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Le révélateur Whirlpool : mais quelle est maintenant la vision économique d’Emmanuel Macron ?
©ERIC FEFERBERG / AFP

Promesse

Sa visite à l’usine Whirlpool avait été l’un des moments clés de sa campagne. Le président de la République est aujourd’hui rattrapé par la contradiction entre ses promesses de pompier social et ses envolées plus libérales.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Emmanuel Macron va rencontrer aujourd'hui les salariés de Whirlpool auxquels il avait promis en 2017, entre les deux tours de la présidentielle, de trouver un repreneur pour le site. 

Une des promesses d'Emmanuel Macron pendant l'élection présidentielle était de s'occuper du contexte macroéconomique pour que les Français qui en ont la volonté puissent s'en sortir. Cette promesse est-elle encore au cœur de son action et de ses discours ? 

Sébastien Laye : En premier lieu, il convient de constater que si cette promesse était au coeur de son seul ouvrage, Revolutions, puis de la campagne, les détails en sont restés parcellaires, le candidat revendique même pendant longtemps de ne pas avoir de programme. L'idée force était cependant logique: une promesse sociétale qui ne passait pas par le traitement social du chômage en France ou même un quelconque volontarisme économique ("la croissance j'irai la chercher avec les dents" disait Sarkozy), mais par le retour de la croissance. A ce sujet, il a bénéficié au début du quinquennat du retour de la croissance en réalité effectif depuis 2016. Il a pu ainsi, pour la première fois à gauche, présenter les forces naturelles du marché, débloquées supposément par quelques réformes, comme un moyen de traiter les problèmes économico-sociaux de la France. S'il avait été élu en 2012, il n'aurait certainement pas tenu le meme discours. En 2016-2017, avec un cycle économique enfin positif, un candidat issu de la gauche pouvait enfin se permettre une forme de social libéralisme. Parce que les Français avaient besoin d'un modèle, il a mis en avant le modèles scandinave, celui de la flexisécurité. Or cette approche s'effondre sous le poids des réalités: l'affadissement de la croissance (2% en 2017, aujourd'hui plutôt 1% en tendance), la stagnation du chômage, le peu d'impact des réformes inspirées de la Scandinavie. Celà n'est pas pour moi une grande surprise (critique de ce programme dès Mai 2017). Je me suis bien vite attelé à montrer pourquoi le modèle scandinave n'était pas adapté à la France et échouerait dans notre pays. Le volet "sécurité" de ce modèle est mal aisé à appliquer en France car la main d'oeuvre est déjà bien formée, et le problème vient essentiellement d'un manque d'activité et de demande finale couplé à une faiblesse de l'investissement productif. Il a été interprété par la population comme un "moins disant" social pour faire passer la pilule des réformes sur le droit du travail et  l'assurance chômage. Aujourd'hui, Macron a abandonné toute vision grandiloquente ou prophétique en la matière. En réalité depuis l'affaire Benalla, il ne s'est plus prononcé sur sa vision de l'économie, laissant la priorité à d'autres champs. Le gouvernement a été chargé de l'exécution des réformes, sans réelle implication du président qui s'est recentré sur le symbolique, la communication, et le régalien. 

Michel Ruimy : Emmanuel Macron a prononcé une phrase qui devrait faire parler : « En ce moment, je trouve que notre pays est trop négatif », ajoutant qu’il ne pouvait tenir un discours « vachement déprimé » en retour. Le président a aussi reconnu porter comme un « boulet » la baisse de cinq euros des APL décidée au début de son mandat mais demande à ce que l’on regarde tout le travail effectué. Un discours qui sera sans doute difficile à tenir ce vendredi lors de sa rencontre avec les ex-salariés de Whirlpool, à qui il avait promis il y a deux ans un emploi avant que le repreneur ne soit placé en liquidation judiciaire.

Notre président Macron promet de « mener le combat sans relâche ». Ceci est un des classiques de la Politique. Il faut inscrire cette stratégie dans une perspective d’une part, réactive face aux évènements - non prévisibles - géopolitiques, économiques… et d’autre part, prospective. C’est ce que les Français demandent aux « élites » en place : résoudre leurs problèmes quotidiens et avoir une vision qui les projettent dans un monde futur où ils se sentiront le mieux possible. Ceci est valable quelle que soit la coloration du Président. 

La promesse d’Emmanuel Macron - et celle de tous ses prédécesseurs - tient toujours mais ne l’engage pas dans la réalité car le contexte évolue et il est toujours beau jeu d’invoquer tel ou tel évènement pour nous affirmer que « le gouvernement suit le dossier et fait et fera son maximum pour arriver à une solution satisfaisante ». 

