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Le sondage qui montre un souhait de coalition nationale… ou pas : pourquoi les Français attendent bien autre chose que des petits arrangements entre amis technocrates
©Reuters

Gestionnaire

Près de 7 Français sur 10 veulent un rapprochement de la droite, de la gauche et du centre. Une situation qui rappelle l'élan de 1945. Deux forces idéologiquement très différentes, le PCF et le gaullisme, ont réussi à s'unir pour donner à la France le visage qu'elle connaît toujours aujourd'hui. Mais autre temps, autre époque, les élites politiques actuelles apparaissent limitées dans l'objectif de la réalisation d'un tel projet d'avenir.

Isabelle Grand

Isabelle Grand

Directrice adjointe de l'IAE, Isabelle Grand est correspondante du Mastere of Equine Science and Business d'Agrosup Dijon et responsable pégagogique du DU Capacité en Gestion des Entreprises FOAD.

Isabelle Grand est co-auteur de La technocratie en France avec Salvador Juan et Julien Vignet aux éditions Bord de l'eau. 

 

 

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Marc Crapez

Marc Crapez

Marc Crapez est politologue et chroniqueur (voir son site).

Il est politologue associé à Sophiapol  (Paris - X). Il est l'auteur de La gauche réactionnaire (Berg International  Editeurs), Défense du bon sens (Editions du Rocher) et Un  besoin de certitudes (Michalon).

 

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Claire Andrieu

Claire Andrieu

Claire Andrieuest une historienne française spécialiste de l'histoire politique de la France contemporaine. Elle est professeur des universités à l’Institut de Sciences Politiques de Paris et membre du Centre d'Histoire de Sciences-Po.

Elle a participé à la rédaction du Dictionnaire historique de la Résistance, Robert Laffont (23 mars 2006) et est la codirectrice du Dictionnaire De Gaulle, Bouquins, Robert Laffont, 2006.

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Stéphane Rozès

Stéphane Rozès

Stéphane Rozès est président de Cap, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur de "Chaos, essai sur les imaginaires des peuples", entretiens avec Arnaud Benedetti.

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Atlantico : Les Français semblent de plus en plus favorbales à une forme d'union nationale. Déjà en 1945, la France a connu une telle période. Que dit cette attente de la société française ? En quoi la situation actuelle rend difficile la possibilité de revivre un moment politique comme en 1945 ? Quelles sont les limites pour atteindre l'idéal, peut-être fantasmé, de l'union nationale de l'après-guerre ?  

Claire Andrieu : Le projet d'union nationale de 1945 s'est achevé avec l'effondrement de l'URSS. Cet effondrement a fait date puisqu'il a ébranlé l'idéologie d'un progrès qui serait universellement partagé, et ce aussi bien par les communistes que par la droite qui considérait que l'Etat providence constituait une forme de réponse. Aujourd'hui, l'Etat providence est plus difficile à définir dans sa dimension universelle, dans un monde où les pays développés sont confrontés au développement des pays pauvres. Nous sommes là dans un cas de figure planétaire : non seulement le monde a perdu foi en l'utopie et en un avenir radieux, mais en plus nous sommes confrontés à des rapports de force économiques inter-continentaux qui n'existaient pas à l'époque des empires coloniaux.

Ce projet d'union nationale et de foi en l'avenir nous ne la trouvons plus aujourd'hui. L'Etat providence est un système qui n'est plus assuré. En 1945, nous étions dans une économie qui reliait l'Europe aux Etats-Unis. Aujourd'hui, on peut refaire ce que propose le Front national, c'est-à-dire refonder l'Etat-providence, refermer les frontières, mais l'extrême pauvreté des Etats du sud et l'enrichissement accéléré des pays émergents rend difficile l'efficacité de ce type de solution.
Je crois que la responsabilité de l'individu dans un problème aussi vaste demeure malgré tout limité. Alors qu'en 1945 la France était en ruine, avec un potentiel économique à 38%, et que la population ne mangeait pas toujours à sa faim, la société pouvait distinctement voir où se trouvait le progrès. Et c'est pour cela que les actifs travaillaient 48 heures par semaine sans que cela ne leur pose de problème.
Enfin, l'idée d'un "plus jamais" ça qui a permis à la France de trouver les ressources de parier sur de grands projets d'avenir n'exsite plus. A l'époque, la défaite militaire de 1940 ainsi que l'impératif de la reconstruction ont donné l'élan aux politiques. Ils se sont retrouvés dans une position où ils étaient dans l'obligation d'agir et non de simplement gérer une situation.

En quoi la technocratisation de nos élites politiques a fait que les deux partis traditionnels, PS et LR, arrivent à un stade où ils partagent plus ou moins les mêmes idées ?

