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Le président préside, le Premier ministre gouverne, tout est en ordre mais personne n’a encore expliqué où on va ni pourquoi on y va
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Désordre

Le fonctionnement de la gouvernance française est assez bien huilé. Le seul problème est qu’elle a impérativement une obligation de résultats.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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E. Macron et E. Philippe expliquent ce qu‘ils veulent faire, c’est bien, mais oublient de dire pourquoi ils le font et comment. 

La dernière séquence offerte par la gouvernance française a semblé parfaitement huilée. Le président préside et le Premier ministre gouverne. Le président trace la ligne, et le gouvernement fait en sorte de la suivre et d’y accrocher des contenus.  

A priori, tout est clair et conforme aux institutions et tout cela est soutenu par un capital politique que personne ne conteste. 

Avec un diagnostic que la grande majorité des experts et du peuple partage, et des moyens qui paraissent cohérents, la gouvernance n’a plus qu’à mettre en œuvre la politique. Il ne lui suffit presque que d’appuyer sur le bouton, de lancer le logiciel, et normalement la machine politique devrait ainsi fournir les résultats. Normalement parce que s’il n ‘y a pas de résultat, le capital politique ne suffira pas à endiguer la frustration. 

Tout a été bien dans « la saison 1 de la série Macron à l’Elysée », le seul problème c’est que, ni le président, ni son Premier ministre n’ont expliqué le pourquoi des réformes. On va rentrer dans la saison 2, avec deux questions : Où va-t-on et comment y va-t-on ? 

Le monde change, c’est vrai, il faut assumer le changement. Mais une fois qu’on a dit cela, on n’a pas expliqué aux français ce qui allait se passer et pourquoi. 

Le discours du président était « présidentiel » et correspondait à la situation. Il a donc mélangé un peu de libéralisme (la flexibilité et la concurrence porteuse de progrès), un peu de social (consolider les sécurités) et un peu d’Europe qu’il faut restaurer. 

Edouard Philippe est arrivé après pour détailler un plan  de réformes qui avaient été annoncées pendant la campagne présidentielle sur le code du travail, la fiscalité, les institutions, le système de protection sociale, la formation et la sécurité intérieure, avec un agenda précis. 

Il y a évidemment manqué une grande séance de pédagogie sur les conséquences du changement du monde. 

Le monde change parce qu‘il s’est ouvert aux émergents, il change parce que le système d’organisation sur l'ensemble de la planète est fondé sur la concurrence et enfin, il change parce que nous sommes emportés par une révolution technologique aussi importante que celle qui a suivi la découverte de l’électricité au siècle dernier.

Si nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter un changement aussi radical, encore faut-il montrer qu’ils apportent plus d’avantages que de contraintes ou de dysfonctionnements, ce dont la totalité des hommes et des femmes ne sont pas convaincus. La démonstration est nécessaire à l’acceptation.  

Beaucoup croient encore que la modernité ajoute de l’aliénation aux vieilles contraintes. Ils ne reconnaissent pas toujours que la liberté de choix, de circuler, d’échanger des produits et des idées est un bien précieux. Ils ne sont pas toujours convaincus que l’allongement de la durée de vie, le recul des grandes maladies, la lutte contre la misère sur une grande partie de la planète, valent le prix qu’il faut payer sur l’environnement qui peut se dégrader et sur les relations sociales qui se durcissent. 

Donc, si la France choisit d’épouser le changement et elle aura évidemment raison de le faire, encore faut-il lui en expliquer les effets et les contraintes. 

Si le monde change, l’Etat va devoir changer dans son fonctionnement, son périmètre, son pouvoir. L’Etat ne pourra pas continuer à faire tout ce qu‘il faisait jusqu’alors. Il va devoir se réinventer. Ses institutions, son administration, ses fonctionnaires.

Si le monde change, le travail va changer. Le travail a déjà commencé à se réinventer. Moins de salariés, plus d’indépendants, plus de temps partiels, plus de mobilité, de travailleurs nomades, plus de formation. 

Si le monde change, le modèle social va être obligé lui aussi de se réinventer, plus de sécurité, plus de protection contre les risques mais organisée autrement. Plus d’assurances et moins de solidarité pour un résultat qui doit être meilleur.

Si le monde change, le modèle de croissance va changer, le contenu d’une croissance fondée sur la production de biens de consommation va devoir évoluer. Plus de consommation de services sociaux, plus de production fondée sur la protection de l’environnement, plus de santé et de formation etc. le monde marchand va évoluer. 

Enfin si le monde change comme il a commencé à changer, il faudra s’inquiéter plus qu’on ne le fait de la montée d’inégalités dans le monde entre les très riches et les plus pauvres. Il faudra s’inquiéter des risques de déclassement dans les pays matures qui ne peuvent pas payer le prix de l’émergence d’une classe moyenne dans le reste du monde. Sinon, c’est la porte ouverte au populisme avec tous les risques de crispation et de violence que ça implique. 

Cette pédagogie-là ne sera pas suffisante au changement mais nécessaire, et c’est à la gouvernance de la faire. Au président, au Premier ministre et aux ministres du gouvernement. Pour l’heure, ils ont surtout fait de la com, une com de grande qualité mais maintenant, il va falloir y mettre des contenus. La méthode choisie pour préparer la réforme du travail paraît fondée sur cette pédagogie. La ministre du travail a abandonné la tradition des grand’messe dédiées aux relations sociales pour leur préférer des dialogues individuels, des cours et des entretiens particuliers en quelque sorte. Ça donne l‘impression de marcher.

Mais pour tout le reste des chantiers de réformes, la gouvernance française ne pourra pas s’exonérer de l’exercice DDE formation permanente à la réforme. Emmanuel Macron a été élu parce qu ‘il a dressé un diagnostic des maux dont souffrent le pays qui s’avère juste. Il a été élu parce qu’il a semblé être le plus capable d’administrer le traitement, il avait l’expertise et l'ambition de le faire. Mais il a besoin de la complicité de tout le monde. Le capital politique accumule ne suffira pas. Le peuple a besoin de savoir à quoi sert le changement, et où il l’emmène et à quel prix. 

Il y a quand même une partie des français qui considèrent que la modernité  est très loin. 

A celui qui va demander : « Président, c’est encore loin, la modernité, le digital et tout ce dont vous parlez ? ... » Impossible de lui répondre comme chez Hervé Bazin 

- « Tais-toi et marche !!! »

Sinon, il se mettra en marche effectivement, mais pour rejoindre Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen. 

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