Mais, plus largement, pour notre Président, il s’agit de revenir sur les conquêtes sociales et de réduire les solidarités traditionnelles. En cela, il s’inscrit dans la dimension profondément révolutionnaire du processus capitaliste. D’où le nom qu’Emmanuel Macron a donné à son livre, lançant sa campagne en 2016, « Révolution » … Ainsi, le processus, décrit par Schumpeter, de « destruction créative » vaut aussi dans le domaine social et moral. Le nom contemporain de ce processus est le « progressisme macronien » qu’ont très bien décrit les anciens plus proches conseillers du Président Ismaël Emelien et David Amiel dans leur livre « Le progrès ne tombe pas du ciel ». Cette démarche signifie une mise sous tension de la société française et une entrée dans une ère de conflits.

Remémorons-nous qu’à la fin des années 1990, Lionel Jospin avait affirmé, à propos de la fermeture d’une usine Michelin, « L’Etat ne peut pas tout ». La Gauche le lui avait reproché. À tort, puisque le Premier ministre parlait d’une entreprise privée. N’oublions pas aussi que la sagesse populaire nous enseigne que « les promesses n’engagent que ceux qui y croient » …

A contrario, il ne s'est jamais présenté comme un "pompier" sur le plan social. Même s'il souhaitait l'Etat en a-t-il encore les moyens ?

Sébastien Laye : Il est exact de dire que s'il a pu tenter de capitaliser sur certains désastres industriels durant la campagne, il n'a jamais rien eu d'un Montebourg avec sa vision industrielle volontariste, et s'est meme inscrit en faux contre lui. Sa vision sur le sujet est justement antinomique de celle des souverainistes. Macron, qui est peu libéral in fine sur les questions intérieures liées à l'entreprise (pas de baisse massive des impôts ou des charges durant le quinquennat), est par contre acquis à la mondialisation libérale et à la pleine circulation des capitaux telle que prônée par Bruxelles ou Berlin. Dans cette vision, un désastre comme celui de Whirlpool est un nécessaire accident pour profiter de la mondialisation libérale. Ce qui ne veut pas dire qu'il est insensible à la détresse sociale et a pu , sur certains dossiers, activer diverses aides de l'Etat pour rendre moins douloureuses ces fermetures d'usines. Mais dans le paradigme mondialiste du macronisme, elles sont acceptées. Par ailleurs, cette pensée économique a toujours mis en exergue la start up technologique ou la société de services. Il y a, pour qui a lu Revolutions, une sorte de lutte des classes entre secteurs qui préfigurait la politique de Macron: thuriféraire de la start up ou des sociétés de services, il fustige la vieille industrie (forcément archaïque et polluante, ce qui ne correspond pas du tout aux avancées industrielles et robotiques actuelles soit dit en passant...) et l'immobilier. Les adversaires sont donc désignés: l'industrie lourde, la construction, le bâtiment. Or cela représente la majorité des emplois créées en France. En économie, le macronisme est une fantasmagorie: l'économie sur notre territoire, diversifiée, ne ressemblera jamais à celle de Londres ou Paris. Sur l'industrie, il est vrai que l'Etat ne peut revenir à un monde où il dirigeait des usines: mais il n'y aurait pas autant de fermetures s'il était stratège en la matière. Or l'Etat français, en matière de fiscalité et de recherche fondamentale, est incapable de créer le bon environnement pour notre industrie. Par ailleurs, n'en déplaise aux libéraux pur jus, l'Etat est un acteur économique à part entière: il est déficient quand il cherche à gérer directement des entreprises, mais il est un investisseur important qui a toujours alimenté le carnet de commandes de l'industrie française: or l'investissement public, recherche comprise, a été divisé par deux en pourcentage du PIB depuis trente ans et demeure ridicule par rapport au niveau américain par exemple. 

Michel Ruimy : Emmanuel Macron est-il passé, en deux ans, d’une société de la « bienveillance », vantée pendant sa campagne présidentielle, à un gouvernement de l’impuissance ? Et ce, au moment où les citoyens expriment, de toutes les manières et dans toutes les enquêtes d’opinion, leur défiance à l’égard des institutions, de leurs représentants et de la parole politique. Face aux problèmes actuels, quels que soient leur nature, l’« appel » lancé par le Président à la société civile, invitée à se substituer, dans une certaine mesure, aux missions de l’Etat, loin d’apaiser, risque d’accentuer encore cette défiance, et d’inquiéter les Français davantage encore, s’il en était besoin.

