Le Royaume-Uni, empêcheur de macronner l’Europe en rond ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Boris Johnson la Première ministre suédoise Magdalena Andersson se promènent dans les jardins de la résidence de retraite du Premier ministre suédois à Harpsund, en Suède, le 11 mai 2022.
Boris Johnson la Première ministre suédoise Magdalena Andersson se promènent dans les jardins de la résidence de retraite du Premier ministre suédois à Harpsund, en Suède, le 11 mai 2022.
©Frank Augstein / POOL / AFP

Habile Albion

L’accord de défense et d’assistance militaire mutuelle signé entre le Royaume-Uni et la Suède ce mercredi en révèle largement autant sur l’état et l’avenir de l’Europe que les résultats de la conférence citoyenne qui y était consacrée

Dimitri Oudin

Dimitri Oudin

Dimitri Oudin est Membre du Bureau National du Mouvement Européen France, Président du Mouvement Européen Marne.
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Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Le Royaume-Uni et la Suède ont signé un accord de défense et d’assistance militaire mutuelle le 11 mai dernier. Alors que le sujet de la défense européenne est un vrai serpent de mer, faut-il voir dans cet accord bilatéral une forme d’échec de l’Union européenne dont les etats membres préferent encore les accord bilateraux? 

Dimitri Oudin : Les accords bilatéraux, que ce soit dans le cadre de la Défense ou dans tout autre, sont tout simplement plus simples à mettre en oeuvre que dans un cadre supranational, composé de 27 États, où la règle de l'unanimité prévaut dans de nombreux domaines. A fortiori lorsqu'il s'agit d'un sujet régalien. La décision de la Suède, qui, rappelons le, est à ce jour hors de l'OTAN, s'inscrit dans le contexte bien particulier que nous connaissons, et qui nécessite une réaction urgente face à la menace que fait peser la Russie dans cette région en particulier, et en Europe en général.
La question du renforcement de la Défense européenne, voire de la création d'une armée supranationale, s'inscrit dans un temps -très- long, expliqué en partie par l'échec de la Communauté Européenne de Défense dans les années 1950. La crise Russo ukrainienne fait émerger des embryons de coopération renforcée qui peut laisser entrevoir de réels espoirs d'intégration européenne plus poussée dans ce domaine. Mais dont la concrétisation et la systémisation seront forcément plus longues.
Au fond, le bilatéralisme n'est pas concurrent du renforcement de la Défense européenne. Les deux ne répondent tout simplement pas à la même temporalité de la décision publique.

Rodrigo Ballester : Pas forcément ou, en tout cas, pas seulement. Il faut y voir surtout à quel point la Suède, un petit pays traditionnellement neutre qui ne fait pas partie de l’OTAN, géographiquement proche de la Russie, se sent menacé par cette-dernière. Comme la Finlande, d’ailleurs, qui a justement sollicité officiellement cette semaine son entrée dans l’OTAN, ce qui a déjà fait réagir Moscou. En ce moment, ces deux pays sont profondément vulnérables et cherchent des alliances militaires à tout va, ce qui est bien normal. Ils furent, par exemple, les premiers à déclencher l’article 42 paragraphe 7 du Traité de l’UE, une sorte de clause de défense mutuelle entre pays de l’Union qui était restée lettre morte depuis sa rédaction et que personne ne sait vraiment comment appliquer ni ce qu’elle implique. 

Le Royaume-Uni, quant à lui, cherche peut-être à faire valoir son rang de puissance militaire pour augmenter son influence sur l’échiquier européen, mais cet accord correspond surtout à sa volonté affichée de faire face à la Russie. Londres fait partie des « faucons » européens et soutient ouvertement Kiev, y compris militairement, et pourfend Putin avec virulence. Cet accord s’inscrit dans cette vision stratégique. 

Et finalement, cette alliance (dont les détails ne sont pas encore dévoilés) pourrait être tout à fait compatible avec les velléités d’une coopération européenne renforcée en matière de défense. Une politique, par ailleurs, sur laquelle Londres et Bruxelles ont déjà affiché leur volonté de travailler ensemble, même avant la guerre. 

Donc, surtout dans les circonstances actuelles, n’y voyons pas un échec de l’Europe, mais plutôt une réaction de survie face à une menace.

