Habile Albion
Le Royaume-Uni, empêcheur de macronner l’Europe en rond ?
L’accord de défense et d’assistance militaire mutuelle signé entre le Royaume-Uni et la Suède ce mercredi en révèle largement autant sur l’état et l’avenir de l’Europe que les résultats de la conférence citoyenne qui y était consacrée
Dimitri Oudin
Rodrigo Ballester
Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester
Atlantico : Le Royaume-Uni et la Suède ont signé un accord de défense et d’assistance militaire mutuelle le 11 mai dernier. Alors que le sujet de la défense européenne est un vrai serpent de mer, faut-il voir dans cet accord bilatéral une forme d’échec de l’Union européenne dont les etats membres préferent encore les accord bilateraux?
Rodrigo Ballester : Pas forcément ou, en tout cas, pas seulement. Il faut y voir surtout à quel point la Suède, un petit pays traditionnellement neutre qui ne fait pas partie de l’OTAN, géographiquement proche de la Russie, se sent menacé par cette-dernière. Comme la Finlande, d’ailleurs, qui a justement sollicité officiellement cette semaine son entrée dans l’OTAN, ce qui a déjà fait réagir Moscou. En ce moment, ces deux pays sont profondément vulnérables et cherchent des alliances militaires à tout va, ce qui est bien normal. Ils furent, par exemple, les premiers à déclencher l’article 42 paragraphe 7 du Traité de l’UE, une sorte de clause de défense mutuelle entre pays de l’Union qui était restée lettre morte depuis sa rédaction et que personne ne sait vraiment comment appliquer ni ce qu’elle implique.
Le Royaume-Uni, quant à lui, cherche peut-être à faire valoir son rang de puissance militaire pour augmenter son influence sur l’échiquier européen, mais cet accord correspond surtout à sa volonté affichée de faire face à la Russie. Londres fait partie des « faucons » européens et soutient ouvertement Kiev, y compris militairement, et pourfend Putin avec virulence. Cet accord s’inscrit dans cette vision stratégique.
Et finalement, cette alliance (dont les détails ne sont pas encore dévoilés) pourrait être tout à fait compatible avec les velléités d’une coopération européenne renforcée en matière de défense. Une politique, par ailleurs, sur laquelle Londres et Bruxelles ont déjà affiché leur volonté de travailler ensemble, même avant la guerre.
Donc, surtout dans les circonstances actuelles, n’y voyons pas un échec de l’Europe, mais plutôt une réaction de survie face à une menace.
A-t-on surestimé, avec le Brexit, la parte d’attractivité du Royaume-Uni sur le plan économique, politique et diplomatique ? Le pôle d’influence incarné par le Royaume-Uni pourrait-il nuire aux nouvelles ambitions européennes notamment portées par Emmanuel Macron en proposant un chemin alternatif ?
Rodrigo Ballester : Il est prématuré de dire si le Brexit fut une bonne ou une mauvaise décision. Ceci dit, ce n’est en rien l’apocalypse commercial, économique et politique que certains prédisaient avant qu’il n’advienne ! Ceux qui pensaient qu’il n’y avait point de salut pour les britanniques en dehors de l’UE en ont pour leur compte.
Il est également vrai que le Royaume-Uni y a perdu des plumes notamment au niveau commercial et, surtout au regard de sa cohésion interne. En effet, le Brexit a alimenté les désirs d’indépendance de l’Écosse et surtout, le protocole frontalier entre l’Irlande et l’Irlande du Nord envenime les relations avec Bruxelles, mais surtout change les équilibres politiques sur cette île. Il y a quelques jours, le Sinn Fein (ancien bras politique de l’IRA) a gagné les élections en Irlande du Nord, un tsunami politique impensable avant le Brexit ! Le départ du Royaume-Uni de l’Europe pourrait-il affecter son intégrité territoriale ? Et bien peut-être, et c’est en soi très inquiétant.
