Le tournant géopolitique de 2015 : le discours de Vladimir Poutine du 28 septembre 2015 à l’ONU <!-- --> | Atlantico.fr
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Le 28 septembre 2015, à New York, Vladimir Poutine prend la parole à l'ONU. Ce discours constitue un des pivots de la géopolitique de 2016 : il introduit une césure tout à la fois dans la position internationale de la Russie, dans le st
Le 28 septembre 2015, à New York, Vladimir Poutine prend la parole à l'ONU. Ce discours constitue un des pivots de la géopolitique de 2016 : il introduit une césure tout à la fois dans la position internationale de la Russie, dans le st
©Reuters

Stratégie de rupture

Le 28 septembre 2015, à New York, le président de la Fédération de Russie monte à la tribune et prend la parole quelques minutes devant les chefs d’Etat et de gouvernement réunis pour la 70ème session de l’Assemblée générale des Nations-Unies. Voilà près d’une décennie qu’il n’a pas participé à cet événement rituel de la communauté internationale. Et voilà plus de deux ans que sa politique en Ukraine est critiquée par les Occidentaux. Saura-t-il sortir son pays du cycle des sanctions et des contre-sanctions aggravé par la réduction drastique des cours du pétrole ?

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Un discours de rupture

Loin d’essayer de se concilier son public par une homélie consensuelle, Vladimir Poutine reprend les formules provocantes dont il est coutumier : il condamne l’irresponsabilité de l’interventionnisme américain au Moyen-Orient et fustige la mollesse des Européens face à l’islam radical. Mais il va plus loin et surprend la communauté internationale en annonçant une intervention militaire russe en Syrie. Cette campagne, préparée depuis la fin août 2015, débutera deux jours après, le 30 septembre, par des frappes aériennes.

Le discours prononcé ce jour-là constitue un des pivots de la géopolitique de 2016 : il introduit une césure tout à la fois dans la position internationale de la Russie, dans le statut de la République d’Iran et dans la politique internationale de l’Union européenne.

La Russie : rivale en Ukraine et alliée en Syrie

Ce discours amorce un rapprochement entre Russes et Occidentaux. Depuis le changement de régime à Kiev durant l’hiver 2013-2014 et le rattachement contesté de la Crimée à la Fédération de Russie le 18 mars 2014, la Russie est considérée comme un risque pour la stabilité des frontières et comme une menace pour la souveraineté des Etats limitrophes.

En intervenant en Syrie, la Fédération de Russie (re)devient un acteur de la solution de la crise en Syrie. Alors que les Européens et les Américains refusent de d’intervenir au sol, les forces armées russes s’engagent dans la mêlée de la guerre civile.

La Russie se réinvite dans le Grand jeu moyen-oriental en concurrence et aux côtés des Occidentaux. Bien entendu, les tensions sont vives : la Russie vise d’autres cibles que les Occidentaux et soutient le régime al-Assad. Mais les attentats de novembre 2015, à Beyrouth, à Tunis et à Paris achèvent de rendre la Russie incontournable. En particulier, la France et la Russie, dès le discours du président français du 16 novembre, partagent une priorité géopolitique : lutter contre le terrorisme islamiste sunnite.

La solidité de l’alliance franco-russe trouvera sans doute ses limites en 2016[1]. Mais du 28 septembre au 13 novembre, la question ukrainienne passe au second plan et la Russie redevient une alliée acceptable.

L’Iran : d’Etat paria à puissance régionale montante

Le discours du 28 septembre reflète et accélère aussi une transformation de l’échiquier régional. Avant le 14 juillet 2015 et l’accord de Genève sur le programme nucléaire iranien, la République Islamique d’Iran était crainte mais marginalisée. Suspectée de se doter de l’arme atomique en violation du Traité de Non-Prolifération, soupçonnée de relancer la course aux armements dans le Golfe et accusée de préparer la fin d’Israël, elle était rangée parmi les menaces à la sécurité du monde. Animant un réseau chiite comprenant le Hezbollah au Liban, les houthis au Yémen, des milices en Irak, elle était considérée par les monarchies sunnites du Golfe et de la péninsule arabique comme la menace militaire principale au Moyen-Orient.

La décision russe d’intervenir en Syrie en coordination avec les forces spéciales iraniennes, consacre ce qui était déjà latent depuis juillet : l’Iran et son allié russe sont réconciliés. Ainsi, les deux puissances avaient repris, dès août, l’exécution du contrat prévoyant la fourniture de défenses anti-missile russes à l’Iran. Plus largement, la coopération militaire, civile et énergétique entre les deux pays reprend le cours inauguré en 1979 après la révolution islamique.

Par son discours, Vladimir Poutine révèle au monde la construction d’un axe Moscou-Téhéran-Bagdad-Damas. Et il rappelle aux acteurs régionaux que l’Iran est la puissance (ré)émergente au Moyen-Orient.

Certes, à mesure que Daech sera amoindri, à mesure que les rivalités se rallumeront entre la Russie orthodoxe et l’Etat chiite, et à mesure que la compétition sur les marchés du pétrole se ravivera, l’axe russo-iranien s’érodera. Mais le 28 septembre 2015 marque indubitablement la réintégration de l’alliance Iran-Russie dans le grand jeu international.

L’Europe et ses vulnérabilités

En prétendant voler au secours de l’Europe, la Fédération de Russie souligne les lacunes géopolitiques de l’Europe. Alors que les Etats européens s’illustrent par leurs divisions, leur lenteur et leur passivité, la Russie, elle, montre son unité de commandement, sa rapidité dans le déploiement militaire et sa proactivité dans le traitement des causes de la crise sur le territoire syrien.

La suite de l’automne confirme malheureusement le discours du 28 septembre. La Russie se donne le plaisir de Cassandre ayant eu raison avant tout le monde : depuis une décennie, elle rappelle aux Européens frappés de surdité que le terrorisme islamiste est une menace commune, que la Turquie n’est pas un allié fiable, que les Etats-Unis ne s’intéressent que peu au sort de l’Europe, etc.

Le discours de l’ONU ne scelle pas la réconciliation (les sanctions sont prolongées le 21 décembre). Mais il souligne que l’Europe a en partie besoin de la Russie pour traiter ses faiblesses géopolitiques structurelles.

Tournant, catalyse et révélation

En géopolitique, il est hasardeux d’isoler des tournants historiques : les tendances sont nécessairement longues et les revirements sont rarement irrémédiables. Toutefois, il est possible d’identifier des étapes symboliques. Le discours de Vladimir Poutine en est une : il révèle au monde que 2015 est l’année où la Russie redevient une alliée nécessaire au sud tout en restant une rivale à l’est, où la République islamique d’Iran (re)devient la puissance montante du Moyen-Orient et où l’Europe prend conscience de son besoin (relatif) de Russie sur la scène internationale.



[1] https://eurasiaprospective.wordpress.com/2015/11/26/les-3-illusions-de-lalliance-franco-russe/

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