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Le sondage sur les attentes des Français qui permet d’anticiper sur quoi se joueront vraiment les prochaines élections (et non, ça n’est pas forcément le clivage nationalistes contre progressistes)
©Benjamin CREMEL / AFP

Exclusif

Un sondage exclusif Ifop pour Atlantico montre un infléchissement des attentes sur les thématiques sécuritaires, tandis que les questions économiques remontent parmi les priorités des Français.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Votre sondage montre un sorte d'infléchissement sur les thématiques sécuritaires (Sécurité et terrorisme -15 pts, délinquance -5 pts, lutte contre l'immigration -3 pts et d'immigration, mais un vrai regain sur les thématiques économiques et sociales) et une reprise d'intérêt sur les questions économiques (relèvement des salaires et du pouvoir d'achat +10 pts, maîtrise du niveau des impôts +4pts, sauvegarde des services publics +4 pts). Alors qu'Emmanuel Macron vient d'effectuer sa rentrée sociale, comment expliquer ce glissement d'intérêt des Français vers des curseurs aux thématiques plus sociales malgré les très hauts scores des thématiques sécuritaires ? Les Français ne croiraient-ils moins en la capacité de réforme économique du gouvernement ?

Jérôme Fourquet : Il faut voir où on en était au point de départ. En septembre 2017, nous sommes quelques mois après la présidentielle, période pendant laquelle la France a essuyé une attaque terroriste assez symbolique sur les Champs-Elysées dans laquelle un policier a perdu la vie. La présidentielle s'était faite dans un contexte très marqué par le terrorisme. A l'époque, nous étions un an après le funeste été 2016 marqué par l'attentat de Nice et l'égorgement du père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray. Depuis lors, nous avons subi hélas d'autres attaques terroristes, à Marseille quand deux personnes avaient été poignardées, puis à Carcassonne et à Trèbes et plus récemment dans le centre de Paris. A chaque fois, la portée symbolique et le bilan humain ont été moins marquantes que par le passé.

De la même manière, il y avait un phénomène de caisse de résonnance ou d'échos à ce que nous étions exposés à l'intérieur de nos frontières ave des terroristes qui venaient soit de l'extérieur soit qui étaient autochtones et l'ampleur des résultats de Daech dans la zone irako-syrienne. Daech était à l'époque dans toutes les têtes. Entre temps, Daech a perdu quasiment l'intégralité du territoire qu'il contrôlait. Et même si les récentes attaques montrent une capacité de remous et d'influence notamment via les réseaux sociaux pour que certains individus commettent des attentats, le degré de menace apparait un peu moins élevé aujourd'hui qu'il ne l'était à l'époque. C'est cela de notre point de vue qui de notre point de vue explique la décrue progressive ou la moindre sensibilité de nos concitoyens à ces thématiques sécuritaires ou liées à l'immigration. Et ce même si comme vous le soulignez fort justement, cette question demeure au top des priorités.

Quand on a un peu de recul, sur la longue période, très rares ont été les périodes où le chômage n'arrive pas en tête dans ce genre de baromètres. La période terroriste que nous avons traversé et dont nous ne sommes pas sorti tout en entrevoyant la possibilité d'une lumière au bout du tunnel a bel et bien existée. En septembre 2017, il y avait 20 points d'écarts entre lutte contre le chômage et menace terroriste. C'était quelque chose de sans précédent. On n'est pas encore à un retour à la normale, ni dans l'état sans précédent de 2017. C'est pour cela que je considère que ce baromètre montre que nous sommes dans un entre-deux. Et qu'il est possible que l'on s'achemine vers une hiérarchie plus classique, tout comme il pourrait s'agir d'une accalmie momentanée.

Cependant, sur le thème qui a le plus progressé en un an, "le relèvement des salaires et du pouvoir d'achat" +10pts, l'électorat de LREM reste particulièrement moins concerné que les autres électorats. Malgré l'annonce du plan pauvreté, Emmanuel Macron n'est-il pas tributaire des velléités de son électorat ? Est-il condamné à être le "Président des riches" ?