A-t-on surestimé, avec le Brexit, la parte d’attractivité du Royaume-Uni sur le plan économique, politique et diplomatique ? Le pôle d’influence incarné par le Royaume-Uni pourrait-il nuire aux nouvelles ambitions européennes notamment portées par Emmanuel Macron en proposant un chemin alternatif ?

Rodrigo Ballester : Il est prématuré de dire si le Brexit fut une bonne ou une mauvaise décision. Ceci dit, ce n’est en rien l’apocalypse commercial, économique et politique que certains prédisaient avant qu’il n’advienne ! Ceux qui pensaient qu’il n’y avait point de salut pour les britanniques en dehors de l’UE en ont pour leur compte. 

Il est également vrai que le Royaume-Uni y a perdu des plumes notamment au niveau commercial et, surtout au regard de sa cohésion interne. En effet, le Brexit a alimenté les désirs d’indépendance de l’Écosse et surtout, le protocole frontalier entre l’Irlande et l’Irlande du Nord envenime les relations avec Bruxelles, mais surtout change les équilibres politiques sur cette île. Il y a quelques jours, le Sinn Fein (ancien bras politique de l’IRA) a gagné les élections en Irlande du Nord, un tsunami politique impensable avant le Brexit ! Le départ du Royaume-Uni de l’Europe pourrait-il affecter son intégrité territoriale ? Et bien peut-être, et c’est en soi très inquiétant.

Donc, faire de la Grande-Bretagne le centre d’un pôle qui pourrait concurrencer l’Union Européenne, c’est une exagération. Comment pourraient-ils, par exemple, proposer les avantages d’un marché commun de 450 millions d’habitants ? Mais ce Royaume-Uni qui n’a pas coulé après le Brexit, loin de là, aura incontestablement une influence sur le reste de l’Europe surtout en ces temps de remodelage géopolitique. 

Emmanuel Macron vient de lancer l’idée d’une communauté politique européenne qui irait au-delà des Etats membres et qui inclurait tant l‘Ukraine que le Royaume-Uni. Pour mieux neutraliser ces-derniers ?

Dimitri Oudin : Le Brexit a fait bouger le centre de gravité géopolitique du Royaume Uni, qui conserve, toujours, une sphère d'influence importante hors de l'Union Européenne, au travers du réseau du Commonwealth en particulier. Mais qu'elle soit ou non dans l'Europe au sens institutionnel, la Grande Bretagne reste de facto liée géographiquement aux mêmes enjeux de sécurité que ses voisins européens. Et à ce titre , elle reste la seule puissance nucléaire européenne aux côtés de la France, lesquelles sont toutes deux membres de l'OTAN, l'institution de coopération et de solidarité militaires qui n'est certes pas exclusivement européenne, mais certainement la plus aboutie operationnellement.
Autrement dit le Brexit a peut être affecté le Royaume Uni dans sa coopération militaire, notamment au niveau industriel , avec les autres pays européens dans le cadre de l'Union Européenne, mais cette coopération se poursuit de facto dans d'autres cadres. Comme l'OTAN, sur un schéma multilatéral très traditionnel, compte tenu des intérêts -et des menaces- stratégiques communs. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'accord bilatéral Suède -Royaume Uni s'est accompagné de façon concomitante d'une demande d'intégration de la Suède dans l'OTAN...
Or, si les intérêts des États Européens portent certains d'entre eux à renforcer leur coopération avec le Royaume-Uni, compte tenu de l'urgence de la situation, ces mêmes Etats n'ont pas intérêt à étendre cette coopération dans d'autres domaines, qu'ils soient économiques ou financiers en particulier, puisqu'ils sont en concurrence avec le Royaume-Uni.
La coopération avec le Royaume Uni relève donc d'une convergence d'intérêts conjoncturels plutôt que d'une remise en question structurelle des équilibres européens.

Après la présentation de la conclusion de la Conférence sur l’avenir des nation, 13 des 27 pays disent leur désaccord avec une refonte des traités, y compris des cercles concentriques voulus par Emmanuel Macron. Dans quelle mesure est-ce révélateur de visions diamétralement alternatives à celle de la France sur le sujet européen ? 

