Le rap a 50 ans et voilà comment il a conquis la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pionnier et père fondateur du hip-hop, le DJ Kool Herc, en 2018.
Le pionnier et père fondateur du hip-hop, le DJ Kool Herc, en 2018.
©ASTRID STAWIARZGETTY IMAGES NORTH AMERICA Getty Images via AFP

Anniversaire

En un demi-siècle, le hip hop - né officiellement le 11 août 1973 dans le Bronx - a traversé les frontières et s’est diversifié, notamment par le rap. Ce genre musical est désormais le plus écouté en France : il représente plus de 65% des écoutes sur les plateformes de streaming.

Michel  Bampély

Michel Bampély

Michel Bampély est docteur en sociologie de la culture à l'EHESS. Ses recherches portent sur les pratiques artistiques et les industries culturelles. Après avoir collaboré avec des maisons de disques comme Universal, Sony ou EMI, il dirige actuellement le label Urban Music Tour.
Sa thèse en sociologie, sous la direction de Jean-Louis Fabiani est intitulée "Sociologie des cultures urbaines : de la prise en charge des cultures urbaines par les industries créatives et les pouvoirs publics à leur transmission pédagogique dans l'enseignement supérieur".

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Pascal Comas

Pascal Comas

Pascal Comas est trader pour son propre compte. Passionné de musique, il collabora avec de grandes maisons de disques à la sortie des albums d'IAM, Massive Attack... Auteur d'un pamphlet intitulé Pensées à Rebrousse-Poil, il fut également co-directeur d'une grosse start-up suédoise.

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Atlantico : Cette année, le hip hop fête ses 50 ans. Sa date de naissance est fixée au 11 août 1973, à New York. Que s’est-il passé ce soir-là ?

Pascal Comas : L’origine officielle du rap est en effet attribuée à une soirée dans le Bronx le 11 août 1973. Le DJ Kool Herc, qui est considéré comme étant à l'origine du hip hop, a eu l'idée ce soir-là de passer des instrumentaux du même vinyle, en passant d'une platine à l'autre, de manière à étendre les quelques secondes de breakbeat présentes sur un disque de funk. Ça a créé une plage musicale permettant aux artistes de s'exprimer vocalement sur ce fond sonore. C'est pour cela qu’il y a des raisons de faire remonter la naissance du hip hop à cet évènement-là, le 11 août 73. Mais la naissance du hip hop a en fait beaucoup de points d'origine, par exemple le spoken word - ancêtre du slam – de pionners comme les Last Poets ou Gil Scott-Heron. On retrouve aussi des origines du funk dans des enregistrements antérieurs : certaines onomatopées de James Brown, des éléments du jazz... On peut remonter très loin.

Michel Bampély : Le 11 août 1973 est la date qui renvoie à la première block party animée par Clive Campbell a.k.a Dj Kool Herc, au rez-de-chaussée d'un immeuble HLM au 1 520 Sedgwick Avenue, dans le Bronx. Les blocks parties étaient des fêtes de quartier qui réunissaient le voisinage principalement autour d’un DJ. Inspirées des sounds systems jamaïcains, elles connurent une grande popularité dans les années 1970 dans les quartiers du Queens, de Harlem, de Brooklyn et du Bronx.

Kool Herc est l’un des pères fondateurs de la culture hip hop. Il a notamment popularisé la pratique du Djing en faisant durer les séquences rythmiques et de percussions, devenant ainsi l’un des inventeurs du « breakbeat », la pratique du Mcing qui consiste à scander des paroles sur un instrumental et à l’origine du rap. Enfin, les premiers danseurs « b. boys » et « b.girls » effectuèrent leurs pas de breakdance notamment dans les blocks parties. 

En un demi-siècle, le hip hop a traversé les frontières et s’est diversifié, notamment avec le rap. Ce dernier est arrivé en France au tout début des années 80 avec des pionniers comme Rockin’ Squat, du groupe parisien Assassin, ou Akhenaton, du groupe marseillais IAM. Comment le rap est-il arrivé en France ?

