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Rôle sexuel, rôle social : le sondage qui montre que le quotidien des couples d’hommes gay n’échappe pas aux rapports inégalitaires observés chez les hétéros
©TED ALJIBE / AFP

Tous les mêmes

François Kraus

François Kraus

François Kraus est Directeur des études politiques au département Opinion de l'Ifop.

 

 

 

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Atlantico : Selon un sondage et une analyse réalisé par l'IFOP pour Garçon magazine, vous constatez un lien entre "domination sexuelle" et "domination sociale". Quels sont les éléments de l'étude qui permettent d'aboutir à une telle conclusion ? 

François Kraus : Il faut dans un premier temps remonter aux représentations antiques de l'homosexualité, notamment à l'époque romaine durant laquelle les rapports entre hommes étaient admis à la condition qu'ils s'incluent dans des schémas sociaux distincts et encadrés : un homme relativement âgé et libre avec un autre homme plus jeune, esclave ou affranchi. Dans ce cadre-là, les rôles d'actifs et de passifs étaient des rôles sociaux acceptés socialement. Transgresser ce schéma traditionnel constituait alors une remise en cause du statut d'Homme plus largement. Cette configuration a longtemps fonctionné dans "l'acceptabilité" des rapports entre hommes mais également dans les représentations plus générales que les gens pouvaient avoir à l'égard des couples de gay. Pour ces couples-là, il était courant de penser que les rapports et les rôles sexuels joués par chacun pouvaient également traduire des rôles sociaux différents en terme par exemple de disparité d'âge, de revenu entre les deux membres du couple amoureux.

Aujourd'hui, cette corrélation entre ces deux types de domination est extrêmement compliquée à cerner dans la mesure où la proportion d'hommes en couple avec un autre homme est relativement faible. Il nous faudrait sans aucun doute explorer ces données sur des échantillons plus solides que ceux dont nous disposons aujourd'hui. Toutefois, ce que montrent ces résultats, c'est que l'on ne peut connaitre la réelle causalité : est-ce la domination sociale qui implique une domination sexuelle ou est-ce la domination sexuelle qui entraine une domination sociale ?

Or, ce que nous montre l'enquête, c'est  que la division des rôles sexuels entre hommes reflète encore des disparités dans d’autres champs de la vie conjugale comme le niveau de revenus ou la répartition des tâches ménagères. Il existerait toujours une relation entre la position de type pénétrant // dominé qu'il existe dans les relations sexuelles et des positions sociales dominantes (le fait d'être âgé, aisé, d'occuper des postes à responsabilité). Les actifs occupent plus régulièrement des positions sociales élevées et qualifiées alors que les passifs ont quant à eux des positions –culturellement et socialement parlant – imprégnées de clichés intemporels mais qui se voient toutefois confirmés par cette étude.  

Pour illustrer, une variable concrète que représente la répartition des tâches ménagères au quotidien est flagrante. Confirmant des études qualitatives sur le sujet, cette enquête montre en effet que les couples de même sexe ont tendance à répartir les tâches domestiques au sein du foyer en fonction des rôles perçus comme masculins ou féminins adoptés dans leur sexualité. Ainsi, les hommes majoritairement actifs sont deux fois plus nombreux chez les hommes faisant moins de tâches ménagères que leur conjoint (44%) que chez les hommes en faisant beaucoup plus (25%). A l’inverse, les hommes majoritairement passifs sont surreprésentés dans les rangs des hommes faisant beaucoup plus de taches que leur partenaire (49%), comme si la part de féminité accolée à la passivité sexuelle favorisait la prise en charge des tâches domestiques perçues comme féminine.

Or, dans les couples gays, il existe des difficultés pour les hommes qui ont tous deux été socialisés dans un genre identique, c’est-à-dire un rapport aux tâches ménagères similaires dans lequel on considère que certaines d'entre elles sont perçues plus féminines que d'autres. Cela peut poser un problème dans la mesure où si en plus d'avoir un rôle passif "perçu" comme féminin ou dominé se retrouve également socialement dans une position subalterne.

