Le populisme macronien, de la conquête à l’exercice du pouvoir<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron prononce un discours à son QG de campagne à Paris, le 7 mai 2017, à l'issue du second tour de l'élection présidentielle française.
Emmanuel Macron prononce un discours à son QG de campagne à Paris, le 7 mai 2017, à l'issue du second tour de l'élection présidentielle française.
©Lionel BONAVENTURE / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Damien Fleurot et Mathieu Souquière publient « 2022, la flambée populiste » aux éditions Plon. Notre tour est-il bientôt arrivé ? La France n'a jamais semblé aussi près du point de bascule vers le populisme. ​La crise économique et sanitaire aggrave la tendance, en offrant un terreau idéal pour les antisystèmes de tous bords, des anti-masques aux antivax. Extrait 2/2.

Damien Fleurot

Damien Fleurot

Damien Fleurot est journaliste politique depuis plus de 15 ans (BFMTV, Cnews).

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Mathieu Souquière

Mathieu Souquière

Mathieu Souquière, consultant et ancien conseiller politique, est expert associé auprès de la Fondation Jean Jaurès (notamment co-auteur de Inventaire 2012-2017, retour sur un quinquennat "anormal", Fondation Jean Jaurès, 2018).

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La campagne d’Emmanuel Macron n’a pas hésité à actionner des ressorts antisystèmes, renvoyant le monde d’avant à son inertie, et ses représentants à leurs lâches renoncements et leurs médiocres accommodements. Avec ce nouveau président, plus jeune, différent, une promesse de renouvellement, de vrai changement, d’efficacité et de résultats tant attendus, d’ambition réformatrice, en forme de coup de pied dans la fourmilière, enfin. D’horizontalité aussi, mise en pratique pendant la campagne, avec un programme « coconstruit » par les marcheurs, sur le terrain et en ligne. Une démocratie 4.0. Une révolution, en somme – c’est d’ailleurs le titre de l’ouvrage publié par le candidat pendant la campagne –, mais une révolution bienveillante et souriante. La fin d’un système présenté comme sclérosé, torpillé par un inspecteur des finances passé par la banque d’affaires, mais qu’importe. Beaucoup ont eu envie d’y croire et se sont trouvé un goût pour la politique alors qu’ils s’en étaient toujours tenus éloignés. Des « primo-militants », soignés de leur désintérêt voire de leur dégoût pour le système des partis et pour des idéologies jugées compassées, sautant le pas de l’engagement. Une démocratie régénérée et un peuple réconcilié avec la chose publique. Tout un programme. Un populisme « light ».

Au pouvoir, les choses vont se gâter assez vite. Et ce populisme « light » va changer de nature. Dès les premiers jours de son quinquennat, Emmanuel Macron lance au Parlement la réforme baptisée « pour la confiance dans la vie politique ». « Le projet le plus urgent », assurait le candidat lors de ses réunions publiques. Une façon de surfer sur l’affaire Fillon puisque le projet de loi prévoit d’interdire par exemple les emplois familiaux des députés et des sénateurs. Démagogie pure : ce que la justice reproche à Pénélope Fillon n’est aucunement d’être la femme de son employeur mais d’avoir laissé fort peu de traces d’un travail concret ; qui plus est, serions-nous tentés d’ajouter, pour un niveau d’émoluments très supérieur à la pratique habituelle. Du côté du Président, c’est aussi une façon implicite de renvoyer dos à dos les « vieux » partis, qui se sont perdus dans ce genre de pratiques anciennes et courantes. Par contraste, le mouvement présidentiel En Marche !, qui souffle alors tout juste sa première bougie, est donc trop jeune pour être touché par les affaires. Dans les années 90, un parti s’était risqué à adopter une posture moralisatrice : le Front national et son slogan « Mains propres, tête haute », avant d’être à son tour rattrapé quelques années plus tard par les affaires. En 2017, la majorité n’aura eu que quelques jours à attendre pour être emportée dans un tourbillon politico-judiciaire. Deux affaires financières – celle des Mutuelles de Bretagne et celle des assistants parlementaires européens du MoDem  – éclaboussent plusieurs membres du gouvernement, provoquant un remanie‑ ment subi par le chef de l’État, mettant en cause deux ministres régaliens, le garde des Sceaux lui-même et la ministre de la Défense.