Dimitri Oudin : On peut aussi le problème dans l'autre sens et voir les choses du bon côté  : 14 Etats , soit plus de la moitié des pays de l'UE , ne sont pas défavorables à la proposition de refondre les traités ! C'est déjà une part significative d'entre eux, qui n'aurait peut être pas été aussi importante avant les crises de la COVID et de la Guerre en Ukraine. 
De plus, la liste des signataires tend à confirmer la vision d'une Europe en cercles concentriques. Ce ne sont pas les pays que l'on pourrait imaginer au centre du premier cercle, c'est à dire les adhérents historiques enclins à favoriser l'approfondissement de l'intégration européenne, qui ont manifesté leur opposition, mais ceux du second ou du troisième cercle, où la coopération serait moins intégrée...
Il y a presque un côté performatif dans la déclaration de ces treize États, essentiellement d'Europe Centrale et Orientale. Tout en bloquant la proposition de la réforme des Traités, elle en démontre toute son acuité, et la réalité d'une Europe à plusieurs vitesses qui nécessite d'être repensée pour permettre aux Etats qui souhaitent poursuivre leur intégration de le faire... 

Rodrigo Ballester : D’emblée, remettons les pendules à l’heure :  cette « Conférence sur l’avenir de l’Europe » a été une vaste mascarade. Elle s’est déroulée dans la plus grande indifférence générale et dans l’opacité habituelle mais, oh surprise, elle a comme par hasard accouché des résultats dont rêvaient ses plus ardents promoteurs ! Rappelons-tout de même que le document final, que certains vendent comme un nouveau testament européen, est une collection d’idées choisies à la carte d’une plateforme virtuelle et d’un panel de huit-cents citoyens dont les débats ont été chapeautés, et de près, par les institutions européennes. Faire croire que ces citoyens lambdas ont un avis précis sur des sujets d’initiés comme l’initiative législative du Parlement européen, c’est directement malhonnête. 

La vision de la France (ou celle de Macron et de cette soi-disant conférence œcuménique ?) n’est en effet pas celle de la majorité des autres pays (13 pour l’instant, probablement plus). Vision ? Le mot est pompeux. Ces pays n’ont surtout aucune envie d’ouvrir la boite de Pandore et de se lancer dans des débats théoriques aux antipodes des inquiétudes des citoyens, ni dans un marathon de ratifications et de référendums alors que la guerre gronde et que la crise économique s’annonce dantesque. 

Franchement, est-ce le meilleur moment pour parler de cercles concentriques, d’unanimité, de conditionnalité ? C’est Byzance qui débat du sexe des anges en plein siège Ottoman ! Donc oui, un grand nombre de pays ne partagent absolument pas le messianisme grandiloquent du Parlement Européen, de la Commission et d’Emmanuel Macron et c’est, en soi, une nouvelle bien rassurante.

Clément Beaune a dénoncé, il y a quelques jours, les pays qui “cherchent à tout bloquer”. La France a-t-elle du mal à accepter que sa vision de l’Europe ne soit pas partagée par tous ? 

Rodrigo Ballester : Une allusion à peine voilée aux suspects habituels de d’Europe centrale. Sauf que de nombreux autres pays, notamment le Danemark, l’Irlande ou les Pays-Bas (les deux premiers étants des « bloqueurs en série » des réformes des traités) sont également opposés à ces initiatives. Il n’y a absolument aucun consensus sur une refonte des traités, non plus d’ailleurs sur les sujets qui devraient y être abordés. Dans ce contexte, ce genre d’invectives arrogantes et démagogiques (et si typiquement « macroniennes ») sont absolument contre-productives. 

Et d’ailleurs, est-ce la vision de la France ou du gouvernement français ?

 La solution la plus sage serait d’enterrer au plus vite cette refonte des traités qui pourrait littéralement bloquer l’UE pendant des années dans le moment le plus inopportun possible et que l’UE se guide que par une seule boussole : le pragmatisme et la résolution concrète des inquiétudes de tous ses citoyens, pas seulement les 800 qui ont participé à cette mascarade de conférence !

Dimitri Oudin : Ce n'est pas tant le problème de partager ou non la vision de la France qui, sur la question de la réforme des Traités, n'est pas franco française, comme indiqué plus haut. Clément Beaune exprime là une frustration partagée par tous les Européens convaincus qui constatent, avec une certaine impuissance, que les Etats qui souhaitent renforcer leur intégration ne peuvent pas le faire, du fait de l'opposition d'autres États qui, de toute manière, n'auraient pas participé de la même façon au processus... 
C'est l'ensemble des mécanismes d'approbation européens qu'il faudrait reconsidérer, et dont les règles, notamment celles de l'unanimité, constituent aujourd'hui des blocages à des décisions qu'elles étaient censées légitimer.

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