Stéphane Rozès : En 1945, à l'issue de la seconde guerre mondiale, il faut se rappeler que tout était à rebâtir, et ce par des forces qui avaient participé ensemble à la résistance. Ces dernières avaient en commun le souci de la reconstruire la nation. Si le gaullisme portait l'idée de nation dans l'alliance capital-travail, les communistes portaient une alternative bien différente, dans un contexte géopolitique international où Moscou tentait clairement de détacher la France du protectorat américain.

Aujourd'hui, nous observons un recentrement idéologique du pays sur des notions protectrices à la fois du modèle social, de notre façon d'envisager la prévalence du politique que sont la République, les valeurs Liberté-Egalité-Fraternité-Laïcité, et la question de savoir si dans ce monde-ci il est possible de le préserver, quitte à le réformer – notamment en ce qui concerne notre modèle social.

De Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, les hommes politiques utilisent bien les mêmes termes, et les mêmes éléments de langages, mais ils se différencient malgré tout dans leurs contenus.

Isabelle Grand : Je pense que le problème est qu'il y a un moule identique qui fait que ça définit une même façon de penser. De nombreux hommes politiques sont passés par l'ENA. Ils retrouvent en face d'eux des hauts fonctionnaires dans l'administration ainsi que, parfois, des patrons de grandes entreprises (ce qui est surprenant car on aurait tendance à penser que les dirigeants des grandes boîtes aient une vraie formation en gestion et non un "simple" diplôme de l'ENA) qui sont passés par la même grande école. Donc il y a une forme d'homogénéité au niveau des classes dirigeantes qui favorisent une faible différence. Et le sentiment, lorsque l'on vient de l'extérieur, c'est qu'il n'y a pas de grandes différences entre nos élites. Ce sentiment est d'autant plus perceptible que les technocrates passent facilement d'un monde à l'autre - de celui de l'entreprise à celui du politique ou de l'administration.

Le souci s'est qu'à force de circuler entre tous ces domaines, ils sont capables de passer d'un bord politique à un autre. En tous les cas, les hommes politiques de gauche et de droite ne sont pas des ennemis. Ils se connaissent et partagent un certain nombre de façon de voir. Si je reprends l'idée de Nicolas Le Gras, il s'agit de se rendre compte qu'il y a un écart entre les technocrates qui font partie de l'élite et monsieur et madame tout le monde qui est en bas de l'échelle. En conclusion ces idées communes sinon semblables est lié au formatage culturel lié à la formation de ces élites.

Marc Crapez : Les mêmes idées, c’est vite dit. Le PS est assez statique, partisan de la réforme douce. L’ex-UMP hésite, entre routine centriste et projet plus audacieux. Ce sont les réalités de la politique locale qui poussent les Républicains au consensus, voire à la connivence avec la gauche. Démagogie et clientélisme incitent à accepter la gabegie pour acheter la paix sociale.

En évoquant le "budget de la culture et des associations", Xavier Bertrand a joué sur une corde sensible, celle de l’emploi parapublic, de la course aux places aux prébendes. Cette démagogie électoraliste paye d’un prix exorbitant ses convoitises. L’UMP devrait réclamer une réduction du nombre de fonctionnaires et des crédits de transfert (subventions aux lobbys sociaux). Surtout dans une région gangrenée par le clientélisme. Un membre de la commission des Finances du Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, l’UMP Jean-Pierre Bataille, révéla l’existence de "59 chefs de projets complexes", dont personne ne savait à quoi ils servaient.

Si l'on compare à 1945, ces élus n'étaient-ils pas plus dans l'action et l'idéologie qu'aujourd'hui ? Le redoutable orateur et acteur politique a-t-il été remplacé par le simple gestionnaire ?

Stéphane Rozès : Le champ des possibles en 1945 était ouvert. Chacun pouvait se disputer dans l'idée d'un avenir meilleur, et la France pouvait alors se projeter dans l'espace et le temps.

Depuis plusieurs décennies, la projection de la France s'effectue à travers une Europe dont les politiques prétendent pouvoir fusionner les peuples à partir d'une politique économique unique. Evidemment, cela a amené à une déresponsabilisation des hommes politiques, qui pouvaient pointer du doigt l'Europe comme initiateur des politiques menées -pour le meilleur et pour le pire-, et c'est ainsi que le sommet de l'Etat s'est transformé en une machine technique où les hommes politiques se sont davantage polarisés sur le comment plutôt que sur le pourquoi.

Marc Crapez : Il y a eu un esprit de 1945. Une certaine idée de république sociale. Une volonté de modernisation. Un souci de garantir de nouveaux droits. Et de faire un effort de reconstruction. Mais l’idée d’un pacte communisto-gaulliste résulte d’un propos de circonstance de Malraux. En réalité, il s’agissait pour De Gaulle de neutraliser et d’avoir l’œil sur une force subversive insurrectionnelle qui ne voulait pas rendre les armes dont l’avait dotée la Résistance. Donc, l’idée d’avancer ensemble est une fable. À une autre échelle, le bilan de l’Union européenne est d’ailleurs mitigé.