Ouvert par cette mesure dont certains élus ont dénoncé le parfum populiste, lié à une insatiable demande populaire de transparence de la vie politique, de « laver plus blanc que blanc », le quinquennat d’Emmanuel Macron se referme avec une autre réforme visant le sommet de l’État. Cette fois, ce sont les grands commis du pouvoir qui sont ciblés par le président de la République en avril 2021. Ce jour-là, il réunit en visioconférence près de six cents hauts fonctionnaires à l’occasion d’une convention managériale pour leur présenter une refonte de leur recrutement, de leur formation mais aussi de leur carrière. « On refera la France si les élites et la base se reconnaissent l’une l’autre, se comprennent, agissent main dans la main », dit Emmanuel Macron dans son discours. Quinze ans après cet engagement de campagne formulé simultanément par François Bayrou et Jean-Marie Le Pen, l’ENA est supprimée comme un scalp offert par le président de la République au bon peuple faisant de sa haute fonction publique un bouc émissaire facile, à l’issue d’une séquence où chacun y est allé de son couplet contre une bureaucratie incapable de gérer la crise sanitaire et sociale de façon satisfaisante, oubliant qu’aucun grand pays n’avait véritablement opéré plus efficacement.

La pente du populisme autoritaire

L’image est lourde en symbole, retransmise en direct sur les chaînes d’information en continu. Ce 30 octobre 2017, Emmanuel Macron signe depuis un salon du palais de l’Élysée la loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». Deux membres du gouvernement encadrent le président de la République : le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, d’un côté et le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, de l’autre. Une personne manque étrangement à l’appel : Nicole Belloubet, la garde des Sceaux. Une absence interprétée par quelques observateurs comme un désaveu, tant le texte législatif qui entre en application confie de nombreux pouvoirs supplémentaires aux autorités administratives, aux dépens du juge judiciaire. Dans l’opposition, nombreux sont les élus qui le disent ouvertement, mais la polémique dépasse bientôt les frontières nationales quand une agence de l’Onu le dit publique‑ ment en septembre 2017. La France, un pays qui mal‑ mène les libertés individuelles ? La controverse fait désordre et rebondit un an plus tard, dans un tout autre contexte. Les rassemblements de Gilets jaunes et leur encadrement par les forces de sécurité questionnent la doctrine de maintien de l’ordre. L’opposition, à gauche, demande s’il est encore possible de manifester librement dans le pays, face à une flambée de violence sociale inédite, faite de débordements permanents auxquels la police riposte sans ménagement, enclenchant une macabre comptabilité des coups et blessures subis par les manifestants. On dénombre, selon le journaliste David Dufresne qui suit le mouvement et signale toutes les violences policières au ministère, 2 morts, 27 éborgnés, 5 mains arrachées. Selon les autorités, en novembre 2019, ces manifestations auront fait 4 300 blessés (2 500 manifestants, 1 800 policiers). Nouvelle réplique à l’occasion de la réforme des retraites, à la fin de l’année 2019. La France deviendrait-elle un « État policier » ?

Par-delà les frontières, on s’interroge. « Douce France. À droite toute ! » titre l’hebdomadaire Courrier international dans son édition du 3 décembre 2020, mettant à sa une un dessin de presse représentant Emmanuel Macron en uniforme militaire. On peut notamment lire dans cette revue de la presse internationale l’inquiétude du magazine américain The Atlantic au sujet de la loi sécurité et les conséquences incertaines de l’article 24 sur la liberté d’informer des journalistes. Même doutes formulés outre-Rhin dans les colonnes du quotidien allemand Handelsblatt qui voit avec regret le temps consacré par Emmanuel Macron aux sujets sécuritaires et identitaires au détriment de l’ambition européenne… Ce procès en autoritarisme n’est pas du goût du chef de l’État qui le dit le 23 janvier 2020, lors d’un entretien avec un journaliste au retour d’un déplacement à l’étranger : « Aujourd’hui s’est installée dans notre société, et de manière séditieuse par des discours politiques, l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie, qu’une forme de dictature s’est installée [...]. Si la France c’est cela, essayez la dictature et vous verrez ! », s’emporte-t-il. Un raccourci et une simplification à outrance qui évite au Président un questionnement sur le bien-fondé de certaines mesures qui encadrent et restreignent les liber tés publiques, collectives et individuelles. Un procédé que n’auraient pas renié certains populistes pour esquiver un débat de fond potentiellement inconfortable. Sans accréditer la thèse que la France, au gré de ces crises, a basculé dans un autre régime, n’est-il pas légitime, en démocratie, de s’interroger sur l’équilibre des pouvoirs, la place et l’expression des oppositions, la demande de participation citoyenne ? Seuls, précisément, les populistes y répugnent.

A lire aussi : La société française, rongée par le virus du populisme

Extrait du livre de Damien Fleurot et Mathieu Souquière, « 2022, la flambée populiste », publié aux éditions Plon

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