Quelle conclusion en tirer, sinon le sentiment que l’exécutif, ces temps-ci, ne maîtrise plus rien, ou peu de choses, comme l’a montré le « retard à l’allumage » du gouvernement dans l’incendie de Rouen ou le camouflet infligé par le Parlement européen à Sylvie Goulard, la candidate choisie par notre Président ? Bien sûr, on peut penser que la toute-puissance de l’Etat n’est qu’une illusion dans les démocraties modernes, mais elle est entretenue par les responsables politiques eux-mêmes... À commencer par Emmanuel Macron qui ne manque pas une occasion de suggérer qu’il s’inscrit dans la lignée des de Gaulle, Pompidou ou Mitterrand, et dans la continuité de la tradition de la Vème République qui a instauré la primauté d’un exécutif fort. 

Cependant, à quoi sert la « verticalité » du pouvoir, si ce n’est pas pour incarner la puissance et la force des institutions ? Si ce n’est pas pour restaurer la confiance des Français ? Si ce n’est pas, surtout, pour les rassurer ?

Ni libéralisme, ni politique sociale : la politique d'Emmanuel Macron sur un plan économique est-elle encore claire ? Que provoque chez les Français l'absence de lisibilité ? 

Sébastien Laye : On ne sort de l’ambiguïté qu'à son propre détriment disait le cardinal de Retz. Refusant les catégorisations idéologiques au nom de sa vision oxymorique des choses, il ne choisit pas et n'explicite pas. In fine, cela donne, idéologiquement, une bouillie incompréhensible, et pratiquement, une déception dans les résultats. L'Etat a besoin d'avoir une ligne claire sur ces sujets et de s'y tenir pendant cinq ans. Comme Hollande, qui a mené deux politiques diamétralement opposées avant et après 2014, il ne fixe pas de cap réel si ce n'est, comme indiqué supra, celui de l'acceptation de la mondialisation libérale. Pour un souverainiste libéral comme moi, cette abdication aux mantras de Bruxelles ou du FMI est curieuse et contre productive. Non seulement elle ne donnera pas de résultats, mais elle blesse la fierté nationale. Les Français ne l'accepteront pas et elle accentue leur déprime au moment où Macron doit mobiliser les forces vives du pays face au ralentissement de la croissance mondiale. Gageons, en fin tacticien, qu'il va encore changer son fusil d'épaule avant la fin du quinquennat, surtout si une récession devait survenir. Mais les Français sont las d'un tel manque de conviction chez les politiques: un discours clair et constant en économie est nécessaire non seulement pour avoir des résultats sur le terrain, mais aussi pour entraîner les Français, et sur ce point, Macron est d'ores et déjà démonétisé pour 2022.

Michel Ruimy : Le manque de lisibilité de l’action politique d’Emmanuel Macron impatiente les classes moyennes supérieures. En fait, ce qui est marquant, depuis quelque temps, est que les Français cherchent à comprendre ce qu’est le macronisme, quelles sont ses convictions profondes… ? En outre, les « sorties » d’Emmanuel Macron touchent le sens de l’action du gouvernement à un moment où les gens cherchent du sens à l’action politique. C’est bien ce qui se joue actuellement : la politique menée est-elle au fond une nouvelle édition du clivage habituel Gauche - Droite ou y a-t-il une identité spécifique liée au macronisme ?

Pourtant, la population française semble se polariser dans la mesure où les lignes de clivage ont tendance aujourd’hui à se superposer et non plus à se croiser. Les différences de revenus, de niveaux de diplômes, de lieux d’habitation… dessinent désormais deux mondes antagonistes, y compris sur le plan politique, ce qui était beaucoup moins le cas à l’époque du clivage Gauche - Droite. 

Jusqu’en 2012, ce qui faisait voter à Gauche était souvent le fait d’avoir un bon niveau de diplôme et des revenus modestes, et pour la Droite, grosso modo, c’était l’inverse. Aujourd’hui, on se retrouve dans le contexte du référendum de 2005 : il y a, d’un côté, des personnes qui cumulent beaucoup d’atouts, patrimoniaux, intellectuels, etc. et sont optimistes, ce que j’appellerai le « bloc élitaire » et d’un autre, le « bloc populaire » composé de celles qui ne possèdent rien et cultivent une vision plus négative de l’existence. Ce qui donne une structuration de l’espace politique en deux pôles que l’on retrouve dans la rue, où on peut observer d’une part, le « monde de la réussite », et de l’autre, « celui des Gilets jaunes ». 

Comme Raymond Aron l’avait maintes fois souligné, la période 1848 - 1851 a été un véritable laboratoire de formes politiques. En trois ans, la France a connu une révolution victorieuse, une insurrection populaire et sa répression, la première élection d’un président de la République au suffrage universel, des crises parlementaires et, finalement, le coup d’État qui met fin à la IIème République. Les contemporains de ses mouvements ont été dans l’obligation d’inventer de nouvelles solutions aux problèmes sociaux et institutionnels qu’ils rencontraient. 

La période actuelle est donc particulièrement propice pour observer l’articulation entre forces sociales et formes politiques.

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