Donc, faire de la Grande-Bretagne le centre d’un pôle qui pourrait concurrencer l’Union Européenne, c’est une exagération. Comment pourraient-ils, par exemple, proposer les avantages d’un marché commun de 450 millions d’habitants ? Mais ce Royaume-Uni qui n’a pas coulé après le Brexit, loin de là, aura incontestablement une influence sur le reste de l’Europe surtout en ces temps de remodelage géopolitique.
Emmanuel Macron vient de lancer l’idée d’une communauté politique européenne qui irait au-delà des Etats membres et qui inclurait tant l‘Ukraine que le Royaume-Uni. Pour mieux neutraliser ces-derniers ?
Après la présentation de la conclusion de la Conférence sur l’avenir des nation, 13 des 27 pays disent leur désaccord avec une refonte des traités, y compris des cercles concentriques voulus par Emmanuel Macron. Dans quelle mesure est-ce révélateur de visions diamétralement alternatives à celle de la France sur le sujet européen ?
Rodrigo Ballester : D’emblée, remettons les pendules à l’heure : cette « Conférence sur l’avenir de l’Europe » a été une vaste mascarade. Elle s’est déroulée dans la plus grande indifférence générale et dans l’opacité habituelle mais, oh surprise, elle a comme par hasard accouché des résultats dont rêvaient ses plus ardents promoteurs ! Rappelons-tout de même que le document final, que certains vendent comme un nouveau testament européen, est une collection d’idées choisies à la carte d’une plateforme virtuelle et d’un panel de huit-cents citoyens dont les débats ont été chapeautés, et de près, par les institutions européennes. Faire croire que ces citoyens lambdas ont un avis précis sur des sujets d’initiés comme l’initiative législative du Parlement européen, c’est directement malhonnête.
La vision de la France (ou celle de Macron et de cette soi-disant conférence œcuménique ?) n’est en effet pas celle de la majorité des autres pays (13 pour l’instant, probablement plus). Vision ? Le mot est pompeux. Ces pays n’ont surtout aucune envie d’ouvrir la boite de Pandore et de se lancer dans des débats théoriques aux antipodes des inquiétudes des citoyens, ni dans un marathon de ratifications et de référendums alors que la guerre gronde et que la crise économique s’annonce dantesque.
Franchement, est-ce le meilleur moment pour parler de cercles concentriques, d’unanimité, de conditionnalité ? C’est Byzance qui débat du sexe des anges en plein siège Ottoman ! Donc oui, un grand nombre de pays ne partagent absolument pas le messianisme grandiloquent du Parlement Européen, de la Commission et d’Emmanuel Macron et c’est, en soi, une nouvelle bien rassurante.
Clément Beaune a dénoncé, il y a quelques jours, les pays qui “cherchent à tout bloquer”. La France a-t-elle du mal à accepter que sa vision de l’Europe ne soit pas partagée par tous ?
Rodrigo Ballester : Une allusion à peine voilée aux suspects habituels de d’Europe centrale. Sauf que de nombreux autres pays, notamment le Danemark, l’Irlande ou les Pays-Bas (les deux premiers étants des « bloqueurs en série » des réformes des traités) sont également opposés à ces initiatives. Il n’y a absolument aucun consensus sur une refonte des traités, non plus d’ailleurs sur les sujets qui devraient y être abordés. Dans ce contexte, ce genre d’invectives arrogantes et démagogiques (et si typiquement « macroniennes ») sont absolument contre-productives.
Et d’ailleurs, est-ce la vision de la France ou du gouvernement français ?
La solution la plus sage serait d’enterrer au plus vite cette refonte des traités qui pourrait littéralement bloquer l’UE pendant des années dans le moment le plus inopportun possible et que l’UE se guide que par une seule boussole : le pragmatisme et la résolution concrète des inquiétudes de tous ses citoyens, pas seulement les 800 qui ont participé à cette mascarade de conférence !
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