Pascal Comas : Parmi les autres pionniers, en plus d’Assassin ou IAM, on peut aussi citer Suprême NTM ou Dee Nasty. Sans oublier le rôle particulier de Radio Nova. Elle a été essentielle dans le déploiement du hip hop en France en donnant un micro à énormément de pionniers du genre : Dee Nasty, Assassin, NTM… A l’époque, un DJ programmateur, Loïc Dury, a donné une tribune à beaucoup d’artistes. Toute la génération Radio Nova a énormément aidé au développement du rap.

Michel Bampély : La France est l’une des premières nations à s’être approprié la culture hip hop américaine. Ce sont les relations entre les pionniers de Paris et New York au début des années 1980 qui ont facilité les échanges culturels. Dès 1982, Jean Karakos, fondateur du label Celluloïd importait en France le catalogue des premiers artistes hip hop américains tels que B-Side, Fab 5 Freddy, Grand Mixer D.St., Phase II, Futura 2000 et Tribe 2. Bernard Zekri, issu à l’origine de la culture punk, a organisé le New York Rap City Tour, une tournée mondiale passant par Paris, Lyon, Metz, Belfort, Mulhouse, Strasbourg, Londres et Los Angeles, réunissant des pionniers du hip hop tels que Afrika Bambaataa, Grand Mixer DXT, le Rock Steady Crew, les Buffalo Girls et leur manager Kool Lady Blue.

Des artistes comme Rockin’ Squat, du groupe parisien Assassin, ou Akhenaton, du groupe marseillais IAM que vous citez, ont également vécu un temps à New York. Ils ont émergé en France notamment avec la diffusion du rap par les radios libres, puis ont connu une véritable notoriété dans les années 1990 avec l’explosion discographique du rap français. L’américanophilie des habitants des quartiers populaires, à la recherche d’une identité culturelle forte, a également favorisé l’appropriation des codes culturels afro-américains. 

On considère la France comme la deuxième terre du rap. C’est le style musical le plus écouté en France : il représente plus de 65% des écoutes totales sur les plateformes de streaming. Quelles sont les raisons de ce succès ?

Michel Bampély : Le rap s’est sans cesse adapté aux nouvelles formes de consommation de la musique mais également à la société du spectacle et du divertissement. Le vinyle, la cassette, le CD, le mp3 et maintenant les plateformes de streaming ont écrit l’histoire sonore du rap. Pendant la crise du disque liée au piratage de la musique, l’industrie musicale doit en partie sa survie au public du rap mais aussi à la musique électronique qui comptabilisent plusieurs milliards d’écoutes. Mais tous les courants et formes du rap n’ont pas forcément suivi cette évolution.

Avec les plateformes de streaming, ce sont des nouvelles générations de rappeurs qui ont émergé souvent plus influencées par la pop ou la world music. Les rappeurs Jul (+ 7 millions de disques vendus) et Ninho (+ 3,6 millions de disques vendus) sont les exemples les plus représentatifs de ces succès discographiques et viraux. Si le rap est le style musical le plus écouté en France, les carrières des rappeurs restent courtes et le plus souvent précaires. 

Pascal Comas : Des raisons de ce succès sont clairement identifiées, comme l'identification des banlieues françaises avec les thèmes du hip-hop américain, les problématiques et l’expression artistique des ghettos noirs américains. Les banlieues françaises ont trouvé leur forme de langage, de communication et de reconnaissance idéales dans le hip hop. Le ghetto américain a toujours été une source d'imitation en France. A Paris, dans les années 1980, dans les premières soirées de hip hop, il y avait énormément de phénomènes de bandes, quelquefois des bagarres générales, qui à mon sens étaient en grande partie une émulation des modèles américains.

La deuxième raison, c'est que la langue française se prête très bien au hip-hop ou au rap par sa musicalité, son rythme et sa tradition poétique. Mélangé à la culture française du verbe, ça a donné un terreau tout à fait propice au développement du rap.

Une troisième raison, qui est moins évoquée, est que le côté bad boy du hip hop avait aussi un terreau favorable en France, où le voyou a toujours été sublimé, en particulier au cinéma. Enfin, la quatrième raison est qu'avant l'arrivée du hip hop, la funk était déjà populaire en France, notamment dans le sud, à Marseille ou à Toulouse par exemple, mais aussi à Paris. Comme le hip hop au début étant essentiellement de la funk avec du verbe par dessus -  tous les premiers breaks des premières productions sont des samples de James Brown et autres artistes funk -, il y avait déjà à la base un genre de musique qui était très populaire en France.

