Le RPR y avait survécu, l'UMP explosera-t-elle en vol sur la question européenne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'UMP est très divisée sur l'Union, à quelques semaines des élections européennes.
L'UMP est très divisée sur l'Union, à quelques semaines des élections européennes.
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Eurodivorce

Le Figaro a publié une tribune, cosignée par Laurent Wauquiez, Henri Guaino et 37 députés UMP, qui appelle à "changer d'Europe". Le principal parti d'opposition apparaît de plus en plus divisé idéologiquement sur ce thème à quelques semaines des élections européennes.

Atlantico : Alors que jeudi 25 avril Jean-François Copé a lancé la campagne de l'UMP pour le scrutin du 25 mai, dès le lendemain, une quarantaine d’élus UMP, emmenés par les frondeurs Henri Guaino et Laurent Wauquiez, se sont désolidarisés de la ligne officielle du parti. Quels points communs cette situation a-t-elle avec la période fratricide qu'a connue le RPR en 1993 ?

Jean Garrigues : La droite française est traversée par une généalogie souverainiste. Elle s'est manifestée notamment par la voix de Philippe Seguin. Elle s'était déjà manifestée lorsque Valéry Giscar d'Estaing était président et que Jacques Chirac pour marquer la différence des gaullistes par rapport à la droite libérale et européiste avait lancé son fameux appel de Cochin. On voit bien qu'à la prise de position d'Henri Guaino se situe dans l'héritage d'une tradition souverainiste au sein de la famille gaulliste. Pour Henri Guaino, l'héritage de Philippe Seguin est très clairement revendiqué.

Le contexte a évolué et la grande nouveauté par rapport à l'époque de Maastricht, voir même avec la situation de 2005 et du référendum pour un traité pour une constitution européenne, c'est l'élargissement.

On voit très bien qu'un des points centraux de l'argumentaire de Laurent Wauquiez, c'est justement de s'élever contre les dérives suscitées par l'Europe des 28. De surcroît, nous sommes dans une période où le FN s'est accaparé le thème de l'anti-européisme. Il est évident que le positionnement d'un leader de la droite libérale tient compte de l'opinion négative que les Français se font aujourd'hui des contraintes que l'euro et la bureaucratie bruxelloise font peser sur les politiques publiques. Wauquiez s'agrège à cette tradition souverainiste et il y amène son propre constat sur les dérives de l'Europe à 28.

Néanmoins, on constate un point commun avec le programme de l'UMP qui propose une Europe à géométrie variable. Si l'on sort des critiques de Jean-François Coppé sur le populisme de Laurent Wauquiez, il y a des points communs. 

Christophe Bouillaud :La situation du début des années 1990 était différente au sens où le référendum sur le Traité de Maastricht avait été l'occasion d'une division largement prévisible sur la question européenne au sein du RPR. Charles Pasqua et surtout Philippe Séguin avaient assumé le leadership du "non" contre le "socialiste europhile" François Mitterand. Aujourd'hui, la sortie de Henri Guaino et de Laurent Wauquiez vient à un moment où les députés et sénateurs UMP ont accepté massivement en 2012 le dernier traité européen en date, le TSCG, dont les conséquences logiques en matière de politique économique pour la France et l'Europe sont exactement celles qu'ils dénoncent dans leur appel publié dans le Figaro. D'après ce TSCG, les finances publiques d'un pays de la zone euro doivent être  à l'équilibre, donc en pratique, il faut faire de l'austérité, de la rigueur, du sérieux, on peut appeler cela comme on veut, mais ce que fait la France et l'Europe en matière de politique économique n'est autre que ce que la ligne des Traités européens prévoit (et encore, en principe, cela devrait être encore plus rigoureux, sérieux, austère).  Cela m'étonnerait beaucoup que parmi les 40 "frondeurs" il n'y ait aucun élu UMP ayant voté le TSCG quand il est passé en 2012 devant la représentation nationale. La grande différence est donc qu'au début des années 1990, les "euro-dissidents" du RPR avaient une sorte de virginité, ils refusaient une évolution qui n'avait pas encore eu lieu ; aujourd'hui, les "euro-frondeurs" ont eux-mêmes accepté d'avaliser ce système. Qui conseillait Nicolas Sarkozy quand il est président de la République et quand il signe le TSCG? Un certain Henri Guaino, dont je ne me souviens pas qu'il ait menacé de s'immoler dans les salons de l'Elysée en guise de protestation. Qui a été, si je ne me trompe pas, ministre des Affaires européennes sous Sarkozy, sinon Laurent Wauquiez ?

