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Le spin, cette fâcheuse tendance de la recherche clinique à utiliser les résultats scientifiques de manière erronée
©Reuters

Effet d'optique

Entre erreurs, manque d'indépendance, idélogie et incompréhension, l'utilisation d'études scientifiques n'est souvent pas neutre, et il faut savoir dénicher les "spins", ces études qui tournent en faveur des objectifs de celui qui la mène ou finance.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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Atlantico : Qu'est-ce que le "spin" et pourquoi peut-il constituer de vrais problèmes aujourd'hui pour le monde scientifique ?

Guy-André Pelouze : Derrière l’anglicisme une question vieille comme le monde: comment embellir, améliorer les choses et les rendre plus favorables à mes intérêts? Le “spin”, les “spin studies” c’est une présentation biaisée d’études scientifiques, visant à s'assurer que le public considère les choses favorablement. C’est ni plus ni moins de la propagande dans les relations publiques, les médias. Mais c’est aussi de la part des scientifiques se livrer à des pratiques de présentation spécifique des résultats qui faussent leur interprétation et induisent les lecteurs en erreur afin que les résultats soient considérés comme plus favorables. On peut alors parler de manipulation du public scientifiques compris. Mais il ne saurait y avoir de frontière parfaite entre les études sérieuses et les études biaisées. Établir, dans un article scientifique que les auteurs présentent une surinterprétation des résultats n’est pas neutre et peut être subjectif. Autrement dit, s’agissant des résultats des études biomédicales, il faut ajouter à l’incertitude réelle liée au protocole expérimental l’incertitude liée à la tricherie possible dans l’expérience ou bien dans son interprétation. G. Akerlof avait déjà pointé cette question d’une grande importance aussi sur le plan économique dans son article célèbre “The market of lemons”

Il y a principalement deux conséquences pour la recherche biomédicale. La première concerne la médecine et les patients. La recherche en biologie est très orientée vers les applications médicales. Il est de la plus haute importance de disposer de résultats fiables pour éviter les effets indésirables des médicaments comme des implants ou des procédures interventionnelles. Qu’il s’agisse de précision du diagnostic ou bien d’efficacité des traitements, cela peut conduire à une application inappropriée des tests, des interventions et peut nuire aux patients et augmenter de façon inutile les coûts des soins.

La deuxième concerne l’allocation des ressources. Le financement de la recherche est basé sur des paris successifs. Pour ne pas gaspiller la ressource il convient que les données soient fiables et que le choix d’accorder une subvention soit ainsi le plus approprié possible. 

Quels sont les raisons qui peuvent expliquer la multiplication des erreurs de ce type depuis quelques années ?

Soyons clair pour nos lecteurs le spin n’est pas une erreur, c’est un processus intentionnel car au final les auteurs d’un article endossent la responsabilité de chaque mot. Comme toujours en médecine la première raison pour laquelle le “spin” est plus fréquent c’est d’abord qu’on le détecte beaucoup mieux. Les processus de révision par des pairs, l’accès à des données non falsifiables grâce à numérisation à la source, la reproduction des expériences et d’autres facteurs font que les “spins” sont détectés plus souvent. Il n’y a pas à ma connaissance d’étude qui ait établi que la fréquence réelle a augmenté. Pour autant stricto sensu cette fréquence est élevée, plus de 50% des articles scientifiques à l’exclusion des essais randomisés contiennent au moins un spin.

Quelles sont les solutions pour éviter de voir ce genre de fausses études ou fausses analyses se multiplier ?

Vaste question. Tout d’abord il faut distinguer les fausses études qui sont éliminées très facilement par les comités de lecture des journaux scientifiques et les “spin studies” qui sont des articles où existent un ou plusieurs biais. Ensuite il faut souligner que les initiatives dans ce domaine doivent préserver la recherche et sa liberté car dans le cas inverse ce serait une grande régression avec des conséquences désastreuses. 