La capacité du rap à renouveler constamment son public est-l’une des raisons de son succès. Comment les rappeurs ont-ils réussi cette gageure ?

Michel Bampély : Pour poursuivre l’analyse de la question précédente, la plupart des rappeurs qui ont connu le succès dans les années 1980, 1990 et les années 2000 ont pratiquement disparu de l’environnement musical qui les a portés aux sommets des classements, des hit-parades et des diffusions radios. Si on reprend les exemples des groupes Assassin ou IAM, ce ne sont pas ces groupes qui comptabilisent le plus d’écoutes aujourd’hui sur les plateformes musicales.

La capacité du rap à se renouveler s’explique surtout par son aptitude à produire de manière récurrente un vivier de nouveaux artistes, de nouvelles productions, de nouvelles manières de concevoir le son, l’image, la mode, le langage et les goûts de la jeunesse. Le rap est par excellence, le miroir de la société de consommation et de ses métamorphoses. C’est la musique, selon moi, qui rend compte des nouvelles formes de consommation de masse, de ses logiques de développement et des inégalités sociales. 

Pascal Comas : Le rap est devenu un art à part entière éternel, comme le jazz, comme la house music, comme d'autres genres musicaux. De ce point de vue-là, il est immortel. À partir du moment où des nouveaux talents naîtront avec quelque chose de différent et d'original, le rap sera toujours là. C'est une forme d'expression qui est extrêmement flexible et se prête à énormément de versatilité, d'adaptations différentes. Dans l'évolution du rap français, on voit d’ailleurs aujourd'hui plusieurs branches, dont malheureusement beaucoup trop d'imitations et de clonage, soit du trap américain, soit des afrobeat nigérians.

Comment le style pourrait-il évoluer ? Va-t-on assister – ou assiste-t-on déjà - à un embourgeoisement du rap, comme ce fut le cas pour le rock ? Va-t-il conforter sa place de numéro dans l’industrie musicale française ?

Michel Bampély : L’embourgeoisement des genres musicaux est un mythe construit par la société médiatique. Parmi les premiers acteurs culturels de la culture hip hop, certains étaient déjà issus de la petite bourgeoisie parisienne. On peut citer Rockin’ Squat, Bernard Zekri, ou les Zulu Queens Sophie Bramly et Laurence Touitou. Dans ma thèse, j’explique également que les enfants de diplomates africains qui avaient les moyens économiques d’effectuer des allers-retours entre Paris et New York, importaient les nouveaux pas de danse en France. Dans la rivalité qui oppose Booba et Rohff, ce dernier reproche au Duc de Boulogne ses origines bourgeoise et l’accuse de s’approprier la culture des quartiers, dont il n’est pas originaire. La culture hip hop comme la culture rock, a toujours brassé des acteurs provenant de couches sociales très diverses contrairement aux idées reçues.

Ce qui a disparu dans le rap français, comme dans le rock français, ce sont les grands textes engagés ou simplement l’engagement politique. On entend peu de nouveaux rappeurs critiquer ouvertement les politiques gouvernementales ou s’opposer à l’extrême-droite, comme le faisaient leurs illustres aînés. L’évolution du rap dans les années à venir est dans l’hybridation, le mélange avec d’autres genres musicaux comme l’afro-beat. Sa place de numéro 1 dans l’industrie musicale française ne peut que me réjouir et le fait de célébrer les 50 ans de la culture hip hop en France laisse de très belles perspectives. 

Pascal Comas : C'est difficile à dire. Peut-être que de nouveaux genres comme l'afrobeat de la nouvelle production nigériane ou d'autres choses prendront le dessus. Dans tous les cas, je pense que le rap aura toujours sa place. Mais c'est aussi une affaire de créativité et je trouve qu’elle est très faible dans le rap français depuis deux décennies. Alors qu’au Royaume-Uni par exemple, le Grime est un sous-genre du rap artistiquement intéressant.

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