Juan Pedro Quinonero : Dans l'UMP il y a une division d'opinion très forte mais ce n'est pas comparable avec la situation qu'a connue le RPR. Le RPR était moins divisé et a éclaté pour des raisons historiques très diverses et le rôle de l'Europe n'était pas essentiel. L'UMP est née comme un projet de parti unique, ce qui était dès le départ utopique. La tendance est donc à l'éclatement. L'UMP comme parti unique fonctionnait grâce à la présence de Nicolas Sarkozy comme leader charismatique.

Les lignes de fractures au sein du parti étaient-elles les mêmes en 1993 ? Quelle vision défendaient-elles ? Etaient-elles davantage structurées ? Quel diagnostic était fait des problèmes structurels de l'Europe et notamment de l'euro ? 

Jean Garrigues : A l'époque, Seguin, Pasqua et de Villiers incarnaient une vision souverainiste de tradition gaullienne. De l'autre côté, la vision partagée par Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac était très européiste. Ils avaient renoncé à l'héritage souverainiste. Il y avait une dissidence des souverainistes face aux deux droites, souverainiste et libérale. Le positionnement d'un Wauquiez n'appartient pas à cette tradition souverainiste qu'incarne en revanche un Henri Guaino.

Ce qu'exprime Wauquiez n'est plus tout à fait le souverainisme à la Seguin. C'est une révision des structures européennes sans aller vers la conception d'une Europe des Etats nation. Le type d'alternatives que propose Wauquiez est une pensée originale même s'il est certain qu'il y a une partie de positionnement politique et une volonté de manifester son ton personnel. N'y a-t-il pas là une critique nouvelle et constructive de l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui ? Cette critique ne reprenant pas la tradition souverainiste française n'est-elle pas une forme d'ouverture ? A droite comme à gauche on a l'impression qu'il est impossible de remettre en cause un certain nombre de dogmes.

Christophe Bouillaud : Le gaullisme historique, puis le RPR après l'appel de Cochin en 1978, avaient toujours eu une ligne dubitative pour ne pas dire plus sur le fédéralisme européen. Cela correspondait d'ailleurs au positionnement de ses élus au sein du Parlement européen en marge des "fédéralistes" du Parti populaire européen (PPE). Quand un Pasqua ou un Séguin se mettent en travers des desseins européens de Mitterand, ils reviennent en quelque sorte aux sources du parti dans une critique de la légitimité d'un Jacques Chirac qui s'est lui, certes mollement, rallié à l'idée européenne. La critique était structurée au nom de la souveraineté inaliénable de la France par le refus d'une monnaie unique qui ne pouvait manquer de mener à un Etat européen unique à terme, mais aussi par des considérations économiques.  Il faut aussi rappeler à l'époque les débats sur l'idée de "citoyenneté européenne" avec le droit de vote des Européens aux élections locales et européennes. Les termes du débat actuel (souveraineté, économie, citoyenneté) étaient donc déjà posés, mais la différence est qu'aujourd'hui nous sommes, si j'ose dire, au milieu des ruines. La convergence économique promise par la création de la zone Euro ne s'est pas produite, et, inversement, tout indique que la politique économique des Etats membres de la zone euro se trouve vraiment sous une forte contrainte, pour ne pas dire plus, européenne. L'Etat européen de la zone Euro a commencé en pratique à exister surtout depuis 2010 (crise grecque), mais les conséquences de son existence sont essentiellement perceptibles dans les divergences internes à l'ensemble géographique ainsi créé, dans la crise économique profonde des Etats du sud de l'Eurozone, dans les conséquences à gérer des folies bancaires passées en Irlande ou en Espagne, dans la méthode de la "dévaluation interne" pour regagner de la "compétitivité". Les souverainistes du début des années 1990 avaient anticipé les questions de souveraineté et de solidarité entre Européens, mais ils n'avaient pas vu, comme tout le monde d'ailleurs, les divergences intra-européennes qu'allaient créer cette monnaie unique.

Les frondeurs d'aujourd’hui signent un texte souverainiste. Sont-ils sur la ligne Seguin ? Leur analyse relève-t-elle d'une réelle vision des problèmes techniques de la structure européenne, ou s'agit-il d'une forme de "romantisme souverainiste" ?