Jérôme Fourquet : En partie, bien évidemment, même si on peut observer aussi sans doute un exemple de réflexe partisan. D'un côté donc un électorat qui dans ses choix en viendrait à se trouver en phase avec la grille de lecture de son gouvernement. Mais aussi sans doute une partie de l'électorat qui voit bien que c'est une préoccupation récurrente mais qui soutient le discours officiel qui consiste à dire qu'on ne peut pas faire de miracle. L'écart est très flagrant avec une magnifique courbe en U avec les extrêmes très fort, le PS et LR en dessous et LREM 20 points en dessous de ces deux partis. On constate aussi une montée très nette sur le pouvoir d'achat, mais celle-ci s'est faite en fait depuis plusieurs mois. Depuis janvier 2018, on n'a pas monté, mais la hausse était de 11 points entre janvier et septembre.

Beaucoup de Français ont cru dans les annonces et le discours gouvernemental en la matière. Le candidat Macron avait dégainé un argument massue dans le cadre de la campagne électorale qui était celui de la suppression de la taxe d'habitation. En juin 2017, on avait observé un dérochage inédit de la cote du gouvernement. Ce décrochage se fait précisément sur cette question là quand Edouard Philippe déclare dans son discours général avoir trouvé des caisses encore plus vides que prévues, et que si les hausses de prélèvement annoncées étaient maintenues, il n'en était pas de même des cadeaux qui eux allaient s'étaler sur tout le quinquennat. Il y a alors depuis une levée de bouclier parce qu'il y a le sentiment qu'il y a une entourloupe, surtout à l'issue d'une campagne très particulière dominée par les affaires où cette annonce avait été particulièrement entendue. Les annonces portaient aussi sur les baisses de charges des salariés. Mais on a appris depuis que ces baisses de charges allaient être différées dans le temps. En janvier, on est en plein dans l'effet déceptif parce que le gouvernement a sur-communiqué sur les baisses de charges. Sauf qu'avec la hausse de la CSG et les débuts de hausses du carburant, plus les traditionnelles hausses non-imputables au gouvernement telles que le timbre ou le gaz, etc., les Français ont le sentiment que ce n'est plus qu'une opération nulle au terme comptable et que du coup ils s'étaient fait balader. Depuis, le gouvernement a d'ailleurs été beaucoup plus prudent. C'est pour cela que l'essentiel du mouvement s'est fait entre septembre et janvier. Cette attente est depuis restée forte, sans grossir. Avec cela, il faut rappeler la levée de boucliers sur les 80 km/h que les gens voient comme une manière supplémentaire de faire rentrer l'argent dans les caisses. Il y a aussi une partie très importante du corps électoral que sont les retraités qui n'ont pas vu la hausse de la CSG être compensée. Du coup, la question du pouvoir d'achat est redevenue une attente très forte de la part des citoyens.

Et selon un scénario que nous avons hélas déjà connu par le passé, on rentre dans uen période très compliquée qui se caractérise par le fait que nous avons des attentes très fortes de l'opinion qui ont été en partie nourries par des annonces peut-être imprudentes au début du quinquennat et pendant la campagne. Et cela alors même que les caisses sont vides et que la croissance redescend. On arrive au moment fatidique du budget. Pour corriger l'image de "Président des Riches", on met le paquet sur le plan pauvreté mais ça c'est du pouvoir d'achat pour une partie de la population et donc ce n'est pas forcément des ressources budgétaires. Ensuite devrait arriver l'autre moment fatidique, celui qui devait être porteur en janvier de nouvelles baisses de charges pour les salariés, mais qui va s'accompagner de la mise en place du prélèvement à la source pour lequel on va avoir l'impression de se faire très largement ponctionner. Le piège est armé, en quelques sortes. Dans ce contexte là, comme vous le soulignez, on n'a que 33% des électeurs LREM qui considèrent que cette question des baisses de charge est prioritaire pour eux. Cela s'explique par un effet structurel et sociologique, qui s'explique par le fait que Macron est élu par des citoyens appartenant plus souvent aux CSP+ tel chefs d'entreprise, les retraités aisés et les cadres supérieurs. Pour eux, le pouvoir d'achat est un danger moins prioritaire. C'est la fameuse courbe en U : l'électorat populaire du FN et de la FI est très concerné, l'électorat de classes moyennes de LR et du PS un peu moins mais toujours beaucoup. Et on n'arrive qu'à 33% pour les LREM. Mais il y a aussi un possible réflexe partisan qui consiste à soutenir le gouvernement dans sa voie malgré la perception des problèmes (et qui accepte peut-être de prendre son mal en patience).