Dans le cadre des témoignages des études qualitatives, on ressent parfois un certain malaise et un certain mécontentement des hommes qui sont dans cette situation car ils cumulent des positions symboliques de domination. Ce qui peut être perçu comme une forme de domination sexuelle est aussi une forme de domination sociale lié d'un côté à des facteurs de revenus économique mais aussi lié à un statut incarné au sein du couple qui rendrait  le pénétrant l'actif dans un rôle de type masculin et rendrait de fait le passif dans un rôle de type féminin.

Ainsi, même si les couples de même sexe s’inscrivent dans un modèle conjugal plus égalitaire dans la mesure où les deux membres de la dyade amoureuse occupent la même place dans la hiérarchie de genre, leur quotidien conjugal n’échappe pas aux rapports inégalitaires observés dans tous les couples.

Cependant, votre sondage indique également que les relations ente couples du même sexe ne se limitent pas à une polarité de genre dominant-dominé ou actif-passif. En effet, la versatilité semble être la situation la plus courante. Vous constatez pourtant un fort attachement à l'organisation des relations entre hommes autour du modèle actif/passif. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Ce que démonte dans un premier temps cette enquête ce sont les idées reçues sur le fait que dans la communauté homosexuelle il n'existerait que des actifs ou que des passifs, et qu'il y aurait de fait une distinction nette avec les couples hétérosexuels. C'est une nouveauté, on voit que selon que l'on soit homosexuel ou bisexuel, on a une très forte proportion de versatilité dans les rapports entre hommes, les rapports sexuels ne s'inscrivent pas ni dans une dualité, ni dans une bipolarité totale ce qui est symptomatique de l’idéal de sexualité égalitaire et réciproque qui imprègne désormais aussi bien les couples hétérosexuels qu’homosexuels.

Il n'empêche qu'il subsiste un certain attachement à une "rigidité" de genre dans les rapports sexuels masculins. Par exemple, chez les hommes n’ayant joué qu’un seul rôle dans leur vie - soit 25% des gays et des bis ayant eu des rapports avec des hommes -, la disposition à changer de statut reste minoritaire : moins d’un tiers (31%) se disent disposés à changer un jour de statut et ceci quel que soit le rôle qu’ils sont habitués à jouer (29% chez ceux ayant été uniquement passifs, 32% chez ceux ayant été uniquement actifs). Il persiste donc encore et toujours un attachement à ces statuts, certes minoritaires au regard de la norme mais toutefois non négligeable.

Ce clivage actif / passif structure donc encore les rapports. Les gays assument plus facilement la passivité que les actifs, ce qui est moins vrai pour les bisexuels et encore moins pour les hétérosexuels. Cela est sans doute dû au fait que la part de féminité associé à la passivité sexuelle est plus facilement admissible par des personnes qui assument leur homosexualité avec le stigmate social que cela implique. Alors que pour des hétérosexuels qui distinguent leur identité en disant "je suis un hétérosexuel mais il peut m'arriver d'avoir des rapports avec de hommes" et bien cela représente pour eux une remise en cause trop forte de leur image qui serait susceptible de discréditer leur qualité d'homme aux yeux des autres.

Quelles sont les principales différences observées en comparaison des couples hétérosexuels ? 

Les rares données disponibles montrent que les couples de mêmes sexes s'inscrivent dans un modèle conjugal plus égalitaire dans la mesure où les deux membres du couple occupent la même place dans la hiérarchie du genre et  surtout qu'ils ont été sociabilisé en vertu des mêmes principes et des mêmes normes liés à leur genre. Il faut ensuite prendre en considération la différence qu'il existe entre les couples de femmes et les couples d'hommes, puisque la notion de passif et d'actif est, chez les femmes, généralement moins facteur de structuration du couple et porteuse de moins de traductions symboliques  et formelles. En revanche chez les hommes, ce clivage, cette variable est conséquemment structurante et présente dans le choix du conjoint.

Nier que ce critère est un critère fondamental du choix du conjoint  par les couples de même sexe c'est nier la réalité, et c'est d'ailleurs sur ce point que certaines critique ont été émises à l'égard de cette enquête.

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