Jean Garrigues : En ce qui concerne à la fois les analyses et solutions proposées par Wauquiez, elles ne s'inscrivent pas dans le souverainisme. Sa critique se veut technique sur les fonctionnements de l'Europe et les problèmes inhérents à la bureaucratie des 28, à l'absence d'une politique volontariste en matière de redressement économique. Là encore si l'on regarde ce que disait Philippe Seguin dans son discours du 5 mai 1992 contre Maastricht, son argumentaire n'était pas non plus du simple romantisme. Les critiques étaient également assez claires et précises sur les dangers que peuvent constituer un espace unique de la monnaie. 

Christophe Bouillaud : J'aurais tendance effectivement à voir dans leur texte une forme de "romantisme souverainiste", pour ne pas dire d'électoralisme de dernière minute, lié à la montée en puissance du FN sur les thèmes européens. En effet, leur réveil qui se situe à moins d'un mois des européennes, alors que tous ces problèmes qu'ils dénoncent à plus ou moins juste titre sont évidents depuis 2008-2010, ne peut que les faire soupçonner d'électoralisme. Certes, il n'est jamais trop tard pour bien faire... Sur le plan de l’analyse des problèmes de l'Union européenne, il m'a semblé en les lisant qu'ils étaient dans la pure illusion s'ils croient vraiment à ce qu'ils écrivent ! Rien de ce qu'ils prônent n'est désormais vraiment réalisable dans le cadre de l'Union européenne actuelle, et surtout pour un pays comme la France, membre de la zone euro. Ce sont des promesses de Gascons. Et ce n'est pas un petit bout de la droite française qui va refaire l'Europe actuelle. Il y a comme on dit en jargon de spécialiste une "dépendance au sentier". C'est trop tard pour tout changer dans cette Europe-là.  Ces gens me font penser du coup aux monarchistes français après 1880, leur heure est définitivement passé, les prétendants au trône ont trop tergiversé, mais ils veulent encore y croire. L'UE est construite ainsi, on ne peut plus rien y  changer sur le fond. Par contre, la France a toujours le droit d'utiliser l'article 50 du Traité sur l'Union européenne qui organise la sortie d'un pays de l'UE. On peut toujours reconstruire autre chose, mais avec quels partenaires? Avec  la Hongrie de Viktor Orban, pays bien connu pour sa francophilie depuis le Traité de Trianon? Sans doute pas avec l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne.

Juan Pedro Quinonero : J'ai un grand respect pour la pensée romantique et je préfère utiliser les termes "tendance archaïque". L'analyse de l'UMP aujourd'hui est archaïque car personne n'est capable de le résoudre seul. La dernière chose que l'Europe a faite ensemble c'est le pacte de stabilité, le problème aujourd'hui est d'être capable de trouver un compromis. L'analyse qui est proposée ne correspond pas à la réalité, cette vision de l'Europe ne correspond pas à la situation des marchés de capitaux.

Quelles lignes s'affrontent concrètement au sein du parti ? Les clivages actuels sur la question européenne sont-ils aujourd'hui suffisamment profonds pour faire exploser l'UMP ?

Jean Garrigues : D'une part, il est toujours très difficile d'anticiper l'avenir mais je pense que ce serait un suicide politique que les parlementaires de l'UMP ne sont pas prêts à faire. Et ce, en raison des contraintes en vue des élections européennes et législatives et présidentielle. Pourtant, le paradoxe est que cette fracture est essentielle dans le débat politique aujourd'hui et elle partage aussi bien l'espace de la droite que de la gauche. Et la logique et la clarté politiques voudraient que ces divergences fassent éclater la droite et la gauche. Mais les paramètres de la bipolarisation et de la présidentialisation françaises font qu'il est peu vraisemblable que nous assistions à une scission. Cette contraction apparaît aux yeux de l'opinion publique incompréhensible. Réunir dans un même clan Alain Lamassoure et Henri Guaino est aussi absurde que de réunir Manuel Valls et Marie-Noëlle Lieneman.

Christophe Bouillaud : Sur ce point, il faudrait savoir jusqu'à point les auteurs de ce texte sont sérieux. A lire le texte du Figaro, on pourrait dire qu'à ce stade, ils n'ont plus rien à faire ensemble avec le reste de l'UMP.