A quelques mois des élections européennes, on observe que ce thème mobilise peu, sauf peut-être chez LREM. Le Président qui a beaucoup axé son action politique sur son engagement européen pourrait-il récolter les fruits de ce noyau dur ou cela prête-t-il le flanc à une élection référendaire contre lui ?

Jérôme Fourquet : Tout d'abord, on observe que l'Union européenne est tout en bas du tableau des priorités des Français alors même qu'on est à huit mois des européennes et qu'on ne parle plus que de cela depuis des mois. Cela laisse donc présager une abstention très forte pour ces élections européennes.

Ensuite, si on veut nuancer un peu, ce qui arrive en tout bas de tableau est l'Union européenne. Mais quand on parle jour et soir de lutte contre l'immigration clandestine, c'est intrinsèquement lié à la question européenne. De la même façon que sont liées les thématiques économiques ou la question de l'environnement. Sur ces thématiques-là, les Français disent que la réponse doit passer à l'échelon européen et qu'on ne mènera pas par exemple la transition écologique seule (regardez par exemple le glyphosate). C'est encore plus vrai sur la crise migratoire. Les Français désignent donc aujourd'hui dans cet item "Europe et Union européenne" la dimension institutionnelle, politique et symbolique, qui est aujourd'hui très faible.

Il faut bien voir que politiser au plan continental l'élection comme le fait Emmanuel Macron en affirmant que cela va être le match Macron-Orban ne convainc pas encore les Français, qui trouvent que c'est très loin de leurs soucis.

Il faut ensuite noter que les Français sont globalement pro-européens, considérant que l'union fait la force et que Macron devait être présent à cet échelon. Or, que ce soit sur les questions environnementales ou sur la crise migratoire, les Français constatent quotidiennement l'impuissance ou l'échec de la fédération européenne. Un sentiment très fort de scepticisme se nourrit, et les gens se détournent, considérant qu'il n'y a rien à en attendre. Ce côté déçu et désespéré explique aussi le mauvais score.

Mais tout cela converge néanmoins pour montrer qu'il va falloir que les candidats et partis se lèvent de bonne heure pour ranimer la flamme et susciter l'intérêt lors de la prochaine élection.

Macron, dès lors, peut jouer sur une stratégie bien connue qui consiste à mobiliser son noyau dur dans une élection avec peu de participation. Il a pris pour cela le risque de se présenter comme un champion de l'Europe. Il y a à la fois des convictions fortes et sincères pour lui, en osmose avec son électorat. Il a donc décidé de rejouer sur ces bases le match entre progressistes et populistes qu'il avait déjà joué avec Marine Le Pen au second tour des élections présidentielles. Il ne fera pas lever des foules, mais il fera lever ses troupes fidèles.

Il faut voir qu'en face les électorats de LFI et du RN pourraient, écœurés, ne pas aller voter du tout. On a souvent dit que le FN était favorisé par l'abstention, ce qui est faux quand on regarde les élections européennes, le RN ex FN est un électorat très populaire, et c'est dans ces catégories que l'on s'abstient en premier. A cet effet sociologique s'ajoute un effet de rejet idéologique qui pousse à l'abstention dans les forces anti-systèmes. Une des répliques à cela sera de détourner le scrutin de sa vocation initiale. La cible sera, comme semble le montrer déjà Mélenchon, le président lui-même et son gouvernement qu'il s'agira de désavouer le plus massivement possible. On voit bien que même si dans le logiciel FI la notion européenne est centrale pour les Insoumis, Mélenchon semble prendre acte qu'il est difficile de parler de cela aujourd'hui à son électorat qui semble plus préoccupé par les questions de santé (68%), de pouvoir d'achat (68%), de précarité (64%)… il faut donc faire campagne sur la carte des services publics et le président des riches, plutôt que sur le projet européen.

Lorsque l'on demande aux Français quelles sont leurs principales attentes, leurs réponses, sur des thématiques similaires, sont souvent contradictoires et surtout divergent au fil des années. Pourquoi tant de contradictions ? Les Français savent-ils vraiment ce qu'ils attendent de leur gouvernement ?

