l’inverse, ceux qui envisageaient d’acheter un véhicule bonussé, ainsi que ceux qui vont maintenant pouvoir acheter ce véhicule, vont bénéficier de cette subvention. L’impact redistributif de ce bénéfice n’est cependant pas évident, car il s’agit dans beaucoup de cas de la deuxième ou de la troisième voiture de familles souvent aisées.

Le bonus-malus profite-t-il à l’industrie automobile française ?Comme chacun sait, ce secteur essentiel est actuellement en bien mauvais état. Globalement, l’impact est probablement négatif. Rejets de CO2, puissance, qualité et prix sont à peu près corrélés. Le bonus-malus diminue donc – c’est son objectif – la qualité et le prix moyen des véhicules vendus. Il diminue le chiffre d’affaire du secteur. Il diminue plus encore ses bénéfices (ou augmente ses pertes) car les marges sont notoirement plus élevées sur les voitures haut de gamme que sur les voitures bas de gamme. Mais il faut distinguer l’impact selon les segments. Les véhicules les plus touchés sont largement importés (d’Allemagne), ce qui n’affecte pas (ou pas directement) l’industrie française. Mais qui rend encore plus difficile, pour ne pas dire impossible, la « montée en gamme » des constructeurs français – pourtant souvent recommandée, et encouragée, par les politiciens français qui ne craignent pas les incohérences. Les véhicules les plus favorisés sont également souvent importés (de pays à bas coûts de main d’œuvre  comme la Turquie ou la Roumanie) même s’ils sont produits par des firmes françaises. Ce qui ne fait pas (au moins directement) tourner les usines françaises. La France est spécialisée dans les voitures de moyenne gamme, qui ne sont pas ou peu "bonussées" ou "malussées". Les changements envisagés actuellement devraient cependant toucher imposer davantage de malus sur certains de ces véhicules. Au total, pour l’industrie française, le système apparaît comme neutre pour le milieu de gamme, et négatif pour le haut et le bas de gamme.

Le bonus-malus est-il désirable du point de vue des finances publiques ?En principe, il devait être neutre, avec un total des malus égal au total des bonus. En pratique, il a toujours été déficitaire, de quelques centaines de millions d’euros par an. Il a chaque année été « réajusté » dans le but d’éliminer ce déficit ; en vain. En matière de bonus-malus comme dans beaucoup d’autres domaines, les taxes courent après les subventions sans jamais les rattraper. Mais bien entendu, cette fois-ci, ça sera différent.

Cette esquisse d’évaluation est malheureusement plus qualitative que quantitative. Des recherches plus poussées seraient nécessaires pour évaluer, toutes choses égales par ailleurs, les différents impacts du bonus-malus. Il faudrait notamment mobiliser l’expérience des pays étrangers qui n’ont pas introduit un tel système. De telles études ont-elles été conduites pour motiver les changements qui vont être introduits ? Ou s’agit-il simplement de faire joujou avec les taxes et les subventions ?


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