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Jean Pisani-Ferry a remit son rapport "Quelle France dans dix ans" à François Hollande mercredi 25 juin.
Jean Pisani-Ferry a remit son rapport "Quelle France dans dix ans" à François Hollande mercredi 25 juin.
©Reuters

L'éternelle esquive

Jean Pisani-Ferry a remis son rapport "Quelle France dans dix ans" à François Hollande mercredi 25 juin. S'il tente d'émettre un diagnostic sur les raisons d'une croissance française en panne, il évite, au fil des 240 pages, un dilemme pourtant crucial : celui de poursuivre l'austérité ou attribuer de nouvelles prérogatives à la BCE pour la relance et l'emploi.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Le mercredi 25 juin, Jean Pisani-Ferry remettait à François Hollande son rapport intitulé "Quelle France dans dix ans ? – Les chantiers de la décennie". Ce rapport a pour objectif de tracer une voie pour la France à horizon 2025, et pour cela il dresse tout d’abord un constat dans une partie intitulé :

Renoncer à la croissance ou repenser la croissance ?

" La croissance est en panne. Nous ne savons plus s’il faut œuvrer à son retour ou nous passer d’elle. Depuis six ans, la croissance moyenne de l’économie française a été de 0,3 % par an. Pour un Français de moins de 30 ans, la nouvelle normalité, c’est la stagnation. Nombre de pays européens se trouvent dans une situation voisine, certains connaissent bien pire : ils termineront la décennie nettement plus pauvres qu’ils ne l’ont commencée. "

Un constat simple et factuel, qui ne peut être que partagé. Mais le rapport Pisani-Ferry va plus loin, il indique les causes de cette "panne" :

"Cette situation, sans précédent depuis 1945 au moins, a trois causes. La première, commune à l’ensemble des pays avancés, tient à l’ampleur de l’endettement public et privé accumulé depuis une quinzaine d’années. Les processus de désendettement sont lents, particulièrement en période de faible inflation, et ils pèsent sur le rythme de la reprise. La deuxième raison est européenne : nous avons collectivement mal géré la crise financière, en engageant le désendettement public sans avoir au préalable apuré les bilans bancaires, et nous avons laissé la crise de la zone euro prendre plus d’ampleur qu’elle n’aurait dû. La troisième raison se retrouve dans la plupart des pays européens : depuis cinq ans les gains de productivité marquent le pas."

Un diagnostic qui a déjà été opéré au Japon à la fin des années 90 et qui s’est avéré la source de politiques inefficaces. Un diagnostic qui est également celui posé par François Hollande depuis le début de son quinquennat avec le succès qu’on lui connaît. Parce que les trois causes qui sont ici présentées comme étant responsables de la stagnation économique ne sont que des symptômes. Concernant la dette, Les Etats Unis et le Royaume-Uni sont parvenus à redresser leur croissance malgré un taux d’endettement supérieur à celui de l’Europe. La seconde cause évoquée, la situation des "bilans bancaires" c’est-à-dire le manque de soutien des banques au financement des entreprises est également invalidée, notamment par un rapport publié par l’INSEE le mardi 24 juin, intitulé "Les conditions de crédit ne semblent pas amplifier le cycle économique en France" et qui conclue très simplement "le marché du crédit ne constituerait pas un frein à la croissance de l’économie française". Le troisième point, relatif à la productivité, est également à souligner. Car sans investissement, la productivité ne risque pas de décoller, et l’investissement a totalement stagné au cours des 6 dernières années. La faible productivité française n’est que la conséquence des faibles anticipations de croissance. Sans foi dans l’avenir, pourquoi investir ?

Encore une fois, ce qui est ici présenté comme des causes ne sont que des conséquences du manque de croissance. Et sur cette base fragile, le rapport poursuit en indiquant :

"Les organisations internationales retiennent un scénario médian aux alentours de 1,5 % l’an. (…) Il résulte d’une part des stocks de dette existants, qui peuvent durablement peser sur la demande, de l’autre – c’est le plus important lorsqu’on raisonne à dix ans – des politiques structurelles qui agissent sur les déterminants profonds de l’offre".