Jean Petaux : Il n’est pas dans mes intentions de remettre en cause les qualités méthodologiques et techniques du sondage IFOP/Atlantico.fr réalisé les 6 et 7 septembre derniers auprès d’un échantillon représentatif de 1.015 personnes. D’un trait simplement je dirais que si les réponses des personnes interrogées (dont, encore une fois, la représentativité en tant que panel scientifiquement fiable n’est absolument pas en cause)  peuvent apparaître contradictoires c’est que les « thèmes prioritaires » proposés à l’échantillon sont aussi contradictoires entre eux. Un seul exemple (il y en a bien plus). On demande aux sondés si « la maitrise du  niveau de l’impôt », « la sauvegarde des services publics » et « la maitrise du niveau des impôts » sont des priorités pour eux. Sur ces trois items ils répondent pratiquement dans la même proportion (entre 36% qui considèrent la maitrise des impôts comme importante, et 31% qui estiment le maintien des services publics comme un sujet prioritaire et 30% la question de la réduction de l’endettement. Sauf que qui dit sauvegarde de la qualité des services publics signifie sans doute une fiscalité aggravée et surtout un éventuel creusement de la dette…

Vous pointez du doigt dans votre question le caractère évolutif des priorités des Français entre, nous dit le sondage, septembre 2017, janvier 2018 et septembre 2018. Il n’y a là rien que de très « normal », ou plus exactement « cohérent ». Les priorités des gouvernés sont soumises à la même dictature de la conjoncture ou de l’actualité que celle qui s’impose aux gouvernants. Pour peu qu’un attentat d’envergure ait été commis, ou qu’une menace se précise, en France ou chez nos voisins et alliés, cibles, de toute manière, des mêmes auteurs, comme par une forme de réflexe collectif, la question sécuritaire remontera très vite au premier rang des priorités. C’est d’ailleurs encore le cas dans le présent sondage, mais avec 62% de Français qui placent en tête des thèmes « tout à fait prioritaire » la « sécurité et la lutte contre le terrorisme », ce thème se « banalise » (les 4 thèmes suivants étant à 4 ou 8 points en dessous de celui-là) alors qu’en septembre 2017 ils étaient 17 ou 20 voire 33 points (pour le pouvoir d’achat…) en dessous de la question terroriste qui culminait à 77% dans l’ordre des priorités (soit 15 points de plus qu’un an après...).

Oui, et ce n’est quand même pas une découverte, les Français, dans leurs réactions collectives, fonctionnent, aussi, au moins pour partie, à l’émotion. Ce qui ne les empêche pas non plus de raisonner et de le faire par exemple en fonction de critères et de catégories de jugement établis selon des normes idéologiques assez nettes et clivées. Dans le tableau qui détaille les priorités énoncées en fonction de l’âge, des comportements électoraux et des positions économiques déclarés par les personnes sondées, on constate clairement que sur le plan fiscal par exemple l’électeur Macron en 2017 ne répond pas pareil que l’électeur Mélenchon. De la même manière, ces deux électeurs sont bien plus proches l’un de l’autre quand il s’agit de répondre sur la question de l’immigration alors que les électeurs de Le Pen et Dupont-Aignan et surtout Fillon lors du premier tour de la présidentielle 2017 répondent presque dans les mêmes proportions et montrent un égal rejet de l’immigration clandestine. Ce qui prouve une vraie « porosité » entre l’électorat Le Pen et Fillon (pour ne parler que d’électorats significatifs). On constate aussi que sur un thème très clivant idéologiquement parlant : « la sauvegarde des services publics », les répondants se déclarant proches de LREM ou du MODEM n’y voient aucune priorité (12% considèrent que ce thème n’est pas prioritaire). Ce sont de vrais libéraux au sens de « privatiseurs ». Alors que les personnes proches de FI, d’EELV et du PS (regroupées sous l’étiquette « Gauche » dans le sondage) considèrent dans la proportion d’une sur deux se réclamant d’une proximité politique avec l’une de ces trois formations, considèrent qu’il s’agit d’une priorité.

Les Français, tout en attendant un certains nombres de réformes, semblent souvent refuser le changement lorsqu'il leur est présenté. A l'heure actuelle, ils semblent être dans un entre deux entre refus de changement et acceptation. Cela relève-t-il d'une certaine incohérence au sein de la population ou les hommes politiques ont-ils leur part de responsabilité ?