D’une manière générale en ce qui concerne la biologie et la médecine il faut privilégier les études randomisées. En effet les biais sont beaucoup moins nombreux et les interprétations plus claires. Un exemple, beaucoup d’études font état d’un risque augmenté de maladies cardiovasculaires, de cancer ou d‘Alzheimer avec tel ou tel aliment. Ces études sont observationnelles c’est à dire que des échantillons de population sont analysés à l’aide de questionnaires alimentaires et grâce à des bases de données sur les maladies survenues chez ces personnes. Dans ces études on ne compare pas deux groupes de personnes qui auraient été allouées à une alimentation particulière (contenant de la viande par exemple) suivant une distribution au hasard. Les différences entre ceux et celles qui mangent plus de ceci et telle ou telle maladie même si elles sont statistiquement significatives ne sont pas un gage de causalité. Autrement dit il n’y a aucune preuve que ces différences ne soient pas dues à d’autres causes que l’aliment en question. Ces études observationnelles ont inondé la littérature ces dernières décennies mais leur apport scientifique en vérité est très faible. Pire elles prêtent le flanc à tous les “spins” d’interprétation possible. Et les médias utilisent le jargon du “spin” comme les lobbies. Voyons ce que disent des experts mais pas des chercheurs à l’OMS à propos de la viande de découpe : 

“7. La consommation de viande rouge a été classée comme probablement cancérogène pour l’homme (Groupe 2A). Qu’est-ce que cela signifie?

Dans le cas de la viande rouge, cette classification se fonde sur des indications limitées provenant d'études épidémiologiques montrant des associations positives entre la consommation de viande rouge et le développement d’un cancer colorectal, indications soutenues par de fortes indications d’ordre mécanistique.

Indications limitées signifie qu'une association positive a été observée entre l'exposition à la consommation de viande rouge et le cancer mais que d'autres explications pour ces observations (techniquement désignées par les termes de hasard, de biais ou de facteurs de confusion ) ne pouvaient être exclues.” 

Et maintenant ce qu’écrit la presse:

“En déclarant cancérogène la charcuterie et probablement aussi la viande rouge, l’agence du cancer de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a jeté un sacré pavé dans nos assiettes. Est-on condamné à devenir végétarien pour sauver notre peau ? Jusqu’à quel point faut-il avoir peur de la viande ?”

Ou encore :

“Des cancers à cause de la viande rouge, selon l'OMS. L'OMS met en cause la consommation de charcuterie et de viande rouge dans le développement de certains cancers.” 

Nous sommes là devant un exemple type. L’OMS indique que la forte consommation de viande est associée à certains cancers (en clair le cancer colorectal) et la presse parle de causalité. C’est profondément faux et de plus les médias nient la question du quantum c’est à dire la forte consommation. Le premier biais est classique, aucune causalité dans les études observationnelles même les mieux réalisées; le deuxième est plus sournois c’est l’appel au véganisme leit motiv idéologique de certains. Il faudra donc attendre des études randomisées pour connaître l’existence d’un lien de causalité et savoir à partir de combien de grammes de viande par semaine il existe si c’est le cas. On pourrait multiplier les exemples. Ainsi, pour se faire un avis, il est préférable de disposer d’une étude randomisée bien faite et de taille modeste plutôt que de l’avis de milliers d’experts ou d’une étude observationnelle de grande ampleur.

L’amélioration de la qualité des publications et la diminution des biais passe par une transparence totale des liens que peuvent avoir les auteurs et des résultats qu’ils ont collectés.  Mais cela va plus loin en médecine car il est indispensable que les études négatives soient accessibles c’est à dire que tous les essais cliniques soient déclarés. C’est le sens de la base de données mondiale du National Institute of Health, qui permet de recenser ces essais. Dans ce contexte l’open data des données de soins est encore plus indispensable car si les données collectées peuvent être facilement biaisées par les méthodes de recueil, les données sur les maladies et les causes de décès sont extrêmement incertaines. Non seulement parce que leur accès est compliqué, mais aussi parce que, sans les autres éléments du dossier, une analyse critique du diagnostic ou des causes de décès est très difficile. Cet open data est encore inexistant en France alors que le système de payeur unique permet de délivrer des statistiques descriptives de très grande qualité.

