Le porno est-il bon ou mauvais pour la libido ? La réponse n’est pas la même pour les hommes et les femmes<!-- --> | Atlantico.fr
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L'utilisation des sites pornographiques peut avoir des conséquences différentes sur la libido selon son sexe.
L'utilisation des sites pornographiques peut avoir des conséquences différentes sur la libido selon son sexe.
©AFP / Jeanne Fourneau / Hans Lucas

Instant X

Les apports du porno ne sont pas les mêmes selon qui regarde. Ils peuvent être bénéfiques ou néfastes selon le sexe du consommateur. L'auteur d'une vaste étude sur le sujet nous explique pourquoi.

Nicolas  Sommet

Nicolas Sommet

Nicolas Sommet est chargé de cours (FNS Ambizione) en psychologie sociale au Centre LIVES de l'Université de Lausanne, en Suisse. Ses recherches portent sur les conséquences psychologiques des inégalités de revenus, la motivation à l'accomplissement, etc.

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Vous avez publié une étude sur l'impact du porno sur la libido chez les hommes et les femmes, "Porn use and men's and women's sexual performance: evidence from a large longitudinal sample". Une étude parue dans Psychological Medicine. Qu’est-ce que vous avez cherché à montrer avec cette étude ?  

Nicolas Sommet : Nous avons lancé cette étude il y a quelques années avec Jacques Berent, un collègue et ami de l’université de Genève. La motivation de départ était double. J'ai voulu profiter du fait que mon frère, Mathieu Sommet, soit un Youtubeur assez populaire pour mettre sa communauté à profit. Cela nous assurait un volume de réponses assez important. Cela nous a assuré un volume de réponses particulièrement important, puisque plus de 100,000 personnes ont pris part à l'étude, et que nous en avons plus de 20,000 d'entres elles pendant trois ans.

La seconde motivation a été notre découverte de la littérature sur la pornographie. Elle nous a semblée assez partisane et focalisée sur les aspects négatifs de la pornographie. Nous avons pensé que la réalité devait être plus nuancée. D’autant que les études existantes sur le sujet semblaient limités dans le sens où elles utilisaient souvent un faible nombre de participants. 

Quels sont les avantages et inconvénients d'avoir fait appel à la communauté de Mathieu Sommet ? N'y a-t-il pas un problème de représentativité ? 

C’est certain qu’il y a un problème de représentativité mais cela est vrai pour la plupart des études en psychologie. Les chercheurs construisent souvent leurs échantillons de façon non-représentative car il est trop coûteux d’utiliser des méthodes pour le faire de manière représentative. Néanmoins, notre approche avait deux avantages. Nous avons pu nous focaliser sur des participants jeunes, avec une moyenne d’âge de 21 ans. Cela nous intéressait particulièrement de connaître les résultats de cette catégorie de la population, qui est à un âge charnière dans le développement de sa sexualité. Deuxièmement, c’était une population très connectée donc plus susceptible d’avoir accès à la pornographie sur internet. 

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Vos conclusions montrent un effet délétère chez les hommes et positif ou nul chez les femmes, comment l’expliquer ?  

Nous nous sommes intéressés à un concept générique, celui de la “performance sexuelle”. Nous l’avons abordé sous trois angles, trois interrogations : les individus se sentent-ils compétents sexuellement ? (L’estime de soi sur le plan sexuel par exemple ou se penser à la hauteur si on devait avoir une relation sexuelle inanticipée, etc.) Ont-ils un bon fonctionnement biologique ? (Difficulté à avoir une érection, problème de lubrification, ou encore à atteindre l’orgasme). Troisièmement, la satisfaction sexuelle évaluée par le partenaire --dans notre étude nous avons pu avoir accès aux réponses des partenaires des participants pour environ 5000 couples hétérosexuels. Les résultats montrent que plus les hommes consomment de pornographie, moins ils se sentent compétents sexuellement, plus ils sont susceptibles d’avoir des difficultés biologiques et moins leurs partenaires rapportent être satisfaites sexuellement.  

Et chez les femmes, et c’est l’intérêt de notre étude, c’est l’inverse. Plus elles regardent du porno plus elles disent se sentir à la hauteur sexuellement, moins elles ont de problèmes biologiques et, sur certains aspects, cela renforce même la satisfaction des partenaires.. 

Quelles hypothèses permettent d’expliquer ces résultats ? 

Nous sommes assez précautionneux car nous n’avons pas toutes les données permettant d’expliquer nos résultats. De notre point de vue, il y a deux espèces d’enjeux dans la pornographie. D’une part, c’est une source de comparaison sexuelle. La pornographie est une mise en scène de la sexualité. Si l’on compare à sa propre vie sexuelle, il y a de fortes chances que cette dernière nous paraisse moins colorée. On va donc faire de la comparaison ascendante et sortir déçus de notre expérience. Les acteurs apparaissant très performants, le sexe semblant aisé, etc. 

Mais on sait aussi de la littérature que la pornographie peut être source d’inspiration sexuelle. Les consommateurs et consommatrices peuvent récupérer des informations sur la sexualité et apprendre comment faire certaines choses. Notre interprétation est que les hommes ressentent plus l’effet comparatif et se remettent en question. Les femmes, elles, feraient moins de comparaison et auraient plus de facilité à user la pornographie comme une source d’inspiration.  

Est-ce la conséquence de constructions sociales différenciées ?  

Il est là encore difficile de répondre, il y a sans doute des caractéristiques relativement universelles selon les sexes, notamment par rapport à la question du drive sexuel. A travers les cultures, les hommes sont en moyenne toujours plus hauts que les femmes au niveau du drive sexuel. Ensuite, il y a évidemment un aspect de socialisation. C'est probablement un mix des deux qui joue dans le rapport que les hommes et les femmes entretiennent avec la pornographie. 

Vous soulignez l’ironie d’une industrie pensée par les hommes et pour les hommes qui est en fait principalement délétère pour ces derniers... 

En effet, le public cible et la majorité des producteurs de pornographie sont des hommes. Les hommes consomment aussi davantage de pornographie. Il est donc ironique qu’elle ait ces effets délétères chez les hommes alors qu’elle a des effets positifs ou nuls chez les femmes. 

Est-ce que l’on peut déduire des préconisations de vos résultats ? 

C'est une excellente question. Il est tentant, lorsque l’on vulgarise, de dire qu’il y a une causalité certaine entre pornographie et qualité de la vie sexuelle, mais il est difficile de savoir si une autre variable cachée entre en jeu ou non. Notre étude est longitudinale et nous avons suivi les répondants sur trois ans, cela nous permet de suivre l’évolution de leur consommation et de leur vie sexuelle. C'est un élément qui nous permet d’approcher la causalité mais pas de l’établir de façon formelle.

Il faut aussi penser à la taille de l’effet que l’on décrit, la magnitude de l’association entre les deux phénomènes. Or, notre étude et plus largement la littérature montre que la pornographie exerce des effets assez modestes sur la sexualité. Cela doit nous inciter à la prudence quant aux préconisations et applications en vie réelle, notamment cliniques. Probablement que si on est un homme et que l’on éprouve des difficultés sexuelles, on a intérêt à se poser des questions sur sa pratique de la pornographie. Mais changer son comportement vis-à-vis de la pornographie ne va pas être une solution miracle.

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