Jean Petaux : Donc, finalement, je dirais qu’en effet les contradictions existent dans les réponses des Français. Ils sont toujours « réformateurs » pour les autres et « conservateurs » pour ce qui les concernent. Ils considèrent assez facilement que « les autres » sont plus privilégiés qu’eux et auraient donc tendance à encourager des mesures qui « prendraient aux uns et autres pour leur redonner à eux » (et non pas « aux riches pour donner aux pauvres »). Ils montrent toujours à l’égard de l’Etat et de leurs gouvernants des attentes d’autant plus excessives qu’ils déclarent assez spontanément une forme de détestation de l’Etat. Et, comble de la contradiction : ils font preuve non pas, comme le dit à tort Emmanuel Macron, d’un refus du changement, mais d’une passivité et d’un attentisme plus proche de la résignation que de la résistance. D’où une exacerbation de l’individualisme et du repli plutôt frileux sur la famille, la cellule primaire, loin des grandes luttes collectives.

Si certains politiques ont mis en avant de leur gouvernance la volonté de ne pas brusquer la société française, de ne pas la « violenter » en quelque sorte pour ne pas la contraindre ou la fracturer, d’autres ont semblé moins préoccupés par ce dernier aspect se disant, qu’après tout, « ça passerait ou ça casserait » mais qu’il fallait au moins tenter le coup. Dans cette catégorie je mettrais le Général de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing (pour les 2 premières années de son mandat), François Mitterrand (entre mai 1981 et avril 1983 et le référendum sur le Traité de Maastricht en septembre 1992) et, aujourd’hui, Emmanuel Macron. La question qui se pose c’est pourquoi, dans 2 de ces 4 cas de figure (étant entendu que la comparaison est difficile puisque l’on ne connait pas la « fin du film » pour l’actuel titulaire du fauteuil élyséen), l’ambition  réformatrice, l’audace des transformations et la force du projet, ont-elles, toutes les trois, été balayées à l’épreuve des faits et de la longévité au pouvoir. Seul le général de Gaulle n’a cessé de bousculer les Français, de les « challenger » (diraient les « managers » d’aujourd’hui) en leur proposant des rendez-vous électoraux réguliers sur le mode du fameux jeu radiophonique diffusé sur RTL dans les années 50 où l’Abbé Pierre a littéralement « cartonné » : « Quitte ou double ? ». On sait ce qu’il en est advenu : en mars 1969, ce fut « quitte » sur une proposition de réforme institutionnelle qui avait 25 ans d’avance à laquelle les Français n’ont pas dit « non » puisque leur vote majoritairement négatif n’a pas répondu à la question référendaire posée, mais à une autre : « De Gaulle doit-il rester au pouvoir ? ».

Tout le destin d’Emmanuel Macron est dans la comparaison que je viens d’évoquer. Soit il continue sur la route qu’il a décidé de tracer, considérant que la seule légitimité qui vaille est celle de son élection au suffrage universel le 7 mai 2017 et alors il prend tous les risques, soit il freine et dès lors redevient un président comme les autres.

Les Français estiment-il réellement que l'Etat peut avoir un impact sur leur quotidien ? Au contraire, sont-ils dans une sorte de fatalisme ?

Jean Petaux : J’ai déjà, en partie, répondu à cette question. Sans employer le mot « fatalisme » car je n’adhère pas du tout aux thèses du le « déclinisme » ou sur ce que l’on appelait jadis, dans la Roumanie de la fin des années 30, « la pensée crépusculaire » (incarnée par exemple par Cioran ou Mircea Eliade par exemple). La question centrale est celle du rapport à l’Etat, à la fois « gendarme et providence », « père fouettard et mère courage ». Ce n’est pas banal de faire apprendre jadis dans les leçons d’Histoire de France aux « petits Républicains » qu’un certain Sully, « premier ministre » du bon Roi Henri IV, aurait eu comme devise (slogan avant l’heure) : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France -). Si cela n’est pas, au sens métaphorique de l’expression, la marque d’un Etat « vache à lait », ce n’est rien… Donc les Français sont incontestablement les produits tourmentés de ces contradictions. Mais il serait exagéré d’y voir là un tropisme national. Dans les autres sociétés européennes, au développement comparable et à un niveau d’individuation inconnu jusqu’à aujourd’hui, ce même rapport conflictuel à l’Etat existe aussi.

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