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Le véritable ennemi de l’autonomie, ce n’est pas le socialisme ni la "pensée 68", mais bien le planisme
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Bonnes feuilles

Selon l'auteur, la France, pays des libertés, meurt de ses interdits. Ce n'est pas la mondialisation, l'Europe ou le capitalisme sauvage qui nous menacent, mais l'enlisement dans la servitude volontaire. L'Etat est devenu le bourreau de nos libertés. Le problème n'est pas économique mais philosophique. Extraits de "Le révolutionnaire, l'expert et le geek" de Gaspard Koenig aux éditions Plon 2/2

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig

Gaspard Koenig a fondé en 2013 le think-tank libéral GenerationLibre. Il enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il a travaillé précédemment au cabinet de Christine Lagarde à Bercy, et à la BERD à Londres. Il est l’auteur de romans et d’essais, et apparaît régulièrement dans les médias, notamment à travers ses chroniques dans Les Echos et l’Opinion. 

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Le véritable ennemi de l’autonomie, ce n’est pas le socialisme. Celui-­ci a le mérite de la franchise : l’inventeur du mot socialisme, Pierre Leroux, l’a explicitement défini en opposition à l’individualisme. Le choix est donc assez clair, entre la vision holiste d’une société administrée, et l’idéal libéral d’émancipation individuelle. Un choix tranché sans ambiguïté par les Français, qui n’ont jamais porté au pouvoir le socialisme dans cette version radicale.

Le véritable ennemi de l’autonomie, ce n’est pas non plus l’Etat-­providence. Il est nécessaire que la société s’orga‑ nise pour fournir à chacun les moyens de son autonomie. La mise en place d’un filet de sécurité et de mécanismes assurantiels, légitime revendication de l’après-­guerre, est indispensable à la formation de l’individualité.

Le véritable ennemi de l’autonomie, ce n’est toujours pas la « pensée 68 », pour reprendre le titre du bel essai de Luc Ferry et Alain Renaut. Certes, l’hédonisme libertaire et, plus profondément, le relativisme généralisé des valeurs s’accompagnent de la destruction de l’idée classique du sujet, opérée par un groupe assez cohérent de philosophes, parmi lesquels Foucault, Lyotard ou Derrida. Mais cela ne se traduit pas automatiquement par cette « haine de l’universel » que redoutent Ferry et Renaut. Au contraire : comme les auteurs le reconnaissent dans les dernières pages, on peut tout à fait admettre que le sujet est ouvert, traversé de faisceaux de forces qui le dépassent, tout en conservant l’autonomie comme idéal régulateur. « L’idée d’humanité, écrivent-­ils, ne surgit comme telle que si l’ou‑ verture peut être pensée à partir de cet horizon d’auto‑ nomie qui lui confère son sens. » Autrement dit, on peut rester humaniste tout en admettant que « le sujet meurt dans l’avènement de l’individu ». Comme on l’a déjà vu, dans un monde sécularisé, l’autodétermination de chacun devient la valeur ultime. C’est sur cette base que peut émerger l’« humanisme non métaphysique » que les auteurs appellent de leurs vœux. La pensée 68 est une composante importante d’une pensée moderne de l’autonomie.

Qui est alors le véritable ennemi de l’autonomie, qui nous empoisonne depuis quatre-­vingts ans, qui a brouillé tous nos repères, et qui explique très largement la crise morale que traverse actuellement le pays ? Le planisme. Cette idée perverse selon laquelle les choix individuels, tout en restant au fondement du pacte social, doivent être orientés et limités. Par qui ? Non par la volonté générale (verticale), ni par les associations de l’espace civil (hori‑ zontales), mais par des experts, qui peu à peu ont envahi toutes les structures de l’Etat et tracé la diagonale morti‑ fère du pouvoir. Dans une lettre à H.G.  Wells de 1902, Winston Churchill avertissait déjà que « rien ne serait plus criminel que de mettre le gouvernement dans les mains d’experts. La connaissance de l’expert est toujours limitée ». Un siècle plus tard, pour nous gouverner, les experts ont remplacé les pères et les pairs.

Le citoyen, tout en restant libre de travailler, de consommer ou de voter, voit ainsi le champ de ses pos‑ sibles constamment restreint. C’est la définition de l’hété‑ ronomie : plutôt que de donner à l’individu les moyens de faire ses propres choix, on les effectue à sa place. L’Etat jacobin, libéral, émancipateur s’est ainsi transformé en Etat ventouse, omniscient, dirigiste. Le libérateur est devenu prescripteur. L’individu, à qui l’on promettait une infinité virtuelle, se voit condamné à une finitude certaine. Telle est la dérive de la France du xxe   siècle, à laquelle nous nous devons aujourd’hui de donner un coup d’arrêt définitif.

Le planisme entraîne avec lui une hyperrationalisation de la société en catégories, et une hypertechnocratisation des politiques publiques. Le citoyen est à la fois traité comme un pion manœuvrable à coups d’interdictions et d’incitations, et privé de la capacité de comprendre les manœuvres dont il fait l’objet. Quant au Grand Manœuvrier, je crains qu’il ne se soit depuis longtemps perdu dans son propre labyrinthe…

Notre erreur courante est de confondre la nécessaire intervention de l’Etat pour construire les conditions de l’autonomie, et son insupportable immixtion dans tous les domaines de la vie économique et sociale. Le choix n’est pas entre « le marché » et « l’intérêt général », « le privé » et « le public ». Le choix est entre l’autonomie et l’hétéronomie. Nos sociétés ont à peu près résisté à la « tentation tota‑ litaire » que décrivait Jean-­François Revel au plus fort de la guerre froide1 . Il faut maintenant qu’elles repoussent la tentation planiste, plus insidieuse.

Extraits de "Le révolutionnaire, l'expert et le geek" de Gaspard Koenig aux éditions Plon, 2015

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