Juan Pedro Quinonero : Non, je crois qu'il n'y pas de scission en vue de l'UMP sur la question. Cette élection se fera et ensuite les eurodéputés rejoindront peut-être des groupes parlementaires différents.

Selon quels scénarios ? Un split avec des petits partis euro sceptiques, une bascule de l’UMP entière vers l’euro scepticisme avec des petits partis pro européens ?

Jean Garrigues : Nous l'avons bien vu avec l'affrontement Coppé/Fillon, il n'y a pas beaucoup de marge de manœuvre pour ce type de scissions. Mais s'il y a bien un point commun à toute la classe politique, c'est l'eurocritique. Elle prend des formes très divergentes, allant de l'euroscepticisme prudent jusqu'à l'europhobie du FN.  

Christophe Bouillaud : L'histoire passée montre que toutes les scissions aussi bien du RPR ou de l'UDF à droite que du PS à gauche ont très mal fini électoralement : avec le scrutin majoritaire à deux tours, la majorité restante du parti central peut faire payer le prix fort aux dissidents pour leur éloignement. L'exemple du RPF à droite reste sans doute encore dans les esprits. Il serait donc logique que les dissidents actuels évitent de se faire sortir de l'UMP. En plus, nous sommes à quelques semaines des européennes, une liste des UMP-dissidents, si elle arrivait à se présenter en toute dernière minute, n'aurait même pas le temps de se faire connaître des électeurs, et irait sans doute à l'échec. Or avoir des élus européens constitue une bonne base pour constituer un nouveau parti en France (tout en ne garantissant pas le succès à terme à en juger des précédents), mais il aurait fallu y penser avant, dès l'automne 2013. Cela m'étonnerait par ailleurs que toute l'UMP bascule vers l'euroscepticisme : je ne vois pas un Alain Juppé ou un Jean-Pierre Raffarin dans ce rôle. En outre, il existe un électorat de centre-droit qui apprécie l'Europe pour son libéralisme économique, sa liberté d'aller et de venir, et sa monnaie stable, il existe surtout un monde économique français très largement dominé par les partisans de l'intégration européenne ! En fait, cela serait pousser la majorité de l'UMP et l'UDI-Modem à converger encore plus, et ce bloc là contrôlera toujours la majorité-pivot du centre-droit.

A qui profite cette division au sein de l'UMP ? L'UDI ou le FN peuvent-ils en tirer un bénéfice ?

Jean Garrigue : Dans la conjoncture actuelle on est tenté de se dire que cela profite à ceux dont les propositions sont clairement affirmées comme le Front national. La famille centriste qui a apporté l'idée européenne incarnée par l'UDI aujourd'hui pourrait bénéficier d'un report des déçus de l'UMP. A priori, la position de Laurent Wauquiez est eurocritique plutôt que souverainiste. Elle donne un peu de grain à moudre à l'europhobie du Front national. 

Christophe Bouillaud :A première vue, cette division de l'UMP risque surtout de profiter au FN, et peut-être à DLR (Debout la République). En effet, le discours des "frondeurs" revient à admettre que l'Europe actuelle a tout faux (sur l'économie, sur la libre circulation, etc.), c'est ce que disent justement à droite le FN et DLR (et aussi le "Front de gauche" à gauche, au moins sur l'économie, mais ce ne sont pas les mêmes électeurs qui sont concernés par ces discours). Cela revient à dire : "bonnes gens de France, votez pour les listes de l'UMP et de nos collègues fédéralistes un peu idiots tout de même, mais apprenez en passant que le FN ou DLR ont largement raison en fait ! Excusez-nous, nous nous sommes trompés jusqu'ici dans nos choix européens, mais attention nous sommes intelligents et prudents, et le FN est tout de même bête et méchant ! Quant à DLR, eh bien, bon on trouve le maire de Yerres pas très sympathique, et en plus il a tout compris avant nous, ce qui est tout de même vexant. Donc braves électeurs, votez UMP et élisez le fédéraliste Lamassoure !" Je caricature à peine, heureusement que le camp d'en face (le PS) est à peu près dans le même piètre état, avec un candidat européen Martin Schulz  qui se déclare hautement contre l'austérité  en Europe (comme un certain François Hollande d'ailleurs... au printemps 2012) et un gouvernement  Valls qui prétend faire du "sérieux" budgétaire.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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