Encore une fois, c’est une politique de l’offre qui est ici proposée, ce qui ne vient que conforter l’exécutif. Une note de bas de page vient le préciser "On ne reprend pas ici le débat entre politique de l’offre et politique de la demande. Pertinente à court terme, cette discussion ne l’est guère dans une perspective décennale. Quand on raisonne à moyen terme, on met inévitablement l’accent sur l’offre. Cela ne signifie pas que le pilotage de la demande soit indifférent."

Le pilotage de la demande ne serait donc pas "indifférent" mais, selon les auteurs, il ne serait pas pertinent à long terme. Au regard de l’évolution de la demande intérieure française au cours des dernières années, il y a de quoi se poser des questions sur la validité du constat :

INSEE. Evolution de la demande intérieure par rapport à la tendance pré crise. France

Au passage, il n’est peut-être pas inintéressant de dire que ce gouffre de la demande est précisément le diagnostic opéré dans des pays où la croissance et l’emploi sont de retour. Malgré le décrochage de l’économie américaine en ce premier trimestre 2014, le pays est parvenu à créer 600 000 emplois depuis janvier. Parce que les agents économiques ont confiance dans l’avenir.

Le problème est qu’aborder "la demande" signifierait d’aborder la question de la politique menée par la Banque centrale européenne. Et ce sujet ne semble pas être la priorité du rapport Pisani-Ferry. Ce débat-là n’est pas possible en Europe, alors mieux vaut essayer de faire autrement. Une politique de l’autruche. Plutôt que de s’attaquer aux causes de la crise qui frappe l’Europe depuis 2008, la poursuite de la lecture apporte de grands moments de bonheur :

 "Or, le consensus sur la croissance s’est érodé" car  "certains jugent que l’expansion économique n’est plus souhaitable, en raison de ses effets sur l’environnement, et argumentent que réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre et arrêter la dégradation de la biodiversité exige que l’on renonce à faire de la croissance un objectif à part entière". Une nouvelle annotation permet d’en savoir plus sur ces partisans de la décroissance "Selon l’Eurobaromètre de décembre 2013, l’environnement et le climat ne figurent qu’au douzième rang parmi les préoccupations des Européens. Seuls 5 % d’entre eux (et la même proportion de Français) les tiennent pour la question la plus importante".

La croissance ne fait pas "consensus" pour 5% de la population, les 95% autres (qui la voient comme une priorité peut être en raison de leur volonté de trouver un emploi ?) ne suffisent manifestement pas à "faire un consensus".

Pourtant "La croissance a par ailleurs des vertus. Outre qu’elle facilite la soutenabilité des finances publiques et sociales, elle permet de financer les investissements qui aboutiront à réduire notre empreinte sur l’environnement.".  

La croissance aurait  "des vertus", il est probable que les auteurs font ici plus référence aux emplois crées qu’à la biodiversité. Mais le temps des révélations arrive :

"La croissance a aussi pour mérite de traduire un effort collectif de projection dans un avenir meilleur et de démentir la logique du jeu à somme nulle, où les gains des uns sont nécessairement les pertes des autres."

240 pages, plus de 400 contributeurs, pour en arriver là. Un rapport de consensus centriste social-démocrate mou, perlé de références au vivre ensemble, à la diversité (bio aussi), à la croissance jolie, à la "République qui unit", au fédéralisme européen qui chante.

Et éviter le seul sujet de fond. Quelle politique européenne ? Poursuivre l’austérité menée actuellement ou pratiquer le bras de fer qui s’impose au niveau européen pour une Banque centrale qui agit, comme sa consœur américaine, au profit de l’emploi et de la croissance ? Mais ce débat-là n’a pas vocation à être traité dans un rapport voué à s’empiler sur ses prédécesseurs.

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