Isabelle Grand : A mon avis on n'est plus du tout dans le même contexte que celui de 1945. De fait, on est dans un monde beaucoup plus ouvert qui rend le pouvoir du politique beaucoup plus limité qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis les années 1980 on est rentré dans un système mondialisé. Aujourd'hui, si une grande entreprise mondiale qui décide de délocaliser, ce ne sera pas le pouvoir politique qui pourra l'en empêcher.

La différence est moins perceptible pour le citoyen qui en attend toujours autant. Même si en 1945 on avait davantage l'impression que le chef d'Etat avait réellement du pouvoir, ce qui est moins le cas aujourd'hui.

On l'observe dans l'abstention des jeunes. Il y a surement une part de désillusion quant au rôle et au pouvoir du politique. Et ce d'autant que ce soit les gouvernements de gauche ou de droite, ils ont l'impression qu'on ne fait rien pour eux, notamment sur la question du chômage. Il n'y a pas de différence entre le PS et LR. La mondialisation a privé en quelque sorte le politique de ses outils pour agir. En tout cas ces outils sont désenclavés dans un tel monde globalisé. La politique monétaire en est l'exemple parfait. Les politiques français n'ont plus la main dessus. En 1945, il y avait plus de libertés au niveau national en termes de possibilités de politiques économiques.

Cela signifie-t-il que pour nos politiques il n'y a plus de défis ?

Stéphane Rozès : Les défis sont là, nous l'avons vu cet été avec le dossier grec. Les gouvernements sont enclavés dans des politiques monétaires qui, nonobstant leur efficacité, tiennent ensemble les pays pour deux raisons : la monnaie unique est l'une des seules structures qui symbolise le rêve européen, et la seconde c'est que les marchés financiers sont sans cesse à l'affût de pays en difficulté.

Le PS et LR peuvent-ils réussir à se mettre d'accord sur des grands sujets d'avenir ou doit-on se contenter d'alliance au cas par car autour de mesurettes ?

Stéphane Rozès : Les Français aspirent à l'union nationale, mais dans le même temps, les Français dans leur diversité sociale, c'est aussi la dispute commune. La mécanique d'assemblage des Français, c'est la dispute commune. Les Français aspirent au commun mais pour y arriver, il faut le déploiement de la dispute nonobstant les différences objectives entre les programmes de droite et de gauche.

Isabelle Grand : Je pense qu'il y a des solutions pour le politique de sortir de cette logique de mesurette et de reprendre le pouvoir. A titre d'exemple, le pouvoir politique peut notamment avoir la main sur une forme de régulation du mode de fonctionnement de l'économie capitaliste. On est allé très loin dans une forme de capitalisme financier mais cette tendance est en train de basculer. On commence à repenser l'économie au niveau de l'entreprise. Et cela pourrait redonner une place à l'homme dans la société. C'est peut-être dans cette évolution plus globale que les courants idéologiques pourraient retrouver de la place. On pourrait faire alors le parallèle avec 1945. A cette époque, à la suite des années 1930 et du Front Populaire, on observe un basculement vers un modèle capitaliste favorable aux salariés. Dans les années 1980, il bascule vers une logique plus financière où l'actionnaire prime sur la salarié. Aujourd'hui, on repart sur une autre évolution possible, en revenant vers une plus grande prise en compte de l'humain.    

Les trente à quarantaine dernières années ne démontrent-elles pas la stérilité de plus en plus grande des élus et des idées politiques ?

Stéphane Rozès : C’est-à-dire que les grands projets dépendent de la capacité à projeter le pays dans l'avenir. Cela a été un processus progressif quand la phrase de François Mitterrand "la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir", il n'y a plus eu pour une majorité de Français de concrétisation crédible.

Isabelle Grand : La stérilité vient, selon moi, de l'élargissement de l'environnement dans lequel on agit. A partir du moment où l'environnement du chef de l'Etat est national alors que l'environnement de l'entreprise est mondial, alors il y en a un qui n'est plus encastré dans l'autre. La question de la délocalisation des entreprises en est l'exemple le plus criant. Lorsqu'une société ferme, vous ne pouvez rien faire, que ce soit à travers une politique locale ou nationale. La décision est prise par le siège et les conséquences par contre sont à gérer par le politique au niveau social.

Marc Crapez : C’est plutôt l’absence de conviction qui est fautive. Qui a prôné : "La restauration de l’État au-dessus des corps intermédiaires" ? Non, ce n’est pas le Sarkozy soi-disant droitier de la campagne présidentielle de 2012, c’est Raymond Aron…

La sclérose française résulte notamment des idées de gouvernance et de norme douce (soft law) comme nouvelles formes de régulation. Cet ensemble de déclarations, recommandations et directives, asphyxie l’économie et atrophie la politique. Les pouvoirs publics multiplient les effets d’annonce ostentatoires, avec des textes de portée normative douteuse qui ne sont pas des solutions pérennes.

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