Enfin et sans que ces trois propositions soient exhaustives il est indispensable de renforcer l’indépendance des journaux scientifiques et la controverse dans leurs colonnes. La presse scientifique doit être compétitive et l'ère numérique a permis des avancées considérables à travers les journaux électroniques et les droits d'auteurs alternatifs comme les Creative Commons. Il s’agit de contrats de publication qui favorisent l’innovation sans contrefaire. A ce propos il faut éviter d’accorder trop d’importance à des études qui sont présentées comme définitives ou bien pour lesquelles les experts interrogés sont tous du même avis; c’est en général un signe de grande faiblesse. Les meilleurs journaux proposent au sujet d’études de rupture des éditoriaux opposés dans leur analyse. C’est salutaire et éclairant. Parler d’indépendance des chercheurs et des journaux signifie aussi étudier les liens financiers. Ils sont aujourd’hui déclarés mais ont ils une influence sur l’existence d’un biais dans l’article? Intuitivement et culturellement la tendance du public est de répondre oui… Pourtant dans un article récent, K. Chiu ne trouve aucune différence entre les études sponsorisées par l’industrie et celles qui ne le sont pas quant au nombre de “spins”. (Figure N°1)

Figure N°1 Graphique en forêt de la méta-analyse de l'association entre la source de financement et la présence de “spin”. Le risque qu’il y ait plus de “spin” quand l’industrie est impliqué est à droite du trait vertical et le contraire à gauche. 137/486 “spins” lorsque l’industrie participe au financement contre 180/624 quand elle ne participe pas . 

La recherche n’a jamais été aussi fertile car des millions de chercheurs sont à l’oeuvre dans le monde. Il est naturel que des études soient biaisées il faut simplement permettre la controverse pour les discuter. Car en réalité et j’ai conscience que ce soit difficile à comprendre, il faut retenir que les théories scientifiques (pas les faits) sont falsifiables et que nous devons faire avec un grand niveau d’incertitude dans la vie en général et en médecine en particulier. Cette incertitude ne peut être éliminée mais elle peut être quantifiée. Il y a deux approches à cette quantification, celle relative qui consiste à comparer le risque d’un traitement avec un autre et celle absolue qui renseigne sur la magnitude de ce risque. 

Exemple: Tel traitement est associé ou est causalement responsable d’un risque de diabète plus élevé qu’un placebo. Bien, le risque relatif est par exemple de 100% ce qui signifie que dans le groupe traité il y a le double de diabète au bout de l’étude.

Mais au fait quel est mon risque réel c’est à dire absolu d’avoir un diabète? Si ce risque est de 1/1000 dans le groupe placebo il sera de 2/1000 dans le groupe traité, si le risque est de 10/100 dans le groupe placebo il sera de 20/100 dans le groupe traité. On voit bien que cela n’a rien à voir. C’est dans la manipulation de cette interprétation des risques que se trouve dans mon expérience le plus grand nombre de ”spin studies”. Et il est difficile d’en faire une analyse sans un minimum de compréhension de ce qu’est le risque. A ce propos il est passionnant de constater que le spin peut aussi être un trait psychologique des chercheurs car c’est très difficile:

“J'ai toujours cru que la recherche scientifique est un domaine où une forme d'optimisme est essentielle au succès: je n'ai pas encore rencontré un scientifique qui n'a pas la capacité d'exagérer l'importance de ce qu'il ou elle fait, et je crois que quelqu'un qui manque du sens quelque peu délirant de la signification est confronté à des expériences répétées de multiples petits échecs et de rares succès, le sort de la plupart des chercheurs", Daniel Kahneman.

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